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28 de avril de 2019 Twitter Faceboock

Ni patrons, ni militaires
Ce qui se cache derrière l’arrestation du grand patron Rebrab en Algérie
Mones Chaieb

La nuit du 22 avril, la première fortune du Maghreb, l’algérien Issad Rebrab, était arrêtée et transférée à la prison d’El Harrache près d’Alger. Cette arrestation intervient alors que la mobilisation en Algérie est toujours aussi massive depuis le 22 février. Face à la détermination des masses le régime tente de se recomposer à travers la mise en place de concertations avec les partis d’opposition en vue d’organiser des élections présidentielles le 4 juillet prochain, tandis que le gouvernement a lancé sous l’impulsion de l’appareil militaire une fausse opération mains propres pour se dédouaner des affaires de corruption des vingt dernières années, en arrêtant plusieurs grands patrons et anciens ministres proches du clan Bouteflika, et affirmer son rôle d’interlocuteur politique incontournable pour la conduite des affaires des classes dominantes.

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Aujourd’hui, les défenseurs d’Issad Rebrab arguent d’une justice à deux vitesses orientées contre la communauté kabyle d’où il est issu, oubliant que ces dernières années le patron de CEVITAL licenciait et interdisait à des ouvriers kabyles ou non de s’organiser en section syndicale. Plutôt qu’une question identitaire, son arrestation ressemble donc plus à un épisode s’inscrivant dans le cadre d’un règlement de compte entre les fractions des classes dominantes, pour savoir à qui profitera la potentielle recomposition du bloc bourgeois ébranlé par l’énorme mobilisation des masses populaires.

Car depuis que Bouteflika a été poussé à démissionner le 2 avril dernier après que l’appareil militaire l’ait lâché sous pression de la rue et des grèves, le régime tente de reprendre la main en la personne du chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah. Les accents populistes de ce dernier, qui proclamait ce même jour le soutien de l’armée envers « le peuple jusqu’à la satisfaction de ses revendications », cachent mal le tournant répressif contre le hirak, qui a déjà fait un mort parmi les manifestants, Ramzi Yettou 23 ans, décédé vendredi 19 avril des suites d’une blessure à la tête causée par les coups de la police. Dans le même temps, sous l’impulsion du général, le président par intérim Abdelkader Bensalah a appelé les partis politiques à une instance de concertation en vue des élections présidentielles du 4 juillet prochain. Mais mis à part les cachiristes notoires (du nom du cachir distribué dans les meetings du FLN) qui ne représentent plus grand-chose aujourd’hui, cet appel a été unanimement boycotté.

Tremper dans une telle instance ne pourrait en effet que décrédibiliser encore plus ceux qui, tout en se disant de l’opposition, ne rechigne pourtant pas à négocier avec le pouvoir. Mais alors que la mobilisation ne s’essouffle toujours pas, et que les classes dominantes craignent qu’elle s’étende aux secteurs clés de l’économie, Gaïd Salah qui souhaite s’appuyer sur l’opposition libérale, à durement critiqué ceux qui rejettent « toutes les initiatives et le boycott de toutes les démarches, y compris l’initiative de dialogue » lancée par Bensalah. Entendre ceux qui dans l’opposition libérale défendent les intérêts du patronat et veulent profiter de la période pour accélérer les politiques d’austérité et de privatisation comme le promettent par exemple Ahmed Benbitour (sénateur et ancien chef du gouvernement) ou Ali Benflis (ancien ministre de la Justice et ancien chef du gouvernement de 2000 à 2003).

