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La Izquierda Diario
6 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Algérie
Silences gênés, petites phrases, les réactions officielles à l’international après la démission de Bouteflika

La démission le 2 avril dernier d’Abdelaziz Bouteflika du poste de président de la République algérienne a provoqué des réactions de la part des diplomaties étrangères, France et Etats-Unis en tête. Si ces prises de positions semblent plutôt discrètes et se drapent de sentiments prétendument bienveillants à l’égard du peuple algérien, elles dévoilent surtout les velléités des puissances impérialistes sur les richesses du pays.

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Les réactions n’ont pas tardé après l’annonce de la démission de Bouteflika qui acte un tournant dans la mobilisation populaire en cours depuis le 22 février. Alors que du côté des masses populaires le débat porte maintenant sur comment en finir définitivement avec le régime de spoliation au pouvoir depuis l’indépendance, pouvoir incarné ces deux dernières décennies par le clan Bouteflika, les puissances impérialistes suivent attentivement la situation, à l’affût des moindres occasions qui leur permettront de faire passer leurs intérêts avant ceux du peuple algérien.

La France et les Etats-Unis, insatiables rapaces impérialistes

L’administration américaine a été la première à réagir, le porte-parole de la diplomatie, Robert Paladino, déclarant une heure seulement après l’annonce qu’il « revient aux algériens de décider comment gérer cette transition en Algérie ». Si cette déclaration peut sembler anodine, elle revêt en réalité une portée importante concernant le pays, ancienne colonie où l’Etat français a su garantir la préservation de ses intérêts, y compris après la fin de la guerre d’indépendance. En effet, il faut comprendre dans cette petite phrase que les Etats-Unis de Donald Trump ne souhaitent pas passer à côté d’une occasion qui leur permettrait de contourner l’impérialisme français, dont la domination a été historiquement établie au Maghreb.

D’abord, le marché national tel que le secteur de l’automobile où le concurrent français Renault est en bonne position, est l’objet de convoitises. Car le secteur industriel américain, durement touché après la crise de 2008, a du mal à écouler ses marchandises tout en maintenant son taux de profit. Mettre la main sur le marché algérien serait ainsi un bol d’air pour les entreprises américaines, à l’image de Général Motors ou Ford.

Ensuite, il y a surtout le secteur énergétique, et cela à l’heure où l’administration de Trump fait tout pour contrôler les cours du pétrole et écouler ses propres barils. Car là encore les Etats-Unis souhaitent monopoliser l’offre. Devenu premier producteur de brut en 2015, le pays qui compte les plus grosses sociétés privées au monde d’extraction et de raffinage de pétrole se doit aujourd’hui d’écouler ses propres barils dans un contexte où les prix ont chuté. C’est pourquoi l’Etat américain met la pression sur les pays producteurs de pétrole pour les pousser à réduire leur production, afin d’éviter d’accentuer la baisse des prix. D’ailleurs si du côté russe, le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a espéré que cette transition algérienne « n’aura aucun impact sur les relations amicales bilatérales » entre les deux pays, et qu’elle se déroulera « sans ingérence de pays tiers », c’est surtout dans la mesure où l’Algérie est un de ses clients en matériel militaire, autant qu’elle peut être un allié de circonstance au sein de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) – la Russie est désormais le deuxième producteur mondial de pétrole – contre la politique agressive des USA.

Mais de fait aujourd’hui le volume de production du pétrole algérien est en baisse depuis une décennie. L’Etat américain n’a donc pas intérêt à ce que cela change au risque d’approfondir la tendance à la baisse du prix du baril. Et il n’a pas intérêt non plus à ce que le concurrent français regagne du terrain au Maghreb, et profite de son poids historique pour peser dans la recomposition géopolitique qui se joue actuellement.

Car l’Etat français n’est pas en reste sur l’accaparement des richesses naturelles algériennes. Quand bien même la prise du pouvoir par Houari Boumediene en 1965 annonçait pompeusement la nationalisation du secteur des hydro-carbures, et donc la remise en cause des accords d’Evian signés trois ans plus tôt avec les ex-colons, il n’en reste pas moins que les nouveaux accords laissaient 180.000 kilomètres carrés du domaine minier algérien à l’Etat français qui le gérait en collaboration avec l’Etat algérien, au profit exclusif des entreprises françaises. De même pour une partie non négligeable du gaz extrait du sol algérien et exporté vers la France et l’Europe à moindre frais, et toujours au profit de ces mêmes entreprises. On comprend donc aisément pourquoi l’actuel ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian se satisfait particulièrement du caractère « pacifique » qu’a revêtu la mobilisation jusque-là, et félicite implicitement le chef de l’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, de s’être aperçu suffisamment tôt qu’il fallait pousser Bouteflika vers la sortie pour espérer pouvoir contenir la révolte et préserver ainsi les intérêts de l’impérialisme. Le gouvernement d’Emmanuel Macron est suffisamment affaibli depuis l’ouverture de la crise des Gilets jaunes sur le territoire français, pour être en mesure d’assumer un autre bras de fer, sur le plan international cette fois.

Il est clair que si la lutte du peuple algérien s’orientait aujourd’hui vers la réappropriation des richesses nationales, notamment dans le secteur énergétique, avec la nationalisation des gisements de gaz et de pétrole et l’annulation des contrats néo-coloniaux, ni les USA ni l’Etat français ne donneraient l’air de saluer aussi allègrement la mobilisation du peuple algérien. Ces opérations de communication intercroisées ne doivent surtout pas faire oublier aux couches populaires algériennes que derrière Bouteflika, son clan, ceux qui lui ont précédé et ceux qui veulent lui succéder, ce sont les puissances impérialistes qui tirent les bénéfices.

