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La Izquierda Diario
14 de avril de 2019 Twitter Faceboock

8ème vendredi de manifestation en Algérie : la mobilisation à l’épreuve de la répression
Mones Chaieb

Ce vendredi les manifestations ont encore été massives dans les rues algériennes pour s’opposer au gouvernement de transition dirigé par le président par intérim nommé le 9 avril, Abdelkader Bensalah, et le Premier Ministre Nourredine Bedoui. Ce gouvernement avait pourtant annoncé la tenue d’élections présidentielles le 4 juillet prochain, mais cela n’a manifestement pas calmer la colère, démontrant que derrière les slogans initiaux « anti-cinquième mandat », c’est bien la volonté d’en finir avec tout un système d’inégalités sociales et d’injustices qui a poussé les masses populaires à se mobiliser. Le tournant répressif embrayé par le régime, avec usage de gaz lacrymogène, blindés équipés d’émetteurs à ondes ultra-sonores, balles en caoutchouc, et matraques contre les manifestants, ainsi que la désinformation et les opérations de communication du régime pour légitimer un coup de force de l’appareil militaire n’y font rien, et la mobilisation ne faiblit pas.

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Alors que cela fait bientôt deux mois que le peuple algérien est mobilisé contre le régime et exige le départ de ses représentants, il rejette maintenant le gouvernement imposé par le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah qui, après avoir longuement servi le clan Bouteflika, tente aujourd’hui de se poser en arbitre en montrant les muscles et en décrétant quelles sont les revendications populaires qui pourraient être réalisables ou pas. La mobilisation se dirige donc désormais contre les élections présidentielles annoncées par Bensalah pour le 4 juillet prochain, soit dans à peine trois mois. A la question de savoir ce qui se passera une fois que tous auront été dégagé, la réponse partagée est grosso modo la suivante : « on ne sait pas encore ce qu’on va mettre à la place, mais en tout cas on ne veut pas de tous ceux qui ont profité de près ou de loin du système ». En effet, comment accepter que les institutions qui ont contribué à mettre en place la chape de plomb de Bouteflika sur le pays, en premier lieu l’institution présidentielle, mais aussi la justice, le parlement, le conseil constitutionnel, l’armée et la police, non seulement restent en place mais soient chargées d’assurer une transition qui n’a de démocratique que le nom ? En somme, après avoir pris conscience de la force de la la mobilisation populaire, comment accepter un retour à l’ordre ancien, sans que rien n’ait changé vraiment, mis à part le nom du prochain raïs ?

Tournant répressif : le régime face à ses contradictions

Face à ce rejet, le régime a tenter le tout pour le tout pour sauver sa peau, en mettant en place un dispositif répressif important ces derniers jours. Une fois la démission de Bouteflika actée, il a exprimé sa volonté d’interdire les manifestations, à l’instar de la répression contre la marche des étudiants mardi dernier à coups de canons à eau, de grandes lacrymogènes et de blindés NIMV SR équipés d’émetteurs d’ondes ultrasonores. Cette épisode a montré que loin des beaux discours, sur le terrain l’état-major de l’armée ne converge pas avec les revendications des manifestants, bien au contraire. Ensuite, ce sont des dizaines de barrages de police qui ont été mis en place sur les routes menant à Alger ces deux derniers vendredi, afin d’empêcher les manifestants venus des provinces de marcher sur la capitale.