Le boycott de l’instance de concertation a donc été vécu comme un véritable camouflet par l’appareil militaire, qui cherche à unifier - de gré ou de force - les classes dominantes pour trouver une sortie de crise dans le cadre des institutions du régime. Et c’est au moment où elle était censée se tenir le lundi 22 avril, que le milliardaire Issad Rebrab a été arrêté. Les accusations portent sur une affaire de « fausses déclarations relatives au transfert de capitaux vers l’étranger », de « surfacturation dans des opérations d’importation de matériel » et d’« importation de matériel usagé alors qu’il avait bénéficié des avantages douaniers, fiscaux et bancaires ». Depuis certains applaudissent l’armée s’illusionnant sur la possibilité que le régime ainsi réincarné tende à rendre justice. Tandis que d’autres crient à l’injustice et réclame la libération du patron qui s’était fait connaître depuis quelques années comme chef de file de l’opposition libérale au sein du régime par la voie de son journal Liberté Algérie. Mais alors qu’en est-il vraiment ?

Un patron enrichi à l’ombre du régime

Issad Rebrab avant de se faire connaître, a fait sa fortune à l’ombre de la bureaucratie d’État algérienne qui lui a permis de faire fructifier ses investissements, particulièrement pendant les années sombres de l’Algérie, lorsque le terrorisme faisait plus de 300.000 morts et 20.000 disparus, et que le patronat profitait de la tétanie du mouvement social face à la barbarie pour casser les acquis sociaux et licencier plus de 500.000 travailleurs. Sa carrière d’expert-comptable lui a permis de tisser des liens dans le secteur de la métallurgie, qui lui permettront plus tard de bénéficier de contacts privilégiés avec des membres du gouvernement, en particulier au ministère de l’industrie. C’est ainsi qu’il obtient deux quotas sur cinq d’une ligne de crédit mise à disposition en 1991 par la SACE, organisme italien chargé de financer l’exportation vers l’Algérie de ronds à béton produits en Italie. Soit 100 millions de dollars. Et l’histoire ne s’arrête pas là car lors du séisme de Boumerdes en 2003, des experts réalisent que la ferraille, qui a servi dans certaines constructions est radioactive, faisant peser des soupçons sur l’origine du fer importé.

À la même période alors qu’il profite de l’appui du directeur central de la métallurgie au ministère de l’industrie de l’époque, il obtient le monopole sur l’exportation des déchets ferreux. La combine est simple : mettre en place un arrêté ministériel (celui du 24 mars 1992) empêchant l’exportation de certaines marchandises, dont celle des déchets ferreux, tout en prévoyant dans son article 3 la possibilité d’obtenir une dérogation à titre exceptionnel. L’arrêté n’a pour objectif que d’exclure les potentiels concurrents, tandis qu’Issad Rebrab obtient naturellement la fameuse dérogation grâce aux liens avec la bureaucratie d’État. L’arrêté sera abrogé en 1994 sous la pression d’autres entrepreneurs souhaitant également bénéficier d’une part du gâteau, mais pendant ce temps l’homme d’affaires a eu le temps de s’enrichir. Car en plus de l’octroi du monopole des déchets ferreux par l’État algérien, de nombreuses enquêtes révèlent que le prix de vente des marchandises exportées était largement en dessous du prix d’achat, ce qui laisse penser que l’homme d’affaire pratique l’évasion fiscale. C’est-à-dire que le prix de vente à l’exportation des déchets ferreux déclaré officiellement ne serait pas le prix de vente réel, et que la différence aurait été déposée dans sur un compte offshore du milliardaire... découvert lors de l’affaire des Panama Papers !

