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La Izquierda Diario
27 de août de 2015 Twitter Faceboock

Sur quelques enjeux politiques de la question scientifique
Université d’été du NPA : « peut-on croire à des vérités scientifiques ? »

Correspondants

Ce mercredi matin Hubert Krivine, physicien au CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) et militant, intervenait, dans l’Université d’été du NPA, autour de la question « Peut-on croire à des vérités scientifiques ? ».

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Contre le relativisme, l’obscurantisme, défendre un matérialisme athée

Prenant appui sur l’histoire de l’atome, depuis les conceptions atomistes (Démocrite, Lucrèce) antiques jusqu’à la physique des particules élémentaires contemporaines, H. Krivine, a revendiqué, sans le détailler, un matérialisme de principe, en identifiant deux ennemis très actuels de la rationalité scientifique : d’une part, le relativisme, incarné par le sociologisme de Latour (à la pointe de l’application des politiques gouvernementales à Science Po Paris), qui réduit toute production scientifique à l’effet des rapports de forces entre réseaux d’acteurs du domaine, et d’autre part les obscurantismes, religieux ou spiritualistes, qui d’ailleurs sont parfois capables, comme certains courants créationnistes en biologie, de se parer des atouts de la science pour diffuser leurs idées réactionnaires et attaquer l’athéisme.

L’exposé vivant, qui s’est appuyé sur l’histoire des hypothèses scientifiques sur la nature de la matière, a permis d’aborder différentes questions comme celle du temps et de l’irréversibilité, la complexité de la structure atomique, et chemin faisant a soulevé la question de la logique de la « découverte » scientifique, argumentant, tout en rappelant que toute réalité n’est jamais abordée de façon neutre et directe, mais au moyen de cadres interprétatifs et d’instruments qui sont autant de théories incarnées, eux-mêmes évolutifs.

Implications politiques. Un exemple de débat : les OGM

Sur les terrain des implications politiques de son approche, que lui-même avait soulevées en rappelant les conditions sociales et l’existence des rapports de forces qui conditionnent le processus de production de la connaissance scientifique (financement des budgets de la recherche, etc.) diverses interventions ont porté sur sa distinction entre la recherche « pure », et les possibilités émancipatrices et conquêtes contre l’ignorance que toute connaissance, toute découverte nouvelle représente, et « applications », totalement dominées, dans le cadre du système capitaliste, par la logique du profit, au détriment non seulement de la connaissance, mais des intérêts des populations. Toutes les falsifications possibles et imaginables par les grosses industries, par exemple pharmaceutiques, des résultats des recherches étant imaginables, tant qu’elles ne sont pas dénoncées et que cela les force à faire machine arrière, ou même, tant que les enquêtes aux résultats éventuellement justes en eux-mêmes qu’elles commandent, ne sont replacées dans le contexte d’une étude globale. Sur ce terrain, le débat a évoqué le nucléaire, mais s’est surtout concentré sur la question des OGM. Faut-il dire « A bas les OGM ? » ou « A bas Monsanto » ? Bien que le débat sur la technique, la technologie et la technoscience n’ait pas été approfondi, la position de H. Krivine est que les OGM sont avant tout une technique qui n’est en soi ni bonne ni mauvaise, et que tout dépend dans quel but on modifie génétiquement les végétaux ou les animaux. Monsanto ne vise que la rentabilité en créant du maïs transgénique résistant aux pesticides. Plantés en plein champ, ceux-ci risquent par fécondation croisée de donner naissance à des végétaux nuisibles résistants qui vont pulluler. Mais en revanche la thérapie génique permet d’introduire chez l’homme des gènes permettant de lutter contre certaines maladies génétiques. Clairement cette position (« Non à Monsanto », pas « non aux OGM ») ne fait-elle pas l’unanimité, alors qu’elle a le mérite, même si la question est complexe, de dire qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

D’autres questions ont été pointées au cours de la discussion et ont suscité quelques approfondissements. D’une part l’imprécision relative de la définition de la science, et entre autres le fait que « la science » ne se réduit évidemment pas à la physique, la question du régime de scientificité (à quelles conditions un discours est-il scientifique ? Quels critères permettent de dire si tel énoncé est ou non objectif, démontrable, etc. Qu’est-ce qu’une preuve ? etc.) des sciences sociales et humaines, traversées d’enjeux et de batailles sociaux et politiques spécifiques (ainsi en sociologie, en psychologie, etc.) devant naturellement être intégré au panorama d’ensemble. Idem pour cette notion complexe de « vérité scientifique », laquelle est évidemment le produit d’une recherche historique réactualisée au plan de ses cadres d’interprétation, des méthodes (expérimentales ou déductives) par lesquelles leurs démonstration sont conduites. Corrélativement, c’est la notion même de « réalité » qui a été discutée : entre, par exemple, le niveau de réalités des particules élémentaires comme l’atome et ses composants, celui de l’échelle de la perception humaine des objets ou phénomènes, et la réalité spécifique que sont la société et les interactions humaines, il y a là, d’un point de vue matérialiste, une réflexion globale à approfondir.

Quelques limites : approfondissements théoriques et interventions politiques dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche

On peut regretter, cependant, que sur plusieurs terrains l’intervenant n’ait pas embrayé à certaines questions posées. Par exemple - évocation brève d’un certain scepticisme à l’égard de la « dialectique de la nature », c’est-à-dire de la pertinence de la dialectique au-delà des seuls champs de la société et de l’histoire - à celle concernant la théorie marxiste elle-même, et le fait que celle-ci n’est pas une vision du monde comme les autres. Au contraire, elle s’est constituée historiquement comme fusion de la science et du mouvement ouvrier, et son discrédit sur le terrain théorique et idéologique est un élément de la crise contemporaine de subjectivité du mouvement ouvrier depuis les années 80. Mais c’est surtout au plan programmatique que la discussion a été relativement pauvre. L’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) a connu en 2009 une énorme mobilisation des enseignants-chercheurs contre le rouleau compresseur de la LRU et les contre-réformes visant au démantèlement de l’ESR public en partie issue des pressions les luttes étudiantes et ouvrières depuis la deuxième guerre mondiale. L’un des facteurs idéologiques qui a conduit à la défaite de cette mobilisation fut justement l’idée selon laquelle la recherche fondamentale serait désintéressée, douée d’immunité par rapport aux conflits de classe, comme si cet ESR public n’était pas composé d’appareils idéologiques d’Etat par définition impliqués, à plus ou moins haute dose, dans la reproduction de l’ordre capitaliste. Or user d’une distinction schématique entre « pur » et « appliqué » ne permet justement pas de mettre cela en lumière, raison pour laquelle une telle distinction est très discutable en l’état.

On ne peut poser la question, en révolutionnaires, de la science sous le capitalisme d’aujourd’hui sans aborder l’ensemble de ces questions, et en particulier, d’une part, comment réinsuffler dans l’ensemble des champs scientifiques les acquis et les forces du matérialisme et de la dialectique. D’autre part, comment organiser du côté des enseignants-chercheurs, en lien avec les luttes étudiantes, une intervention militante capable de remettre en question le rôle de reproduction idéologique de la société existante que dans son ensemble, fût-ce par des biais très variés, l’ESR continue de jouer. Autant de chantiers à rouvrir dans les meilleurs délais.

 
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