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La Izquierda Diario
10 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Une mascarade institutionnelle de plus
Privatisation totale d’ADP : le RIP un coup d’épée dans l’eau ?
Claude Manor

Quelque 248 parlementaires viennent de lancer une procédure pour empêcher la privatisation totale d’ADP. Engagé à l’initiative d’une centaine de députés Les Républicains rejoints par des députés de gauche, le RIP n’a en réalité rien à voir avec un référendum. En effet, même si la procédure aboutissait malgré les nombreuses embûches, elle serait tout simplement renvoyée au Parlement. Dès lors, LREM qui possède la majorité à l’Assemblée, pourrait tout simplement voter contre. La boucle est bouclée.

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Crédit photo : PHILIPPE LOPEZ / AFP

A priori, empêcher la privatisation totale des Aéroports de Paris est un sujet consensuel pour tout travailleur, ou pour tout Gilet jaune mobilisé depuis bientôt 5 mois. Pourtant à y regarder de plus près, il y a d’emblée une contradiction dans l’équation. Voir les députés Les Républicains déposer une proposition de RIP qui était dormante depuis 2008 contre la privatisation d’ADP a de quoi faire sourire. Car un coup d’œil en arrière suffit à nous rappeler que le projet de François Fillon, ancien candidat à la présidentielle, était, à l’inverse, de relancer une vague de privatisation dont celle de … ADP.

Il y a donc anguille sous roche, et cela d’autant plus qu’en définitive comme l’affirme Marianne : « Ce mal nommé "référendum d’initiative partagée" ne porte donc en lui aucune promesse d’une véritable consultation populaire qui produirait des effets juridiques. Aucun référendum ne sera en effet organisé si la majorité macroniste, celle qui a voté en premier lieu la privatisation d’ADP, en décide autrement. »

Un « drôle d’attelage » pas si idiot que ça

Pour qu’un RIP soit éventuellement organisé il fallait, au départ, que l’initiative soit portée par au moins 185 parlementaires. Grâce à la convergence droite/gauche, ce seuil est largement dépassé. La procédure est donc enclenchée. Le gouvernement qui compte bien s’en sortir à bon compte n’a évidemment pas tardé à se gausser de ce « drôle d’attelage ». La ministre de la Cohésion des territoires a pu ricaner : « C’est assez rigolo. Que LR fasse un front uni avec LFI, je ne savais pas que je verrais ça dans ma vie politique. »

Pourtant, un peu plus de réalisme politique verrait là une tactique qui, même si elle a peu de chances d’aboutir, est loin d’être idiote. La situation politique profonde en France qui a vu l’accession de Macron à la tête de l’exécutif, avec une extraordinaire majorité de soutien à l’Assemblée, n’a pas fondamentalement changé. Le pouvoir de Jupiter s’est bâti, par défaut, sur les ruines des partis traditionnels, PS et LR en tête. Depuis, et malgré la chute relative du Bonaparte au petit pied, ils n’arrivent pas à remonter la pente.

Sans changer pour l’instant complètement la donne, le mouvement des Gilets Jaunes a fait émerger un acteur politique avec lequel il faut désormais compter. Leur présence réelle et médiatique, l’écho de leur mouvement au sein des masses en font désormais une « clientèle » à ne pas négliger et un réservoir conséquent de voix pour des tactiques électorales et institutionnelles.

Pour les Républicains, le « coup » qui consiste à engager, aux côtés des députés de « gauche », un RIP contre la privatisation d’ADP est astucieux et autorise une double détente :

Par l’utilisation du Référendum d’Initiative Partagée, il côtoie, sans se confondre avec elle, la revendication du RIC, très présente parmi les Gilets Jaunes. Cette initiative peut apparaître, aux yeux de certains d’entre eux, comme un « premier pas » dans la démocratisation du fonctionnement institutionnel. Au point qu’un Gilet Jaune a pu écrire sur facebook : « à défaut de RIC, il faudra peut-être se contenter du RIP ».
Le tour serait peut-être difficile à jouer si le thème en cause était contraire aux revendications des Gilets Jaunes. Mais justement, il s’agit ici de « se battre », formellement au moins, contre les privatisations. Un petit air « antisystème » qui ne devrait pas être pour déplaire aux Gilets Jaunes qui font de la défense des services publiques l’un de leurs principaux chevaux de bataille.

