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La Izquierda Diario
3 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Les problèmes commencent ?
Grand Débat : l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage
Iris Serant

Annoncé dès le 10 décembre pour faire taire la rage des rues et des ronds-points, le Grand débat touche à sa fin avec des discussions se poursuivant à l’Assemblée nationale. Si Macron a réussi à se repositionner dans un moment de crise aiguë, la sortie du Grand Débat pose néanmoins de nouveaux défis de taille pour l’exécutif qui a un agenda de contre-réformes à tenir.

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Crédits photos : Ludovic Marin - AFP

Avec l’irruption explosive dans les rues, sur les ronds-points de milliers de travailleurs, chômeurs, précaires, mères célibataires, le calendrier de contre-réformes du gouvernement s’est vu prendre un coup sévère. Sur le fond de crise latente depuis plusieurs mois ou années de représentativité et de désillusion croissante envers les institutions, le pari n’était pas des moindres : celui de calmer et canaliser la fièvre jaune de révolte pour se repositionner, avec en vue les élections européennes.

Ainsi, à côté des milliers de manifestants depuis novembre, ayant mené début décembre à des scènes quasi-insurrectionnelles, après les quelques mesurettes de prime Macron, celui-ci s’était lancé dans un tour de France à la reconquête d’une base sociale déjà faible et qui se décomposait peu à peu. Au moment où des milliers de Gilets jaunes scandent « Macron démission » il s’agissait de se refaire une figure et d’apparaître médiatiquement. Si le mouvement a posé la question des institutions d’un point de vue radical, s’incarnant notamment par la question du RIC, l’enjeu du Grand débat était de tenter de répondre sur le terrain de « la discussion » avec l’ouverture, annoncé « historique » de débats locaux avec le président himself, de cahiers de doléances ouverts à tous et toutes.

Autour des quatre axes imposés, et d’assemblées bien préparées avec des invités triés sur le volet, Macron a partiellement réussi son pari. Il est en effet parvenu à renouer contact avec son socle électoral du premier tour et de conquérir une partie de la base filloniste, tout en se refaisant une place auprès des maires et collectivités territoriales, en bref, en (se) réhabilitant auprès des corps intermédiaires, et répondant ainsi, au moins sur le papier, à la rupture entre villes et campagnes.

Comme le rapportait le Monde dans un récent article, « A ce jour, Emmanuel Macron a déjà participé à 14 débats, dont la plupart se sont tenus en régions, il y a consacré 84 heures et 51 minutes selon les décomptes de l’Elysée, il a rencontré 2 310 élus, pour l’essentiel des maires, 1 000 jeunes, 400 acteurs de la préservation de l’environnement, 60 intellectuels, 150 spécialistes de la politique de la ville, 350 femmes, 55 enfants... » Les moyens ont été mis pour toucher largement, et tenter d’imposer le Grand débat comme le seul lieu légitime de discussion quand la contestation gronde dans les rues.

Au-delà du Grand débat, l’effritement profond des institutions

Néanmoins, si la mise en scène a réussi à faire baisser la tension – du moins relativement, l’enjeu principal était bien de faire rentrer dans les rangs, ou au moins temporiser la colère populaire exprimé notamment par les Gilets jaunes. Or, les manifestations, et même si les éléments les plus insurrectionnelles du 1er décembre ne sont plus d’actualité, force est de constater que la mobilisation se maintient à un niveau non négligeable après 4 mois, et a fait de nouveau frémir le pouvoir comme en témoigne l’acte 18. De même, si le Grand débat a réussi à occuper une place médiatique importante, un sondage BFM, sans y accorder trop de crédit, révélait néanmoins que « 8 français sur 10 estiment que le grand débat national ne résoudra pas la crise politique ».

Et en effet la crise est plus profonde. D’un côté, le camp Macron a perdu de son souffle, avec l’affaire Benalla, les démissions en chaîne, et un nouveau remaniement qui a du mal à passer : recomposer un bloc stable derrière lui reste chose difficile. En plus de la vague de contestation en Algérie qui affecte directement l’impérialisme français. De l’autre, la désillusion envers l’État est violente face à l’escalade répressive mise en place pour faire taire la contestation, aux institutions judiciaires et législatives appliquant massivement une criminalisation du mouvement, et les médias dominants qui n’ont eu de cesse de relayer la propagande gouvernementale. La question des violences policières dévoile de plus en plus ouvertement l’institution policière, comme bras armé de l’Etat.

Cette défiance, même si elle ne s’est pas étendue à un affrontement au patronat et à la remise en cause plus profonde du système économique capitaliste que sert l’État ne va pas pouvoir être résolue de sitôt. De même, même si les directions syndicales ont mis un point d’honneur à maintenir le mouvement ouvrier organisé traditionnel dans les rangs, la porosité entre les Gilets jaunes et ce mouvement ouvrier des grandes concentrations et les risques de « contamination » sont bien là.

La sortie du Grand débat ou l’enjeu de la sortie de crise

Et le plus dur reste encore à venir, le vrai problème est en effet la sortie de ce Grand débat. Et les signes montrent que l’exécutif est encore incertain. Il n’y a qu’à voir les déclarations d’Edouard Philippe qui, il y a un mois prévenait, grand visionnaire, d’un « risque déceptif » à la fin du Grand débat, quand il se targue aujourd’hui de « décisions puissantes » pour la mi-avril, restant donc très flou en la matière. « Ni reniement » de ce qui a été fait, ni « entêtement » déclarait Macron ce mercredi, des discussions de méthode pour éviter celles de fond.

C’est que le travail de synthèse que doit opérer le gouvernement est loin d’être simple, et que la politique du « en même temps » a du plomb dans l’aile. En même temps, répondre aux aspirations des 1,5 millions de participants à la consultation, mais aussi aux aspirations sociales des Gilets jaunes, et en même temps, maintenir l’agenda néolibérale de restrictions budgétaires et d’atomisations des acquis ouvriers.

Une des rares pistes mises en avant par l’exécutif est la remise en place de conseillers territoriaux. Cela permet à Macron de réhabiliter des corps intermédiaires en mettant en avant une clarification du « mille-feuille administratif » et la proximité démocratique – d’autant plus que les Gilets jaunes sont les laissez-pour compte du péri-urbain –, tout en répondant aux impératifs de baisse de dépenses publiques, car cela engendrerait la suppression de 3 à 4000 postes de fonctionnaires. Bien moins consensuel, c’est aussi le chantier sur les retraites que le gouvernement compte bien reprendre – avec la mention ici et là d’un allongement du temps de travail –, en s’appuyant notamment sur les consultations pour légitimer cette contre-réforme historique.

Pas de « solution miracle » répète l’exécutif, mais une occasion pour lui, sous couvert de simplification administrative que ce soit pour les retraites ou les corps intermédiaires, de repasser à l’offensive. Mais toujours avec ce risque énorme de raviver la colère, en pleines élections européennes qui plus est, et que d’autres pans de la population et notamment des travailleurs pourraient se décident à rentrer dans la bataille contre ce gouvernement.

Dans tout leur blabla, la seule chose certaine c’est que ce n’est pas du gouvernement qu’il faut attendre une quelconque solution, qui se résumera quoi qu’il en soit à tenter de répondre aux impératifs économiques, à l’encontre de nos intérêts. Au contraire, et alors que l’assemblée des assemblées de Saint-Nazaire se prépare, c’est bien du côté de la rue, de la grève, de nos propres méthodes d’organisation et de décisions que nous devons continuer à regarder.

 
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