Aujourd’hui vendredi 12 avril, les forces de répression ont tenté d’évacuer les manifestants de la place de la Grande Poste d’Alger dès le matin, sans succès. En réalité c’est toute une stratégie contre la mobilisation qui est mise en place. Celle-ci joue également sur la désinformation avec des opérations de communication orchestrée par un régime qui cherche à se re-légitimer après l’énorme claque infligée par un mois et demi de manifestations et de grèves massives. Et comme si les petites phrases distillées dans les médias qui accusaient les manifestants d’être à la solde d’une main étrangère ne suffisaient plus, aujourd’hui c’est comme un mauvais remake des épisodes de la décennie noire qui semble être produit par le pouvoir. En effet, à la fin du huitième vendredi de manifestation, une information a été diffusée par la Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN), affirmant qu’une attaque terroriste avait été déjouée à Alger. Mais aucun témoignage ne vient corroborer cette histoire, alors qu’une telle opération impliquant des armes lourdes et mobilisant un dispositif important aurait dû être visible. En parallèle dans la capitale les forces de police ont fait usage de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc, et ont provoqué et chargé à maintes reprises les manifestants, des policiers en civil s’infiltrant également dans la foule pour saboter la manifestation. Il semble donc au vu de ces éléments que le chef de l’état-major Ahmed Gaïd Salah cherche un prétexte pour justifier de s’arroger les pleins pouvoirs à travers la mise en place de l’état d’exception, dont il a commencé à parler lors de son dernier discours mercredi 10 avril.

VIDEO témoignage d’un jeune victime d’un tir de balle à caoutchouc :

Pour autant, cette stratégie ne s’est pas avérée payante jusqu’ici. D’abord parce qu’il faut beaucoup plus pour intimider les masses populaires algériennes. Celles-ci ont grandi avec le récit de la grande guerre d’indépendance puis de la décennie noire lors desquelles quasiment toutes les familles ont sacrifié un ou plusieurs martyrs. Et puis la répression actuelle n’a rien de comparable avec les 120 jeunes tués lors du printemps noir de 2001, ou même les faces à faces tendus avec les forces de police en 2011. Ensuite l’argument de la main étrangère ne convainc personne, étant donné qu’il est de notoriété publique que c’est précisément ce régime qui a bradé les richesses nationales aux puissances impérialistes, que cela soit dans le secteur des hydrocarbures, de l’agroalimentaire, ou des biens de consommation en général. Enfin, le tournant répressif qu’a tenté d’opérer le régime a été jusque là un échec, car – et c’est là un point important – tout ce que les corps répressifs compte d’éléments populaires, policiers de base, mais aussi conscrit, soldats et petits officiers, ne sont pas insensibles à la mobilisation et à ses mots d’ordre, le régime en place n’ayant su que produire des injustices et des oppressions, jusqu’au sein de son propre appareil répressif, et cela depuis au moins vingt ans. De plus la force de la mobilisation populaire qui a jeté la figure de Bouteflika dans les poubelles de l’histoire, fait douter ceux qui étaient auparavant convaincus au point d’intégrer l’appareil policier sur la question de savoir s’ils ont rejoint le bon camp.

Policier armés de fusil à balles à caoutchouc ce vendredi à Alger

C’est partant de ce constat que l’annonce d’un attentat déjoué dans cette manifestation laisse perplexe. En effet, quoi de mieux pour justifier la répression policière que le prétexte de lutte anti-terroriste ? Une manière de re-discipliner les forces de police ainsi que de faire peur aux manifestants et de pousser à accepter de se plier au dispositif sécuritaire.

C’est pourquoi les manifestants qui se tournent aujourd’hui vers les secteurs de militaires et policiers et qui en appellent à leurs origines sociales populaires pour refuser les ordres, ne doivent pour autant pas nourrir d’illusions vis-à-vis de l’appareil répressif de l’Etat. Sa structure de même que ses objectifs ont été conçu et développé pour garantir la protection des classes dominantes. Les militaires et les policiers ne sont pas contrôlé par les travailleurs et les masses populaires, mais par le chef de l’Etat, celui de l’armée et celui des renseignements généraux (ex-DRS), c’est-à-dire la tripartite sur laquelle repose le régime qui assure à l’impérialisme lui-même les conditions de reproduction de sa domination, dont l’extraction du pétrole et du gaz sous haute surveillance dans le Sud, au profit des grandes entreprises françaises et américaines. Et pour être en mesure de décrocher des secteurs considérables de policiers et militaires de base contre le régime, et donc contre leur propre corporation, il est nécessaire de dépasser le stade du dégagisme et de formuler un programme qui soit en mesure de mettre d’unifier l’ensemble des masses populaires algériennes, avec la perspective de construire une autre société. Sans cela, ces secteurs pourront certes témoigner par moment d’une sympathie envers le mouvement, mais resteront acquis au pouvoir en place et finiront par obéir aux ordres et réprimer à la faveur d’un changement de situation, comme on a pu le constater ce vendredi 12 avril.

