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La Izquierda Diario
27 de mars de 2019 Twitter Faceboock

Refus du 5ème mandat et du régime
« Empêchement » de Bouteflika : l’armée se pose en arbitre pour sauver le régime
Damien Bernard
Mones Chaieb

Ce mardi 26 mars, Ahmed Gaïd Salah, chef de l’état-major de l’armée algérienne, a déclenché le scénario constitutionnel prévoyant l’« état d’empêchement » du chef de l’Etat. Le général qui avait coutume de rappeler qu’il était « au service du moudjahid Bouteflika jusqu’à la mort » lâche le clan présidentiel qui se fissure encore un peu plus. Sous pression des manifestations de rue qui se renforcent depuis un mois, le général, un des hommes les plus puissants d’Algérie, tente une nouvelle manœuvre pour sauver ce qu’il reste du régime.

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En montrant la voie de la sortie à Bouteflika, mardi 26 mars, le général Ahmed Gaïd Salah a provoqué un tournant majeur dans la crise politique algérienne. Devant les caméras nationales, le chef de l’état-major a enjoint le Conseil Constitutionnel à activer l’article 102 prévoyant l’« état d’empêchement » du chef de l’Etat. Cette injonction ouvre désormais sur deux possibilités.

Deux options : l’empêchement ou la démission

La première serait que le Conseil constitutionnel accepte l’injonction du chef d’état-major. A sa tête, Tayeb Belaïz désormais surnommé l’arbitre du « 102 », aura à se prononcer sur l’application de l’article 102 applicable lorsque le président de la République « pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ». Il se doit de constater, notamment grâce à des avis médicaux, que le président Bouteflika est inapte. S’il est déclaré inapte, le Parlement aura à approuver le vote. S’il est approuvé, le chef du Conseil de la nation (Sénat), Abdelkader Bensalah, assurera l’intérim jusqu’à l’élection d’un nouveau président pour une durée maximale de 45 jours. Si, à la fin de ce délai de 45 jours, le chef de l’Etat est toujours inapte, le Parlement déclare d’abord la vacance définitive puis doit organiser des élections dans les 90 jours.

La seconde option, proposée par plusieurs chefs de file de l’opposition, c’est que Bouteflika démissionne de lui-même. Là encore, le président du Conseil de la nation prend les rênes du pays pour au maximum une durée de 90 jours durant lesquels des élections doivent être organisées.

Un coup d’Etat militaire ?

Si, ces deux dernières semaines, l’armée avait pris ses distances avec Bouteflika, l’annonce a surpris jusque dans les hautes sphères du pouvoir et en premier lieu, le clan présidentiel. En ce sens, l’absence de réaction du clan Bouteflika est particulièrement révélatrice. A l’opposition, le RCD qualifie de « tentative de coup d’État », la demande d’Ahmed Gaid Salah d’appliquer l’article 102. De même, la démission des députés du PT de l’Assemblée Nationale illustre le degré de crise ouvert par ces déclarations. Mais s’il est vrai qu’en intervenant, le général Gaïd Salah « agit au nom de tous les corps militaires » comme l’estime, Abed Charef, écrivain et chroniqueur politique algérien, il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire.

Tout d’abord, l’armée n’est aucunement mobilisée. De surcroît le général Gaïd Salah reste sur le terrain de la voie constitutionnelle quand bien même cela n’est pas dans ses « prérogatives » d’appeler à l’usage de l’article 102. Comme expression la plus claire de cela, Bouteflika n’est pour l’heure toujours pas démis de ses fonctions. Plus encore, le général a pris soin de prononcer son appel, depuis une caserne militaire à Ouargla (sud), à distance des lieux de pouvoirs.

