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La Izquierda Diario
13 de mars de 2019 Twitter Faceboock

Tribune libre
Le Peuple et Le Président : « Ils pensaient que le peuple allait prendre le pouvoir ce jour-là »
Anasse Kazib

Cécile Amar grand reporter à l’Obs et Cyril Graziani grand reporter à France Inter, signent ensemble ce premier livre qui retrace les débuts du mouvement des gilets jaunes. Sans prise de position de part et d’autre, il nous livre certains secret de l’Élysée ou de Matignon dans le rapport de force avec les gilets jaunes, mais également des témoignages émouvants de Gilet Jaunes, au cœur des blocages et des manifestations. 

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« Je lance l’idée de poser son gilet jaune sur le tableau de bord »

J’ai lu ce livre avec au début beaucoup d’à priori, je ne savais pas de quoi pouvait parler un livre alors même que chaque week-end encore le mouvement se poursuit, et qu’il est très certainement loin de s’arrêter vu la conjoncture actuelle avec la fin du Grand Débat, les prochaines élections européennes ou encore certaines contre-réformes à venir notamment sur l’assurance chômage. 

Mais je me suis pris de passion à lire ce livre qui m’a replongé dans les débuts de ce mouvement, ces débuts qu’on a tendance à oublier et à banaliser parfois, pour se préoccuper du présent, de l’instant T. Le livre commence comme cela « Je lance l’idée de poser son gilet jaune sur le tableau de bord », cette phrase prononcée par un parfait inconnu, Ghislain Coutard technicien à Narbonne, dans une vidéo qui on se souvient avait été partagée des milliers de fois. En relisant ce passage, j’ai même repensé à lui, car on le sait à l’image de Drouet, de Ludowski ou encore de Jacqueline Mouraud, les figures du net ont rapidement émergé, parfois mises au rang de stars, de leader et pour certains aujourd’hui au rang de traîtres après avoir suscité la sympathie. Pourtant ce ne sont pas les « Leaders » médiatiques des Gilets Jaunes qui ont trouvé cette référence au gilet, c’est bien Ghislain. Après cette vidéo il a essayé de ne pas attirer les caméras pour se contenter de manifester dans sa région les samedis. Il voulait simplement par ce geste « se compter », justement dans une période où le mouvement n’avait pas encore de forme manifestante dans la rue, afin de connaître l’ampleur de la colère. On se rappelle ces tableaux de bord par milliers, de Lille à Perpignan, de Rennes à Strasbourg arborant le gilet jaune comme signe de ralliement à la crise sociale. Comme quoi ce signe qui restera dans la mémoire de l’histoire, ne tient à pas grand-chose, si ce n’est à un gars qui s’est dit dans sa bagnole « et si on mettait un gilet jaune pour nous compter ». Ce gilet aura traversé les frontières, traduit dans des dizaines de langues, dans des centaines de JT aux États-Unis, en Angleterre, ou en Argentine. Certains manifestants également à l’étranger, comme en Égypte, en Allemagne ou en en Hongrie en l’arborant, comme si le gilet jaune était le nouveau symbole de la révolution. 

Un ami me disait « tu te rend compte dans 20 ou 30 ans on verra un gilet jaune, et on aura toujours le souvenir de ce qui s’est passé avec les Gilets Jaunes. Mon propre fils de 3 ans m’interpelle souvent dans la rue, en me disant « papa papa regarde la-bas y’a un gilet jauné », oui parce que lui y a aussi ajouté la référence à la music de Kopp Jhonson ».

L’histoire se souviendra du gilet jaune, mais pas de Ghislain Coutard, alors on doit quand même le remercier pour avoir pensé à ce truc anodin. 