La centralité de la classe ouvrière pour construire un bloc contre-hégémonique face au régime

Si les manifestations de rue se sont multipliées cette semaine, notamment avec les marches des étudiants qui ont repris les cours depuis dimanche dernier, cette semaine a été marquée par une nouvelle séquence de grève massive. Là encore les chiffres exactes manquent faute d’organisation en mesure de centraliser les informations et de coordonner les actions des travailleurs, mais on peut quand même affirmer qu’elle a été largement suivie dans les secteurs publiques, ainsi qu’à la Sonelgaz, Naftal, Algérie Télécom, dans la zone industrielle de Rouiba, ou encore chez les cheminots de la SNCT, les dockers de Bejaïa, de même que dans certaines entreprises privées à l’instar d’AlCost dans le textile. Les revendications principales exprimées sont orientées contre le régime - « yetnahaw ga3 » (« qu’ils dégagent tous ») - et contre son relais dans la classe ouvrière : la direction bureaucratique de l’UGTA incarnée par Sidi Saïd. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce dernier soit encore en poste alors que les principales figures du régime de Bouteflika aient dû démissionné. Si le chef de l’état major Ahmed Gaïd Salah a poussé le président lui-même à démissionner sous pression de la rue, afin de préserver une porte de sortie pour le régime, il garde en revanche précieusement auprès de lui le secrétaire général de la centrale syndicale Sidi Saïd, conscient de l’arme qu’un syndicat indépendant du régime et au service des travailleurs peut représenter contre le système.

La béquille du régime n’est toutefois pas insensible aux pressions de la base. Alors que les rassemblements et manifestations de travailleurs se multiplient pour exiger sa démission, le secrétaire général a annoncé hier qu’il ne se représenterait pas à l’issue du prochain Congrès syndical, qui sera lui même avancé à une date pas encore communiquée. La défection de quatre sections locales de poids – Oran, Alger, Bejaïa, et Tizi Ouzou – qui se sont joints au hirak, en revendiquant également le départ de Bouteflika et de tout le régime (alors que Sidi Saïd a soutenu l’ex-président jusqu’au bout), a probablement accéléré les choses et l’a poussé à faire cette annonce. La question qui se pose pour les travailleurs est là encore de dépasser le dégagisme et d’établir un programme d’action pour faire du syndicat un outil au service de leurs intérêts de classe et de la mobilisation. Pour cela il s’agit non seulement d’affirmer que le syndicat ne doit pas être subordonné à l’Etat et aux patrons, mais aussi qu’il doit permettre l’expression démocratique de l’ensemble des travailleurs. Cela veut dire concrètement qu’il ne doit pas être verrouillé par une aristocratie ouvrière qui bénéficie d’une place privilégiée dans la répartition des profits réalisée grâce à la rente pétrolière et gazière, mais qu’il doit être un outil démocratique qui intègre et sert les intérêts des travailleurs du privée, des femmes travailleuses, et des précaires invisibilisé par la bureaucratie aux ordres des classes dominantes.