Une apparence « antisystème » qui ne mange pas de pain

Pour autant, il ne faut pas être dupe de la tactique politique. S’il s’agissait véritablement de s’opposer aux privatisations tout azimut auxquelles aspire le patronat, la contradiction serait insoutenable pour les Républicains et ils se trouveraient dans l’impossibilité absolue de tenir, même temporairement, cette posture.

Mais quels sont les enjeux réels ? Rappelons, tout d’abord, que la démarche ne porte pas sur les privatisations « en général », ni même sur la loi Pacte, votée récemment, et qui prévoit la suppression de l’obligation pour l’État de posséder la majorité du capital dans les entreprises où il est engagé. Le RIP dont il est question aujourd’hui concernerait exclusivement la privatisation d’ADP. LR prend d’ailleurs bien soin de demeurer dans ce cadre et de justifier sa position par le fait que les aéroports sont des « frontières » sur lesquelles l’Etat doit conserver un contrôle. Une manière habile de redonner un parfum de « droite » à une action qui pourrait apparaître teintée d’une coloration « gauche ».

Quant à la privatisation d’ADP elle-même, ce n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle est déjà largement effective depuis un certain temps. Il s’agirait en fait, par la cession d’actifs entraînant la perte de majorité de l’Etat, d’un approfondissement et surtout d’une accélération d’un processus dont la chronique est, en tout état de cause, toujours la même. Comme l’a montré la cession du réseau autoroutier à trois grands opérateurs dont Vinci, également partie prenante dans la privatisation d’ADP, le résultat de ce processus c’est toujours, pour l’Etat, du cash, souvent pour éponger sa dette, et pour le ou les acheteurs privés, des profits considérables engrangés à long terme sur un équipement arrivé à maturité. Un marché dont les bénéfices substantiels vont toujours dans le même sens.

Ce n’est pas de cette manière-là que les revendications seront satisfaites

On l’aura compris, le RIP lancé à l’Assemblée, relève d’un jeu politique institutionnel qui n’a pas grand-chose à voir avec la possibilité de satisfaire de réelles revendications de services publics de transport, de santé, d’éducation… répondant aux besoins des usagers et des travailleurs.

Le choix et l’enclenchement de cette procédure « RIP », sous couvert d’opposition à la privatisation d’ADP, n’a pas beaucoup plus de chances d’aboutir que n’en aurait actuellement le dépôt d’une motion de censure. Puisque ça se terminera, au mieux, par un retour à la case départ, devant l’Assemblé Nationale où LREM détient la majorité. Le processus du RIP est long, semé de difficultés, de rebouclages, bref conçu pour être quasi insurmontable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il n’a jamais servi jusqu’ici. Sa principale caractéristique c’est qu’il dure….. plusieurs mois. De quoi donner le temps au temps. Une tactique que Macron a cherchée avec le grand débat et qui change de forme en même temps que de camps avec le RIP.

Ce n’est pas pour autant que la question des privatisations d’ADP, d’ENGIE et de bien d’autres derrière n’est pas essentielle pour les travailleurs et l’ensemble de la population. Mais si l’on proposait un deal aux députés qui aujourd’hui lancent le RIP contre la privatisation d’ADP : « vous qui ne voulez pas de la privatisation de nos aéroports seriez-vous prêts à soutenir leur nationalisation totale sous le contrôle des travailleurs ? », sûr alors que l’alliance d’un jour volerait en éclats et qu’ils ne seraient pas nombreux à répondre « oui », référendum ou pas référendum.

Non ce n’est pas un pseudo référendum qui pourra répondre à l’alternative privatisation totale /nationalisation totale. Ce n’est que par les méthodes traditionnelles du mouvement ouvrier et de la lutte des classes que les travailleurs pourront mettre en place et contrôler les services publics dont ils ont besoin.

 
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