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La Izquierda Diario
13 de mars de 2019 Twitter Faceboock

Un an après la Bataille du Rail – Partie III
Les cheminots de la rencontre Intergare : une école de démocratie ouvrière
Correspondant.e.s cheminot.e.s

Un an après l’énorme Bataille du Rail contre la réforme ferroviaire du gouvernement Macron, Révolution Permanente partage avec l’ensemble de ses lecteurs un ensemble d’articles qui reviennent sur les principaux événements et leçons de cette lutte acharnée que fut la Bataille du Rail, où pendant plus de trois mois cheminots et cheminotes de tout le pays ont tenu tête à Jupiter. Les attaques pleuvent à la SNCF et aujourd’hui, à la lumière du mouvement des Gilets Jaunes, la défense du service public apparaît plus que nécessaire. Dans ce troisième article, nous revenons sur l’expérience de la rencontre intergare, un embryon de coordination et auto-organisation, qui a tenté bien que mal de proposer des perspectives pour que les cheminots soient les maîtres de leur grève.

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Crédit Photo : LouizArt

Même quand les barrières sont nombreuses et que l’on se retrouve dos au mur, on est capables de dépasser ses limites, de se battre pour nos revendications, d’élaborer des stratégies ensemble, de porter la bannière qui nous rassemble tous et toutes, celle des cheminots et cheminotes en grève !

Embryon de coordination des cheminots grévistes

C’est par un travail patient, étape par étape, que nous avons pu lancer la rencontre Intergare avec un certain nombre de collègues de différents secteurs et métiers. L’objectif était d’en faire un lieu de rencontre, de débat et un début de coordination entre des grévistes de différentes gares, dépôts et établissements de la Région Parisienne. Cette rencontre Intergare n’avait pas d’étiquette, elle était ouverte à tous les grévistes, syndiqués et non-syndiqués.

La rencontre Intergare a été un facteur particulier à prendre en compte dans ces trois mois de bataille du rail. Elle a été proposée par des cheminots grévistes, conscients de la stratégie perdante des directions syndicales et de la nécessité de l’auto-organisation, pour que les grévistes eux-mêmes décident des suites de la lutte.

Composée de quelques centaines de cheminots, pour la plupart venus d’Ile-de-France mais aussi de régions, ces rencontres cherchaient à aller plus loin. Ces cheminots ont cherché ensemble à trouver des réponses aux problématiques de la grève, ainsi que de la confiance et de la motivation. L’Intergare a permis également de forger des militants de la grève, et de leur donner une expérience précieuse de lutte en coordonnant et en étant à l’initiative de différentes actions.

Ecole de démocratie ouvrière

La différence avec les Assemblées Générales locales, pour la plupart verrouillées, où seuls parlent les représentants syndicaux comme si c’était des meetings, a contribué au succès de l’Intergare, et en a fait une véritable école de démocratie ouvrière. C’était un lieu où les cheminots grévistes ont pu exprimer leurs voix, leurs colères, leurs idées et leurs désaccords avec la politique des directions syndicales, sans pour autant déserter leurs AG locales.

“Notre seule bannière est celle des cheminots en grève contre ce pacte ferroviaire et celle de la démocratie ouvrière, car pour nous c’est aux grévistes de décider et à personne d’autre”, répétaient les grévistes dans leurs prises de parole. C’est avec ces mots d’ordre que l’Intergare a trouvé un écho de plus en plus important en région parisienne, qui a commencé, à une certaine échelle, à résonner en province également. Nous avons insisté dès le début sur la nécessité de démocratiser les assemblées générales, pour que les décisions soient prises par les grévistes. Cela a été une force de l’Intergare.

Pôle combatif de la grève

Réunis sous le mot d’ordre clair “Ni amendable ni négociable, retrait du pacte ferroviaire”, nous n’étions favorables à aucune négociation, notre but étant de construire le rapport de force à même de faire plier Macron, et non pas de se contenter de "négocier le poids des chaînes".

Pour cela, la grève dite « 2 sur 5 » ou perlée, n’était pas en mesure de créer le rapport de force nécessaire pour exiger le retrait du pacte ferroviaire, ni même de converger avec les autres secteurs professionnels. Ce calendrier de grève, prévoyant sur trois mois le déroulé de la mobilisation, a vidé les assemblées générales de grévistes, favorisant la passivité et la « grève à la carte ».

Pour les cheminots de l’Intergare, il fallait construire une grève reconductible jusqu’à satisfaction de nos revendications, seul moyen de favoriser la combativité, l’activité et la convergence entre les secteurs en lutte. Il s’agissait également d’un moyen pour laisser les cheminots être acteurs de leur grève à part entière.

Dans ce but, nous avons décidé de faire des « tournées Intergare » dans les principales gares parisiennes, avec pour objectif de dialoguer et donner la parole aux collègues cheminots, remotiver les grévistes, leur montrer qu’il existe d’autres stratégies, d’autres possibilités, mais également de briser les barrières qui séparent aujourd’hui les cheminots des différents métiers et des différentes gares et secteurs.
Nous avons également cherché à remettre en question la mascarade de l’unité syndicale comme fin en soi. Pour nous, il s’agissait de construire avant tout l’unité des cheminots grévistes à la base, et sous un mot d’ordre clair, celui du retrait du pacte ferroviaire. Globalement, ces « tournées Intergare » ont été un véritable succès, une action impactante pour de nombreux collègues et avaient une forte signification.