Pour se convaincre de l’hypocrisie de ces diplomates professionnels au service de la barbarie, il n’y a qu’à voir la déclaration du secrétaire général des Nations Unies (ONU), Antonio Guterres qui saluait « le calme et le respect dont fait preuve le peuple dans l’expression de son désir de changement ». N’est-il pas insultant de voir le dirigeant de cette instance internationale qui légitimait hier les bombardements en Lybie, souhaiter à haute voix une « transition pacifique et démocratique » en Algérie ? La démocratie dont il parle n’est autre que celle des chars de l’OTAN en Afghanistan, et la paix celle que l’aviation saoudienne veut instaurer au Yemen sous l’oeil bienveillant du Big Brother américain. Le peuple algérien descendu manifester dans les rues par millions ne doit pas en être dupe.

Les réactions des dirigeants du monde arabe et africain : un silence qui en dit long

Enfin, il faut noter l’absence de réaction significative parmi les dirigeants du monde arabe et africain. Alors que le 30e sommet arabe s’est clos le 31 mars à Tunis, les diplomaties arabes n’ont émis aucune déclaration officielle depuis l’annonce de la démission. Si Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, a exprimé le 17 mars sa pleine solidarité avec le peuple algérien, qui « trouvera, en lui-même, les ressources nécessaires pour relever les défis de l’heure et jeter les bases du renouveau national souhaité », il n’a depuis fait aucune déclaration. Un silence qui en dit long sur les années de collaboration entre les différents régimes autocratiques qui mènent la vie dure aux peuples africains dominés par l’impérialisme.

Interrogé par le quotidien Al-Quds Al-Arabi ce 4 avril, le président tunisien Béji Caïd Essebsi est le seul à avoir commenté l’actualité algérienne. « Ce peuple est pleinement conscient des risques de conflits, et je crois qu’il peut surmonter cette épreuve, parce qu’il a déjà vécu des situations similaires dans le passé », a-t-il déclaré en référence à la mort du président Houari Boumediene en 1978. Malgré « les craintes de troubles dans le pays, (…) les choses s’étaient bien passées. Les algériens ont trouvé une solution en ramenant le président de l’Assemblée nationale pour assurer l’intérim pendant 45 jours, avant de faire appel au président Chadli Bendjedid », a-t-il ajouté. Celui qui est un pur produit du système de Ben Ali et qui incarne la contre-révolution tunisienne fait ainsi référence à l’infitah (« ouverture ») débutée à la fin des années 70, c’est-à-dire le tournant néo-libéral avec l’accélération des réformes anti-sociales qui ont plongé les masses populaires algériennes dans la misère. Rien d’étonnant pour un président qui met aujourd’hui toute son ingéniosité à trouver comment il pourra répondre aux exigences du FMI en faisant payer aux masses populaires tunisiennes la dette engendrée par le pillage du pays.

Côté égyptien, à l’occasion d’une cérémonie à la mémoire des « martyrs de guerre », le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a accusé les mouvements de contestation régionaux de mener « ces pays » à leur perte, sans citer les noms des pays en question. « Actuellement, dans des États de notre région, les gens parlent de la situation économique et des conditions de vie difficiles. Ils ne font ainsi que gâcher leur pays et le conduisent à sa perte », a-t-il déclaré lors d’une allocution télévisée. Le président issu d’un coup d’État militaire en 2013 n’a, depuis, émis aucune autre déclaration. Il est clair qu’en Egypte, en Tunisie, et sans parler du Maroc où l’autoritarisme brutal du roi fait régner une chape de plomb, les dirigeants politiques comme Al-Sissi ne peuvent que craindre la contagion de la mobilisation du peuple algérien vers les autres pays de la région.

Après l’élan des printemps arabes, les masses populaires se retrouvent aujourd’hui à nouveau spoliées y compris dans les pays les plus avancés du processus révolutionnaire de 2011. D’une part, les revendications démocratiques qui ont été concédées sont maintenant constamment remises en cause, comme en témoigne la situation en Tunisie et le coup d’Etat militaire en Egypte. Les politiques de ces gouvernements au service des puissances impérialistes ont eu pour conséquences la dégradation des conditions de vie et de travail des couches populaires, l’inflation rognant continuellement sur le pouvoir d’achat, et les services publics étant démantelés sous la pression du FMI. S’il est donc clair qu’il n’y a rien à espérer du côté des dirigeants marionettes, c’est du côté des peuples du monde entier qu’il faudra chercher à construire la solidarité, à l’image de la révolution en cours au Soudan, des manifestations de soutien en Tunisie, ou du mouvement social qui a simultanément lieu au Maroc.

Contre toute transition dictée par les puissances impérialistes et par leur relais locaux incarnés par l’armée ¬– pur produit du système – ou le patronat libéral qui parle « d’ouvrir les portes aux l’investissements étrangers » dans l’industrie et le secteur énergétique, les travailleurs, les chômeurs, les femmes et l’ensemble des couches populaires et des masses opprimées doivent se doter de leur propre organisation et de leur propre programme. Contre la volonté des puissances impérialistes de récupérer leur mouvement pour redécouper entre elles les parts du gâteau, les masses populaires doivent défendre coûte que coûte leurs propres intérêts, en s’organisant sur les lieux de travail, d’habitation, et d’étude. Contre l’accaparement et la spoliation de la production par une minorité parasite, il faut opposer la nationalisation et le partage des richesses nationales et du temps de travail, afin d’éliminer la misère et le chômage. Et contre l’impérialisme pourrissant, il faudra y opposer la solidarité entre les peuples.

 
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