Grévistes de la SNTF (cheminots)

A l’heure actuelle ce combat n’est cependant pas indépendant de la construction de cadres d’auto-organisation à la base contre la confiscation du processus démocratique par les vieux débris du système. Ce sont dans ces cadres que les travailleurs pourront décider eux-mêmes de leur mouvement, et faire émerger leurs propres revendications contre toute tentative des bureaucraties de chercher des arrangements avec le régime. C’est à ce prix là que le mouvement ouvrier pourra donner une direction à la mobilisation, et drainer derrière lui tout ce que l’Algérie compte d’opprimés et d’exploités. Pour cela il est indispensable qu’il apporte d’une part des réponses aux revendications démocratiques exprimées par les masses, qu’il revendique le contrôle du processus démocratique à la base contre les tentatives de spolier les masses à travers un gouvernement de transition qui ne signifie rien d’autre que la continuité du régime de Bouteflika sans Bouteflika. Et d’autre part qu’il lie la question démocratique à ses revendications sociales en ce qui concerne le pouvoir d’achat, le chômage, ou encore les conditions de travail, tant la critique radicale des institutions anti-démocratiques du régime actuel, et la revendication d’une démocratie jusqu’au bout ne pourra se faire sans aborder les éléments de programme tels que la nationalisation et le partage des richesses, la baisse du temps de travail et l’embauche des chômeurs, l’accès au soin et à l’université pour toutes et tous, ou encore la prise en charge des tâches domestiques et de l’éducation des enfants par l’Etat.

Anti-impérialisme et solidarité internationale

A l’heure actuelle dans les processus en cours en Algérie, mais aussi au Soudan, en Centrafrique ou au Mali, les masses populaires se révoltent en revendiquant la réappropriation des richesses nationales et remettent en cause de la présence militaire impérialiste – en particulier française – en Afrique. La crise du capitalisme en Europe et aux Etats-Unis d’Amérique provoque en effet l’inflation et l’accroissement de la misère dans les colonies et semi-colonies, dont les économies sont dépendantes de la demande des pays impérialistes. De plus cette crise remet durablement en cause l’hégémonie d’un capitalisme mondialisé qui avait réussi à s’imposer comme « fin de l’histoire » à la suite de la chute du mur de Berlin. Il faut également ajouter à cela le saut accompli dans la conscience des masses avec les processus de 2011 dans les pays voisin – Tunisie, Egypte – qui dégageaient littéralement des dictateurs qui paraissaient inamovible et démontraient par là la force de la mobilisation populaire, bien qu’elle n’ait pas réussi à l’époque à renverser véritablement les piliers de ces régimes et la domination impérialiste, les processus se soldant par l’intervention militaire de l’OTAN en Lybie, la guerre civile en Syrie, le coup d’Etat militaire en Egypte, et la mise en place de gouvernements ultra-libéraux en Tunisie. Pour autant la combinaison de tous ces éléments font qu’aujourd’hui les revendications exprimées par les masses ne sont plus limité par un horizon indépassable, et la main mise des puissances françaises et américaines sont directement mises en joue.

Dans ce contexte il s’agit premièrement d’acter que les travailleurs sont en première ligne pour lutter contre l’exploitation impérialiste. Non seulement dans le secteurs des hydrocarbures, mais encore dans les industries automobile, le textile, l’agroalimentaire, autant de sources de profit pour les multinationales et leurs relais dans la bourgeoisie locale. Partant de là il s’agit également de pousser le plus loin possible les mots d’ordre anti-impérialistes avec une politique de classe, qui ne s’aligne pas sur un anti-impérialisme inconséquent qui voudrait faire de la nation algérienne une nation à part, en dehors des rapports de production mondiaux. A ce titre, dans les pays du centre impérialiste, le mouvement ouvrier a un rôle important à jouer. Il doit montrer sa solidarité de classe avec les peuples opprimés, soutenir activement la mobilisation, afin de faire la distinction entre l’Etat impérialiste et les populations qui subissent elles-aussi l’exploitation, le chômage, et les effets de la crise, et encourager ainsi le développement des consciences internationalistes.

 
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