L’armée se pose en arbitre et revient au premier plan

Pour autant, que l’armée, pilier du régime, sorte du gué, se retourne et s’oppose ouvertement à Bouteflika, illustre en définitive l’extrême difficulté du régime à trouver une issue pour colmater la brèche dans laquelle s’est engouffrée l’irruption des masses dans la rue depuis plus de cinq semaines. Plus encore, que ce soit Ahmed Gaid Salah qui annonce, devant la télé nationale, cette demande par inaptitude est révélatrice de cette crise. En effet, le général doit toute son ascension à Bouteflika qui l’a nommé à ce poste. Il avait pour coutume de rappeler qu’il était « au service du moudjahid Bouteflika jusqu’à la mort ». Il était de fait son rempart au sein d’une armée dont le président Abdelaziz Bouteflika a cherché, tout au long de ses mandats, à contenir le pouvoir. En plus de démontrer « un consensus » au sein de l’appareil militaire et sécuritaire pour la fin de Bouteflika, ce retour de l’armée au-devant de la scène exprime un certain degré de crise politique : "L’armée prend beaucoup de place en période de crise", explique Abed Charef. « Elle prend les grandes décisions une fois tous les dix ou vingt ans ».

Scénario constitutionnel : l’armée grille-t-elle la priorité au clan Bouteflika ?

Parmi les différents scénarios réfléchis par les analystes, l’usage de l’article 102 de la Constitution en faisait partie. Problème : il s’agissait d’un scénario qui était pensé à l’initiative du clan Bouteflika lui-même.

Et ce « scénario constitutionnel » est quasi prémonitoire : « Les défections s’accélèrent dans le clan Bouteflika ; les replâtrages comme le remplacement du premier ministre Ahmed Ouyahia par Noureddine Bedoui, intime d’un autre frère du Président, Abderrahim Bouteflika, la désignation du chef de la diplomatie Ramtane Lamamra comme vice-premier ministre ont été clairement rejetés par les manifestants. De même, Lakhdar Brahimi, 85 ans choisi pour piloter la « conférence nationale indépendante, a renoncé dès le 13 mars. Finalement sans issue et ne pouvant plus compter sur le soutien de l’armée, le clan Bouteflika se résoudrait au moins provisoirement à appliquer la Constitution [au travers l’article 102] ce qui lui permet de gagner du temps. Ce scénario est probablement la dernière voie qui permet au clan de gagner du temps pour espérer se donner les moyens de revenir au scénario 1, notamment en remplaçant le Général Gaid Salah qui doit partir à la retraite en Mai 2019 par un fidèle prêt à tout. »

Dès lors que, de source proche de l’armée, le clan Bouteflika envisageait de démettre Ahmed Gaid Salah de son poste dans la mesure où, comme l’affirme le Magrebemergent, dans ses discours il n’offrait plus les garanties de soutenir la prolongation du 4e mandat, nous comprenons mieux ce retournement brutal du général.

Une annonce qui provoque des défections en chaîne

Ainsi, une succession de défections a suivi parmi des soutiens indéfectibles du clan Bouteflika. Premièrement, le Rassemblement national démocratique (RND), principal allié du Front de libération nationale (FLN), a enjoint, ce mercredi, Bouteflika à démissionner au lendemain de l’appel à son départ par le plus haut gradé de l’armée. Il est suivi par le patron de la centrale syndicale UGTA (Union nationale des travailleurs algériens), Abdelmadjid Sidi Saïd, jusqu’alors l’un des soutiens acharnés de Bouteflika, qui a "salué" l’appel du chef d’état-major de l’armée à écarter le président. Le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), Ali Haddad, a décidé de démissionner dans la foulée de la crise politique ouverte par le chef d’Etat major.

Le général se pose en arbitre pour sauver le régime

S’il ne s’agit pas d’un coup d’Etat militaire à proprement parler, l’annonce du chef de l’armée s’apparente plutôt à une nouvelle tentative pour tenter de sauver le régime. Sous pression des masses et des manifestations de rue qui s’intensifient, elle est l’expression de l’incapacité du clan Bouteflika à résoudre ses propres contradictions là où les proches et les oligarques qui le soutiennent, veulent le maintenir en poste. Elle est aussi le résultat d’une prise de conscience de l’appareil militaire : d’une pression certaine à la base, de la part d’un nombre non-négligeable de soldats qui éprouvent une forte sympathie pour le mouvement, ainsi que de calculs politiques de la part de différentes fractions qui composent la couche des officiers supérieurs.

