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La Izquierda Diario
1er de avril de 2019 Twitter Faceboock

Entretien avec des syndicalistes lutte de classes
Grève à Derichebourg : « Si tous les syndicats étaient comme ça, il y aurait convergence »
Correspondant-e Toulouse

En pleine révolte des gilets jaunes, les travailleurs de Derichebourg Atis Aéronautique, un sous-traitant d’Airbus, entamaient le 12 février un mouvement de grève pour exiger, entre autres, « la prime Gilets Jaunes » et la hausse des salaires. A la base de ce mouvement, la rencontre entre les travailleurs faisant partie du collectif « en colère » et les syndicalistes de la section UNSA SNMSAC DAA, une section syndicale s’organisant sur des bases démocratiques, combatives et antibureaucratiques.

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Si le mouvement des gilets jaunes a dévoilé, d’un côté, les conditions d’existence économique et sociale à chaque fois plus dégradées auxquels doit se soumettre un nombre croissant de la population, de l’autre côté, celui-ci, a aussi démontré que ces conditions de vie ne sont pas une fatalité et que l’action collective des travailleurs, des chômeurs, des retraités et de l’ensemble des classes populaires est porteuse d’un autre type de société, et peut faire trembler le gouvernement. Cet éveil, cependant, ne se restreint pas aux gilets jaunes mais se répand parmi d’autres secteurs du mouvement ouvrier : les travailleurs de la sous-traitance.

La contagion de cette radicalité, pourrait-elle accélérer le discrédit des directions syndicales pro-patronales contenant la colère des travailleurs ? Pourrait-elle favoriser l’émergence et le renforcement des sections syndicales combatives et antibureaucratiques, et pousser vers la recomposition du mouvement ouvrier ?

Une chose est certaine, l’entrée du mouvement ouvrier dans la lutte pourrait changer radicalement le rapport de force avec le gouvernement en bloquant le cœur de l’économie. De plus, on observe depuis cette dernière décennie, des secteurs de la sous-traitance aéronautique relever la tête. Des secteurs, qui, souvent, n’avaient pas connu de grèves depuis plusieurs décennies se mettent en lutte et font émerger une nouvelle génération de syndicalistes combatifs. Des coordonnées favorables à la reconstruction d’un mouvement ouvrier sur des bases lutte de classes plutôt que de compromis social ? Nous avons discuté de toutes ces questions avec Boris, Philippe et Stéphane, ouvriers à Derichebourg Atis Aéronautique et syndicalistes de la section UNSA SNMSAC DAA.

Révolution Permanente : Qu’est-ce que Derichebourg Atis Aéronauqtique ?

Philippe : Derichebourg, c’est un groupe de 1600 salariés, mais c’est un individu qui tient vraiment toute la société. Maintenant, ils ont diversifié : ils ont des boîtes de sous-traitance, des boîtes d’intérims, d’autres de gardiennage… Même les gardiens qui sont venus pour nous fliquer lors du mouvement de grève ce sont de mecs de Derichebourg (rires). Le groupe couvre beaucoup de domaines : l’environnement, les centrales nucléaires, les métaux, le nettoyage, le recyclage… Puis, ils ont racheté Atis Aéronautique, c’est une entité qui a 18 ans, et qui avant faisait partie d’une autre société. De toute façon, nous sommes une entité qui passe toujours d’un groupe à un autre, et on peut le faire sans souci parce qu’on est vraiment autonomes.

Boris : Il y en a qui disent que l’on peut construire un avion avec tous les corps de métiers présents dans l’entreprise et le groupe. De l’ajustage au ménage au support technique et aux contrôleurs.

RP : Dans votre usine, il existe déjà d’autres syndicats comme Force Ouvrière (FO). Pourquoi avez-vous décidé de créer cette section syndicale, et sur quelles bases vous l’avez fait ?

Ph : La section syndicale a été créée parce que les autres syndicats sont tous pro-patronaux.

Bo : Ils ne représentent personne du monde ouvrier.