« Un vent de colère qui monte dans le pays » 

Le livre nous replonge dans les débuts, cette colère qui monte, que le Président Macron ne voit pas. Pourtant des interpellations durant la tournée pour le centenaire de la 1ere guerre mondiale il en a eu, il aurait pu sentir cette colère, comme ce retraité en Ariège lui disant « Vous êtes un escroc Monsieur le Président » en lui rappelant la hausse de la CSG, ainsi que celles des taxes à venir. Ou encore d’un échange musclé à Verdun avec un retraité, qui montre bien la déconnexion de Macron, celui qui se pensait encore jusque-là Jupiter, au dessus de la mêlée. Il l’a entretenue cette distance avec la population, qu’il assène régulièrement de mots insultants, tantôt « les gaulois réfractaires », les « travailleurs illettrés », ceux qui doivent « bosser pour se payer un costard », ceux qui dans une gare « sont tout pendant que les autres ne sont rien », ou en parlant des GM&S leur demandant d’aller chercher du boulot plutôt que de venir gueuler etc… 

Certains le taxent de parisianisme, de président de la ville,. Certes c’est vrai qu’il a snobé totalement cette France périurbaine qui a montré sa colère à travers le mouvement des Gilets Jaunes, mais pour moi ce n’est pas une question de parisien, mais de classe. Qui le dit mieux que Macron dans une vidéo au moment de la campagne durant le conflit de Whirlpool quand lui-même explique à ses conseillers « Nous sommes des bourgeois, on ne sera jamais en sécurité » ?. Il est avant toute chose le Président des riches, celui qui défend sa classe, celle qui l’a mis au pouvoir, leur offrant la suppression de l’ISF, les ordonnances Loi Travail XXL, le CICE doublé en 2019, ou encore très récemment la privatisation de ADP ou la casse de la SNCF avec la réforme ferroviaire votée en 3 mois illico presto. Que cela soit à Paris ou en régions, il n’en a que faire des smicards, des chômeurs, des SDF, ou des précaires. 

Edouard Philippe artisan important de la crise sociale

En lisant le livre on s’aperçoit de beaucoup d’éléments factuels, tellement que je me suis demandé, comment avec tout cela Edouard Philippe pouvait encore être 1er Ministre ? Bien sûr la réponse est assez simple, elle est électorale, car avoir un Edouard Philippe dans son gouvernement permet de grignotter largement l’électorat des républicains, pas étonnant d’ailleurs quand on voit le marathon du grand débat dans les terres de droite, et le resserrement du bloc bourgeois pour soutenir la liste LREM au prochaines européennes. Mais cependant Edouard Philippe reste quand même l’artisan du 80Km/h, une des mesures très contestées par cette France périurbaine qui s’est retrouvée quelques mois après dans le mouvement des Gilets Jaunes. Lors d’un échange, le 1er ministre montre son ADN de droite : Droit dans ses bottes, le sosie de Juppé, quelqu’un pour qui la fermeté dans le rapport de force est importante. Rappelons nous la manière avec laquelle il a traité les négociations avec les syndicats de cheminots, ne leur cédant rien, si ce n’est quelques milliards de dette pour assainir les comptes de la SNCF avant la privatisation. Il utilisera ce même conflit des cheminots, avec les Gilets Jaunes dans une discussion off, pour dire en parlant de la mobilisation fin novembre « On est à une mobilisation qui est plus faible que la plus petite mobilisation contre la réforme de la SNCF … ». Je suis un peu tombé de ma chaise quand j’ai lu ce passage, moi le cheminot qui ai fait l’ensemble du mouvement, et qui n’ai pas loupé une seule manifestation, j’ai relu trois fois le passage pour voir si j’avais bien lu ! Si les mobilisations des cheminots avaient eu la gueule des trois premiers actes des Gilets Jaunes, je pense que le rapport spinetta aurait fini à la poubelle très rapidement ! Il y a simplement 150000 Cheminots à la SNCF, alors que pour l’acte 1 et 2 il y avait déjà plus de 300000 Gilets Jaunes en France. C’est une plaisanterie. Cela montre en tout cas avec cette phrase le dédain total d’Edouard Philippe dans le début de cette crise. Daniel Cohn Bendit, qui a essayé par tous les moyens de pousser à une alliance Elysée-CFDT, parle de Philippe comme du Juppé de 1995. 