En lâchant Bouteflika, l’appareil militaire a donc tapé un grand coup dans la fourmilière, ce qui a permis de faire décanter les lignes. L’opposition libérale la plus droitière représentée par Ali Benflis, premier ministre sous Bouteflika de 2000 à 2003 - qui fut également le soutien du milliardaire Issad Rebrab au sein du gouvernement de l’époque - aujourd’hui président du parti de l’opposition libérale Talaie El Houriat, adresse des signaux positifs à l’armée en saluant son « engagement » à trouver une solution satisfaisant « les revendications légitimes » du peuple algérien, tout en avertissant que « la mise en œuvre de l’article 102 » ne pourrait régler seule la crise. Une manière de dialoguer avec l’appareil militaire pour se ménager une place dans d’éventuelles négociations à venir, tout en lui mettant la pression pour éviter de laisser la porte ouverte à un coup de force des généraux qui l’exclurait des débats.

Une énième manœuvre

Le régime a tout essayé pour maintenir Abdelaziz Bouteflika au pouvoir. La candidature du président malade pour un cinquième mandat a d’abord été rejetée unanimement par les masses populaires qui ont été jusqu’à plusieurs millions à descendre dans les rues en signe de protestation. Et depuis rien n’y fait : malgré la proposition d’écourter son cinquième mandat, sous pression de la grève générale de la semaine dernière, il a officiellement été annoncé qu’il ne se représenterait pas mais qu’il prolongerait son mandat pendant une durée indéterminée - le temps de trouver un successeur et d’organiser une grande conférence nationale. Ces options ont été rejetées une à une par la rue qui ne demande ni plus ni moins que la fin du régime.

Pour les faire reculer pour de bon

Les manœuvres de l’exécutif, ses "Conventions" et "Commissions électorales" soi-disant indépendantes, les mini mandats, et autres prolongements de mandat ont été un échec. Maintenant cet article 102 vise une nouvelle fois à gagner du temps et à tenter d’offrir une issue à des fractions du clans Bouteflika.

Pour les faire reculer, pour de bon, il faudrait convoquer l’élection d’une Assemblée Constituante Révolutionnaire qui devrait se créer sur les bases de la chute du régime actuel, pour pouvoir mettre au centre des discussions un certain nombre de questions cruciales, à commencer par la question de la souveraineté nationale et de l’avenir de la jeunesse, de l’élargissement et de la défense des droits démocratiques bafoués depuis trop longtemps par le FLN, les généraux et leur Sécurité militaire, la question de l’accès aux terres et au logement.

Une Assemblée Constituante Révolutionnaire

La seule façon de garantir que ce ne soit pas un gouvernement sorti de la pourriture du régime, repeint aux couleurs du pluralisme et de la "démocratie", qui s’empare des rênes du pays, et qu’une Assemblée Constituante Révolutionnaire voit le jour pour débattre de l’ensemble des problèmes qui frappent les masses d’Algérie, c’est de continuer sur le chemin de la mobilisation, de la grève et de son auto-organisation, dans les entreprises, les administrations, les universités, les lycées et les quartiers.

En définitive, cette offensive fractionnelle de l’armée, pilier du régime, contre le camp des proches de Bouteflika, est une brèche de plus ouverte chez ceux d’en haut. Ce n’est pas maintenant qu’il faut s’arrêter. Il faut déboulonner dès aujourd’hui les oligarques et politiciens, les Bouteflika petits et grands qui depuis trop longtemps se sont approprié le pouvoir né de la Guerre de libération et du renversement du pouvoir colonial français.

 
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