Ph : Voilà, ils ne représentent personne sauf ceux qui sont mis aux pieds de la direction. Ils signent tous les accords sans rien contester, du coup nous on a décidé de créer ce syndicat. Au début on était que 7 syndiqués, là on est 72. Le mec qui l’a lancé s’est fait virer de la CFDT justement parce qu’il était trop virulent, et il s’est fait licencier entre temps. Il m’a contacté en me disant que pour impulser le syndicat, il fallait quelqu’un avec de l’expérience, un « leader moral ».

Bo : À part Philipe, on n’avait aucune d’expérience. On partait de zéro.

Ph : Après, quand on a créé le syndicat, on a vraiment décidé qu’il n’y aurait pas de chef. Zéro hiérarchie dans le syndicat. Tout le monde décide pour tout le monde, et tout le monde a le même pouvoir de décision. C’est le discours que j’ai toujours eu auprès des collègues.

Stéphane : Il faut bien nommer les syndicalistes sur le papier, pour officialiser la chose, mais dans les faits, c’est exactement ce qu’il dit

Ph : Si un jour ça se passe autrement, je pense que tout le monde se barre. Si jamais il y en a un qui veut prendre les reines et imposer des directives, tout le monde se barre. S’il y a des divergences entre les membres élus du bureau, on résout ça par la négociation, on parle autour de nous avec les adhérents et les travailleurs afin d’arriver à nous accorder. Si je trouve par exemple qu’il a une chose qu’il faudrait faire mais les autres s’y opposent, je laisse tomber.

St : Non seulement on a nos avis personnels, mais on voit aussi en fonction des gens qu’on côtoie quotidiennement. Vu qu’on travaille sur différents sites, qu’on a des métiers et des horaires différents, et que c’est très difficile de tous nous réunir, chacun voit ce que les collègues pensent autour de lui pour en discuter dans le syndicat.

Ph : On ne prend jamais de décisions qui ne font pas l’unanimité. Si jamais on considérait qu’il y ait un accord qui pourrait être bon, mais auquel les salariés s’opposent, on laisse tomber. Les adhérents et les sympathisants donnent toujours leur avis, et même, ils syndiquent des gens naturellement. Au début, il y avait une méfiance vis-à-vis des syndicats. Mais quand ils ont vu, au fur et à mesure comment on travaillait et comment on s’organisait, ils se sont rapprochés naturellement. Je comprends l’hostilité des gens vis-à-vis des syndicats. Moi, à l’époque, la direction de la CGT m’a fait arrêter une grève. Mais toi, tu peux pas dire : « il est temps d’arrêter une grève ! ». Ca, c’est du foutage de gueule. On arrêt une grève si les grévistes le décident. Notre syndicat est pleinement autonome de la direction de l’UNSA.

RP : Dernièrement, il y eu un mouvement de grève dans votre usine. Comment s’est-il passé ? Vous pensez que la révolte des gilets jaunes a joué un rôle dans tout ça ?

Ph : En France, tous les salariés se sont mis la prime Macron à la tête. Quand il a sorti ça, tout le monde s’est dit : « putain, je veux mille balles ». Et puis, on est rentrés dans la boite, et on s’est dit : « mais pourquoi on ne l’a pas ? » C’est ce qui s’est passé !

Bo : Mais dans notre cas, ce sont les actionnaires qui on dit clairement qu’ils ne voulaient pas donner la prime, que Macron ne décidait pas pour eux.

Ph : Macron a fait des cadeaux à tous ses collègues, dans les grosses boîtes comme Orange, pour défiscaliser du pognon en échange du versement de la prime. Ils ont été défiscalisés, mais ils ont donné la prime. Nous, par contre, on a été défiscalisé mais on n’a rien eu. Ils en s’attendaient pas à ce que les boîtes petites comme la nôtre, de 1000 ou 1500 salariés, aillent aussi demander cette prime.

