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La Izquierda Diario
3 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Première victoire pour le peuple algérien
Algérie. Bouteflika forcé à démissionner : c’est avec tout le régime qu’il faut en finir !
Claude Manor

Leurs parents et grands-parents ont mené la lutte d’indépendance nationale. Plus de 50 ans après, les travailleurs Algériens et leur bouillante jeunesse sont à nouveau à la croisée des chemins pour prendre en main leur émancipation … Un projet qui n’est pas pour plus tard mais s’impose dans l’urgence : Le « système » tente de se préserver et cherche la parade ; les manifestants semblent bien déterminés à en finir avec tout le régime. Ce vendredi sera critique pour la suite de la mobilisation.

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Crédit photo : Ryad Kramdi. AFP

En fait de « transition, » l’armée entre en lutte ouverte

Sous le poids de la pression populaire exercée sans relâche depuis un mois, Bouteflika a été forcé à démissionner. Les termes fleuris de la lettre de démission qu’il a remise le mardi 2 avril au président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, où il fait état d’une « décision prise en son âme et conscience » ne parviennent pas à dissimuler une réalité beaucoup plus crue : le président algérien, après 20 ans de pouvoir et une mort pourtant annoncée depuis longtemps, s’est fait mettre dehors « manu militari » par le chef d’Etat-major de l’armée algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah.

Cette initiative, qui a pris pour prétexte des « déclarations non constitutionnelles » de « l’entourage du président », révèle au grand jour des tensions internes au sein du système politique algérien. Elle révèle surtout l’intention de la fraction de l’armée, jusque-là étroitement liée au pouvoir civil de Bouteflika, de contrôler et de détourner à son profit l’extraordinaire mouvement politique qui a jeté massivement les Algériens dans la rue.

Il ne s’agit pas pour autant d’un coup d’état militaire, au sens strict. Les formes institutionnelles sont respectées. C’est une démission en bonne et due forme qui a été remise par le président de la République algérienne, si grabataire soit-il, au président du Conseil Constitutionnel. De quoi se donner le temps et l’espace pour combler un possible vide institutionnel et déployer la procédure d’empêchement inscrite dans la constitution algérienne.

Désormais, en vertu de l’article 102 de la Constitution, le président du Sénat (ou Conseil de la Nation), Abdelkader Bensalah, devrait assurer l’intérim de la présidence, pour une durée de 90 jours au maximum, période au cours de laquelle de nouvelles élections doivent être organisées, par le gouvernement en place. L’armée compte profiter de cette transition comme fenêtre de tir pour se placer.

Au fait quelle est cette armée qui aspire à prendre les rênes de la situation ?

Si l’armée, en Algérie, occupe une position singulièrement importante dans l’appareil d’Etat, c’est évidemment en raison de la « légitimité historique » acquise grâce à la guerre d’indépendance nationale. C’est l’Armée de Libération Nationale (ALN) qui a créé le premier Etat algérien. Tous les présidents algériens jusqu’à l’accession de Bouteflika, ont été des militaires. Tantôt au premier plan, tantôt plus en retrait, l’armée, tout en n’étant pas directement impliquée dans les affaires publiques a toujours exercé son influence, voire son contrôle sur l’Etat.

Cette prégnance a été particulièrement sensible dans la période de guerre civile entre 1992 et 1999. Cette période a vu simultanément la montée de la DAF (Déserteurs de l’Armée Française - fraction de l’armée qui enrôlée par la France aux frontières tunisiennes et marocaines a rejoint plus tard l’ALN) au détriment des « maquisards » qu’elle a progressivement supplantés.

C’est sous le régime Bouteflika que le pouvoir a été progressivement retiré des mains de l’armée pour passer à celles des civils. La DAF est cependant restée un élément puissant et un bénéficiaire du régime en place. C’est elle qui aujourd’hui cherche à reprendre une place hégémonique.

L’armée dirigée par le général Salah se pose, dans la situation actuelle d’extrême tension politique, en gardien des institutions tout en ayant soin de ne pas décrier le mouvement. Comptant se servir de sa légitimité historique et de son nationalisme reconnu, le chef d’Etat-major veut apparaître comme le garant de la transition et du devenir de l’Algérie. Il a, à plusieurs reprises, caressé le mouvement dans le sens du poil.

Il présente, en outre, aux yeux de la bourgeoisie algérienne, une capacité de maintien de l’ordre dans un cadre institutionnel qui est de nature à la rassurer dans l’immédiat, en l’absence notamment d’un nouveau Bonaparte, à même de résoudre les contradictions entre les différentes fractions du régime.

Les Algériens ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour construire leur avenir

Mais les Algériens réitèrent leur détermination à continuer de manifester. Même s’ils ont fait la fête pour célébrer leur première victoire avec le départ de Bouteflika, ils ne veulent pas en rester là. A commencer par le refus du cadre constitutionnel que l’on veut leur imposer à travers la période de transition organisée par les tenants actuels du pouvoir. Ils savent bien que le départ de Bouteflika peut être un marché de dupes.

Ce qu’ils veulent c’est « que le système et ses tentacules mafieuses dégagent ». A l’instar des Gilets Jaunes, ils sont « déters » et ils en font la preuve. La difficulté pour eux est désormais de trouver la boussole qui leur permettrait d’aller vers ce changement politique radical auquel ils aspirent.

Malgré le soin que prend l’armée de jouer avec le mouvement plutôt que contre lui, leurs aspirations vont s’avérer très vite contraires. Rappelons d’ailleurs que l’Algérie n’a pas pris part au mouvement des printemps arabes auquel la situation actuelle fait évidemment penser. L’armée algérienne, si elle ne l’a pas ouvertement critiqué s’est bien gardée de lui apporter son soutien, même en paroles. Ce n’est donc pas de ce côté-là que les algériens en lutte pour leur devenir politique et économique doivent chercher une perspective, et ils en sont bien conscients.

Une autre perspective est mise en avant par l’opposition politique contestataire. Refusant, tout comme les manifestants, le cadre prévu par la constitution qui est en train de s’enclencher après la démission de Bouteflika, elle propose la mise en place d’un gouvernement d’union nationale pour « transformer en profondeur le système actuel. » Rejouant la carte de la réconciliation nationale qui avait été utilisée en 1999 par Bouteflika pour mettre fin à la guerre civile, elle présente les mêmes caractéristiques : une absence totale d’indépendance de classe pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés algériens et un enfermement dans un cadre nationaliste dont les frontières sont toujours nuisibles aux travailleurs, qu’ils soient algériens, français ou de n’importe quel autre pays.

Après des décennies d’existence d’un parti unique et l’apparition, à l’issue de la guerre civile, d’un multipartisme qui est resté bridé par un fort contexte militaro-sécuritaire, la population algérienne est pauvre en ressources politiques organisées susceptibles de la représenter. Quant aux syndicats existants, qu’il s’agisse des travailleurs (UGTA), des enseignants (FTEC) ou des étudiants (UNEA), ils ont tous entretenu, jusqu’à ce jour, des liens étroits avec le pouvoir en place. Ils sont de ce fait peu à même d’envisager un appel à la grève générale qui pourrait ouvrir une véritable insurrection capable de renverser le pouvoir en place.

Privés des droits démocratiques d’expression, les manifestants qui se réuniront dès vendredi dans les rues auront à trouver la voie de leur propre expression politique et de l’instauration d’un gouvernement par eux-mêmes et pour eux-mêmes. C’est-à-dire de la mise en place d’une assemblée constituante révolutionnaire, à l’opposé des élections auxquelles la « transition » est censée les conduire.

 
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