http://www.revolutionpermanente.fr/ / Voir en ligne
La Izquierda Diario
16 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Capitalisme, culture et révolution
Peut-on être révolutionnaire et s’émouvoir de l’incendie de Notre-Dame ?
Max Demian

Il est possible de pleurer sur l’incendie de Notre-Dame sans faire de sensiblerie ni pour se morfondre sur « l’unité nationale », mais au contraire en revendiquant l’héritage d’une culture qui est celle de tous les opprimés, et qui doit leur revenir de fait.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Peut-on-etre-revolutionnaire-et-s-emouvoir-de-l-incendie-de-Notre-Dame

Crédit photo : A. G. Photographe

Mille ans d’histoires en flammes

Notre-Dame a été touchée par un incendie ce lundi, qui a ravagé une partie de sa structure quasi-millénaire. Les photos, fort impressionnantes, ont fait la une de toute la presse internationale ; Macron a même reporté son allocution censée clôturer le grand débat pour se rendre sur place.

La construction de la cathédrale, à cheval sur près de deux siècles, s’est en effet ouverte en 1163 pour se clore au milieu du 14ème siècle, ainsi s’explique la pluralité de styles qui caractérisent un monument unique, fleuron de la capitale française et lui conférant son unicité, avec ses caractères propres au gothique primitif et au gothique rayonnant. Les deux rosaces, ornant les bras du transept, faisant partie des plus grandes d’Europe avec plus de treize mètres de diamètre, ont été partiellement touchées par l’incendie, maîtrisé en fin de soirée.

Les réactions à l’incendie ont été nombreuses. Il n’est pas lieu ici de discuter de la récupération politique, au demeurant pathétique, jouée par Macron, qui en appelle à « l’unité nationale », détournant la tristesse populaire, légitime, pour la transformer en pathos nationaliste visant à faire taire le mouvement social. Cet article vise à proposer quelques lignes de réflexion autour de la culture et du socialisme, et de la place accordé à la culture par des militants révolutionnaires.

L’homme ne vit pas que de politique, pas plus ne vit-il que de pain. A ce titre, la culture constitue un besoin vital pour la classe ouvrière, pas seulement dans le cadre d’une future société communiste, mais ici et maintenant, comme instrument essentiel de son émancipation et de la formation d’une sensibilité nouvelle.

Il est légitime de pointer l’hypocrisie de la bourgeoisie, qui soudain délient leurs bourses pour restaurer la cathédrale après avoir pendant des décennies crié à l’austérité, lorsque Arnault et Pinault se proposent de contribuer à hauteur de 300 millions d’euros aux travaux – un argent qui, par ailleurs, ne leur appartient nullement, mais a été volé aux travailleurs.

La culture est un besoin vital pour l’émancipation

Toutefois, il serait en même temps erroné, tout en dénonçant cette hypocrisie, d’opposer « le pain », les besoins « sociaux » de la classe ouvrière (augmentation des salaires, embauches, hausse des retraites) et ses besoins « culturels. » Tout autant que le pain la culture constitue un besoin « biologique » de l’humanité, entendu que ce patrimoine constitue le témoignage de l’évolution de toute l’humanité, mais que celui-ci est, de fait, accaparé par une minorité parasitaire qui privatise les monuments et les grandes œuvres (musées, peintures, théâtres, livres, cinéma, etc.).

Le développement de l’humanité a élevé celle-ci au-delà de la simple reproduction matérielle et biologique de son milieu ; son évolution est tout autant le fruit d’un progrès des forces productives que d’un développement de la sensibilité de l’humanité, faisant de l’appropriation de l’art des civilisations nous ayant précédé une condition pour élever aujourd’hui la sensibilité et la culture de toute notre classe. La gratuité des musées, l’enseignement des arts dès la petite école, la gratuité d’accès à toute forme de culture, etc, sont autant de revendications vitale pour l’émancipation de la classe ouvrière. Pourquoi faut-il débourser aujourd’hui 20 euros pour accéder à une exposition, située en plus à Paris, payer et faire la queue pour jouir de ce qui revient en droit à toutes et tous ?

La barbarie, fondamentalement, consiste à priver une personne ou un groupe social de la possibilité de cultiver son humanité. Qu’il s’agisse de la précarité matérielle, du chômage de masse, ou des politiques d’austérité qui frappent les services publics ou la culture, l’accès inégal à ce patrimoine qui doit en droit revenir à toutes et tous constituent l’un des visages de la barbarie. Si Notre-Dame brûle, c’est une partie de l’histoire de notre classe qui part en fumées. L’indifférence à la tradition culturelle et l’héritage passée, ravalée au rang de babiole historique, est le produit d’un capitalisme qui transforme tout ce qu’il touche en marchandise.