Bo : Nous sommes parmi le 25% de boîtes en France qui n’ont pas eu la prime, alors qu’on aurait dû avoir 600 euros.

St : Pour nous, c’était légitime de demander ça et de suivre le mouvement impulsé par le collectif “en colère” composé de travailleurs non-syndiqués. FO par contre, comme on disait, si ça va dans le sens de l’ouvrier, ils ne sont jamais là pour suivre. Le collectif s’est adressé à tous les syndicats mais nous sommes les seuls à avoir répondu, déjà parce que ce sont nos convictions, mais aussi parce qu’il faut une organisation pour suivre ce type de mouvements.

Ph : On a même participé au lancement de ce collectif, on était avec eux depuis le début.

Bo : Mais par contre on ne pouvait que se joindre au mouvement sans le faire partir vu qu’il y a eu les élections, et ça levait un peu la légitimité. Les gens se sont motivés, voulaient une partie du gâteau. Et je pense que ça c’est l’effet gilet jaune, c’est dans l’air du temps.

Ph : Les gens de la CGC et FO nous ont même demandé si on appelait à la grève. On leur a dit « mais non, on est déjà en grève, et il faut y être, vous arrivez très tard ! ». Et c’est là qu’ils ont perdu beaucoup d’adhérents et de sympathisants, les collègues leur demandaient : « qu’est-ce que vous foutez ? Qu’est-ce que vous attendez ? ». La CGC n’a pas du tout suivi la grève, chez FO, il y avait des élus qui disaient « si on ne suit pas la grève on est mort. Il faut absolument la suivre ! ». Mais sa direction a décidé qu’ils n’allaient pas sortir, et les mecs ils sont rentrés dans le rang. Ça par contre, ce n’est pas un syndicat démocratique. Chez FO, il y a des mecs qui tiennent la barre.

RP : Depuis des années, la politique de négociation et de compromis social des directions syndicales a nourri un sentiment de méfiance vis-à-vis des syndicats. Peut-on faire autrement ? Quelles perspectives voyez-vous pour la réémergence des syndicats combatifs et pour la recomposition du mouvement ouvrier ?

Ph : Moi je comprends le sentiment anti-syndicat. Mais si on n’a pas de syndicat, on met quoi à sa place ? Ce qu’il faut faire, plutôt que de se dire anti-syndicat, c’est d’essayer de renverser les sections syndicales bureaucratiques et prendre leur place. Leur place n’est pas immuable. Le 1er décembre, le mouvement ouvrier avait un rôle à jouer énorme. Macron et le gouvernement, tout aurait pu tomber en cascade, mais le problème c’est que les directions syndicales sont vendues et ne vont jamais rien faire. Je pense qu’il faut créer des collectifs dans les boîtes, mais que les syndicats et les collectifs marchent ensemble. Par exemple, nous, on appuie le mouvement de grève, mais ce n’est pas nous qui négocions avec la direction, ce sont les gens du collectif.

Bo : Là, avec les gilets jaunes, si les syndicats avaient appelé à rejoindre la mobilisation, ça aurait été complètement différent. On aurait pu plus percuter.

Ph : La bureaucratie syndicale ce sont des imbéciles, ils n’ont sorti aucun argument pour mobiliser les gens. Ils n’ont pas voulu le faire et ils ont perdu leur légitimité dans les boîtes, et ça depuis des décennies et des décennies. Depuis 1936, ils perdent des pans entiers de légitimité. La CFDT, l’UNSA… tous ce sont des réformistes de merde. Le gouvernement leur dit « je vous enlève 100 balles » et eux disent « laisse nous 20 balles ». Si on reste sur ce schéma, on est morts. Il faut que des nouveaux syndicats émergent de la base. Pour cela, je pense qu’il faut se servir de l’UNSA. Ils hébergent des syndicats autonomes de la direction, c’est jackpot.

Bo : Si tous les syndicats étaient comme ça, il y aurait eu une convergence des luttes. Il ne faut pas chercher plus loin.

 
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