Interpeler les directions syndicales sur leur stratégie perdante…

Ensuite, après plusieurs semaines de grève et face au constat que le gouvernement restait intransigeant tandis que la direction de la SNCF avait réussi à s’organiser, nous avons décidé d’interpeller les directions syndicales sur leur stratégie. De nombreuses assemblées générales, en région parisienne et en province, ont commencé à voter le principe de bousculer le calendrier, et ont fait remonter des motions en ce sens.
Après de nombreuses discussions et échanges au sein même de l’Intergare, nous avons décidé de nous rendre sous les fenêtres de l’Intersyndicale pour interpeller les directions syndicales sur une stratégie que nous considérions perdante. Leur réponse a été de nous envoyer les CRS, offrant une nouvelle démonstration forte des méthodes de certaines directions syndicales. Une expérience marquante pour les cheminots, sur place ou assistant à la scène depuis les réseaux sociaux, qui ont vu les CRS protéger les directions syndicales contre les cheminots grévistes qui étaient là pour demander des comptes.

Cette interpellation, nous l’avons faite en gardant à l’esprit que sans rapport de force, sans prendre en main notre grève, rien n’était possible.

… tout en construisant notre propre agenda

L’Intergare a également été le moteur de nombreuses actions, souvent très populaires au sein des cheminots, comme l’envahissement des locaux de l’UTP (patronat du ferroviaire), ainsi que des entreprises qui se sont placées pour l’ouverture à la concurrence, comme Transdev. La mise en place des « tournées Intergare » faisaient également partie de cet agenda propre, décidé par les grévistes, et ont permis de montrer une autre vision que celle de l’intersyndicale en proposant une autre stratégie.

L’Intergare a également impulsé des journées de grève en dehors du calendrier de grève perlée, comme le 7 mai, journée des négociations des syndicats avec le premier ministre, où les cheminots ont manifesté et ont été réprimés devant la gare de Montparnasse avant d’être nassés pendant plusieurs heures dans la gare du Nord. Une autre journée de grève « hors calendrier » appelée par l’Intergare a été le 22 mai, journée de grève chez les fonctionnaires, où nous avons cherché à donner un signal en faveur de la convergence des différents secteurs contre les attaques du gouvernement Macron.

La dernière date importante était le 5 juin. Malgré l’absence d’appel à la grève le jour du passage en force de la réforme au Sénat, nous avons appelé les cheminots à la grève parce que pour nous il était hors de question de tirer un train ou de vendre un ticket le jour du vote de la régression sociale. Ce jour-là une action forte a été menée, les cheminots de l’Intergare ont envahi à plusieurs centaines le siège principal de la SNCF à Saint-Denis, action relayée ensuite par de nombreux médias.

Un véritable acquis pour les prochaines grèves

Une chose est sûre, cette rencontre Intergare a montré son utilité dans cette grève et de nombreux cheminots reconnaissent d’ores et déjà qu’il s’agit d’un immense acquis pour les futurs combats. Elle est également devenue populaire et reconnue par les cheminots dans différentes régions de France. Même si elle n’a pas réussi à rassembler et regrouper notamment la base de la CGT aux quatre coins du pays, elle a été reconnue assez largement par la force de ses actions et la détermination des grévistes qui en étaient à l’origine.

Malgré ses limites, l’Intergare est l’embryon d’auto-organisation le plus important de ces dernières années et représente l’évolution directe des tentatives de 2014 et 2016 qui n’avaient pas donné de résultats. Ces rencontres sont devenues un élément fondamental pour sortir de la passivité, elles ont permis de faire émerger des dizaines de militants de la grève, dont de nombreux jeunes et non-syndiqué(e)s.
Tous les cheminots qui ont composé et fait vivre cette Intergare ont acquis une expérience précieuse, qui servira lors des prochains mouvements. Le chemin parcouru lors de cette grève, ainsi que cette expérience d’auto-organisation, même si restée à un stade embryonnaire, permet d’apporter des réponses à la question de comment les cheminots peuvent prendre en main leur grève et dépasser la politique des directions syndicales.

Aujourd’hui, les cheminots de l’Intergare ont fait le choix de se transformer en collectif, afin de chercher à perdurer et surtout de ne pas devoir recommencer à zéro lors des prochains mouvements, en évitant de refaire les mêmes erreurs. Une chose est sûre pour les futurs conflits ce collectif de cheminots déterminés, qui défend la démocratie ouvrière et une orientation lutte des classes, sera présent et prêt à combattre !


NOTE : Cet article fait partie d’une brochure contenant un ensemble d’articles qui abordent différents aspects de la Bataille du Rail et de la politique qui a été menée et proposée par les cheminots militant à Révolution Permanente. Si vous souhaitez recevoir cette brochure, n’hésitez pas à nous solliciter : [email protected]

Format A4, 42 pages

 
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