Certes, aucun mort n’est à déplorer, mais la tristesse se dénombre-t-elle en nombre de morts ?

Et il est possible de pleurer sur l’incendie de Notre-Dame sans faire de sensiblerie ni se morfondre sur « l’unité nationale » ou relativiser les crimes de guerre impérialistes. Il s’agit au contraire, en revendiquant l’héritage d’une culture qui est celle de tous les opprimés, de revendiquer ce qui doit leur revenir de fait. La guerre en Syrie, la famine d’enfants au Yémen, la destruction écologique, et le fait de laisser brûler des monuments suite à des coupes budgétaires sont tout autant de crimes à mettre au compte du capitalisme. Il n’est pas d’échelle dans la barbarie commise par le capitalisme.

Comme s’en sont indignés des historiens et historiens de l’art, dont les propos sont rapportés dans un article de France Info : « On aurait pu éviter ça » s’indigne Didier Rykner, le rédacteur en chef du magazine la Tribune de l’art. Selon lui, les normes de sécurité sur les chantiers de rénovation des monuments historiques sont notoirement insuffisantes. « C’est l’incendie de trop ! […] Il y a déjà eu une série d’incendies de ce type. Les prescriptions pour les travaux sur monuments historiques étaient insuffisantes. J’avais demandé une loi et on n’a rien fait. Si la piste se précise, il va falloir que les responsables soient désignés. Un architecte du patrimoine m’a dit qu’on aurait pu éviter ça avec certaines mesures » explique le journaliste. Dider Rykner poursuit : « L’état du patrimoine n’est pas du tout à la hauteur du niveau d’un grand pays. On a rogné sur les budgets, cherché des pis-aller, jusqu’au dernier, le loto du patrimoine. Tout ça est bien sympathique mais le patrimoine, c’est une charge régalienne, c’est l’image de la France, c’est notre histoire ! A force de faire des petits bouts de trucs à droite et à gauche, on finit par le mettre en danger. »

Un monument religieux, un monument à brûler ?

Certes, cette cathédrale est l’expression idéologique de la domination de l’Église de l’époque. Mais elle est aussi l’héritage d’une autre tradition. Celle de tous les travailleurs et travailleuses, tailleurs de pierre, peintres, charpentiers, etc ; bref, le travail d’artisans ayant mis leur passion, leur créativité au service d’un projet collectif. Et si ces hommes et femmes sont aujourd’hui oubliés, ils nous ont légué ce que l’humanité a pu produire de plus beau, de plus grand et de plus noble en termes d’ouvrage collectif. Comme Victor Hugo a pu lui-même l’écrire : « Les grands édifices, comme les grandes montagnes, sont l’ouvrage des siècles. […] L’homme, l’artiste, l’individu s’effacent sur ces grandes masses sans nom d’auteur ; l’intelligence humaine s’y résume et s’y totalise. Le temps est l’architecte, le peuple est le maçon. »

Dans une certaine mesure, il n’est pas exagéré de considérer que Notre-Dame préfigure ce que pourrait constituer une forme d’art libérée des contraintes de la marchandisation et de l’individualisme, une fois que l’humanité se sera débarrassée du joug de la domination de classe et de l’étroitesse matérielle et idéologique dans laquelle l’enferme le capitalisme.

Tout comme « l’art bourgeois » dépasse sa propre classe, la dimension esthétique d’une production ne peut être réduite à son contenu de classe ou son intention initiale.

Aujourd’hui, il n’est qu’une minorité qui ait accès, dans le cadre d’une société divisée en classes, à la culture, qu’il s’agisse de la contempler ou de la produire. Entre la dégradation écologique qui menace aujourd’hui le patrimoine mondial de l’humanité, ou des politiques d’austérité qui produisent des incidents dramatiques, le capitalisme a depuis longtemps atteint ses limites dans ce qu’il est capable d’offrir à l’humanité, en termes sociaux, politiques mais aussi culturels.

Renverser cette société qui fait partir en fumée un héritage millénaire n’est pas seulement une urgence vitale pour la survie matérielle de la majorité de la population, elle est aussi le seul moyen de pousser en avant la marche de la civilisation au moment où le capitalisme menace de faire plonger celle-ci dans la barbarie. C’est seulement alors, comme l’ont écrit Marx et Engels, que chacun sera libre « d’aller à la pêche l’après-midi, de faire l’élevage le soir et de critiquer après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique ».

 
Revolution Permanente
Suivez nous sur les réseaux
/ Révolution Permanente
@RevPermanente
[email protected]
www.revolutionpermanente.com