Un 1er décembre insurrectionnel « Macron c’est une devanture »

Cécile Amar et Cyril Graziani m’ont fait revivre ces trois premiers actes de manière intense. On voit très rapidement cette lutte de classes apparaître. On entend souvent les éditorialistes de droite ou les députés LREM essayer de mettre tout sur la question des taxes. Ors on se rend compte si ce n’était pas encore le cas, que le mouvement des Gilets Jaunes est un mouvement lutte de classes avec tous les symptômes d’une situation pré-révolutionnaire, marquée notamment par un Acte 3 insurrectionnel le 1er Décembre, où certains Gilets Jaunes parlent de « révolution », comme Thierry qui raconte « C’est à la hauteur des revendications. C’est une révolution… Le pacifisme, je n’aime pas. On ne se bat pas face à Macron, mais face à la mondialisation, au CAC40. Macron c’est une devanture » 

En lisant ces pages, me viennent deux citations de Karl Marx, « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes » mais également « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». 

On le constate dans ce livre, mais également lorsqu’on regarde les différentes interviews de Gilets Jaunes, à quel point le caractère de classe est déterminant : ils et elles se reconnaissent dans leurs situations précaires. Ces prolétaires, ces petits auto-entrepreneurs qui se dégagent à peine le Smic, ces petits agriculteurs qui font face aux gros producteurs de l’agriculture capitaliste. Ils ont compris pour certains que leur combat était celui d’une classe opprimée contre cette classe qui les exploitent et les dominent. Thierry l’a dit : « Macron n’est qu’une devanture ». Leur point commun également en dehors du côté non partisan, c’est le rejet des syndicats, n’ont pas des petits militants car ils sont nombreux de la CGT de Solidaire ou de FO, mais ils rejettent en bloc la bureaucratie syndicale, qui avait notamment signé un appel condamnant dans ces moments d’insurrection « les violences » de la part des Gilets Jaunes. Cette bureaucratie syndicale que Castaner a félicité de ne pas venir grossir le rapport de force des Gilets Jaunes. On voit bien dans le livre à quel point Laurent Berger veut utiliser cette colère des Gilets Jaunes qu’il méprise tant, pour redevenir un interlocuteur privilégié par le pouvoir. 

On découvre également que Philippe Grangeon, ami du président, qui souffle à son oreille, a essayé de jouer un rôle dans l’alliance avec Laurent Berger, car lui-même était le conseiller communication de Nicole Notat, l’ancienne patronne de la CFDT, fossoyeuse de la sécurité sociale durant les grèves de 1995.

« Les pavés pleuvent. On est encerclés, vulnérables. »

Enfin les violences policières qu’on vécu ces milliers de primo-manifestants est très visible, comme Antonio Barbetta, Gilet Jaune de picardie, ou encore Céline venue avec son Fils à Paris et qui raconte « On a fait un sitting, on se prend plein de lacrymos dans la tête. Je suis avec mon fils. On a les mains en l’air. On se prend encore des lacrymos ». Les chiffres officiels de cette journée sont incroyables avec presque 15000 grenades diverses jetées sur les manifestants, des tir de LBD par dizaines. On découvre également certains témoignages de policiers qui montrent bien le caractère insurrectionnel, cette « révolution » comme le disait Thierry, car ils ont eu peur. Certains ont même connu les attentats de Novembre 2015, ou encore les cortèges de Black Blocks durant les manifestations contre la Loi El Khomri, et ils l’attestent, jamais ils n’ont eu aussi peur, expliquant même qu’ils pensaient que le peuple aller prendre le pouvoir ce jour-là.

Un livre passionnant, pour se replonger dans les débuts de cette colère sociale qui a revêtu le gilet jaune.

 
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