Et si ces éléments ne suffisaient pas à prouver l’accointance entre le régime et l’homme d’affaires, il faut aussi rappeler qu’Issad Rebrab est resté président du Forum des Chefs d’Entreprise (FCE) jusqu’en 2014. Pour avoir une idée des largesses que le régime de Bouteflika lui a offert, il faut également rappeler que son entreprise CEVITAL bénéficie d’un quasi-monopole sur les produits de grande consommation tels que le sucre et l’huile. L’agriculture algérienne ayant été développée avant tout pour l’exportation afin de satisfaire les besoins dans les pays du centre impérialiste, le sucre et l’huile qui sont deux produits indispensables dans la cuisine locale sont paradoxalement essentiellement importés. Or grâce au monopole sur ce secteur, l’entreprise a pu engranger des bénéfices records en augmentant notamment le prix du sucre qui pèse ainsi sur le budget des ménages, alors que sur les cours mondiaux le secteur était en surproduction et les prix chutaient. Et tout ça avec la complicité de l’État puisque celui-ci acceptait sans broncher de subventionner une partie du prix lorsque celui-ci s’est avéré trop élevé pour le commun des consommateurs, en ponctionnant sur la rente pétrolière – tant que les cours du pétrole étaient au beau fixe – pour la redistribuer en profit pour l’homme d’affaires aux milles magouilles. Ainsi pour calmer la grogne et les manifestations explosives de 2011 que l’on sait consécutives à la cherté de la vie, l’État algérien a pris des mesures pour maintenir le prix à 90 dinars pour le sucre en vrac et 95 dinars pour le sucre emballé. Pour cela il a dépensé entre 2011 et 2017 pas moins de 11,7 milliards de dinars algériens pour compenser l’augmentation des prix imposée par CEVITAL qui se retrouvait donc en position de force. Or entre 2011 et aujourd’hui, le prix du sucre sur le marché mondial n’a fait que baisser, de 53 dinars le kilo en 2011 pour se stabiliser autour de 28 dinars à partir de 2015. Pendant ce temps le prix du sucre pesait toujours autant sur le porte-monnaie des ménages, à 90 et 95 dinars le kilo.

« Des marges qui relèvent tout juste de l’insulte, selon [le site E-Bourse d’Algérie]->http://bourse-dz.com/sucre-marges-cevital/?fbclid=IwAR0hbE68IU04oSnZ6-YzwA9_kdDMUcx1hivsGGHtkbU8cOVvFjC6NtevvaQ], à partir du moment où l’achat des matières premières tout comme l’exportation du sucre raffiné dans le cas de Cevital se fait à travers sa société Skor International basée en Suisse. Des transactions triangulaires entre filiales du même groupe qui favorisent le recours au prix de transfert et l’optimisation fiscale en localisant les bénéfices là où on paie le moins d’impôts ». Mais ce n’est pas tout, d’après la même source CEVITAL surfacturerait le sucre acheté au Brésil afin de gonfler les subventions à l’importation là encore accordée par l’État algérien, d’Algérie tandis que l’entreprise sous-facturerait les exportations en dinar afin de conserver ses bénéfices en dehors des radars du fisc algérien. En plus de la fraude au fisc, cela constituait également un transfert illicite de devises vers l’étranger, avec les conséquences que l’on connaît sur l’inflation et qui se répercute là encore sur les couches populaires ».

Rebrab et Macron

Le capital accumulé par Rebrab lui a même permis d’investir en Europe, en particulier en France où il rachetait notamment le groupe d’électroménager Fagor Brandt en 2014 pour une bouchée de pain, en laissant 600 des 1800 salariés sur le carreau, sous l’œil bienveillant d’un Emmanuel Macron alors ministre de l’économie. Récemment il était censé investir dans une usine de traitement des eaux dans les Ardennes, un investissement estimé à 200 millions d’euros que le président français s’était dit prêt à accompagner par l’octroi de crédit de la Banque Publique d’Investissement. Mais leur proximité va bien au-delà d’une simple transaction industrielle. En effet, les deux s’accordent sur le projet libéral qui veut privatiser le secteur public algérien et faire de l’Algérie une réserve de main d’œuvre à bas prix, au mépris des conditions de travail et de vie des algériens. La bourgeoisie incarnée par Issad Rebrab n’est rien d’autre que le cheval de Troie de l’impérialisme qui souhaite reconquérir les quelques espaces perdus lors de la guerre d’indépendance et que l’infitah ("l’ouveture", période de libéralisation post années 1980) n’a pas réussi à lui offrir.

Pour synthétiser on pourra se contenter de ce passage issu d’un article de Yassine Temlali intitulé « Le patronat algérien est-il pour la démocratie ? La réponse est non » , où faisant allusion à Rebrab qui prend régulièrement la Corée du Sud en exemple, il écrit : « Certes, il existe des patrons qui se rêvent en dragons sud-coréens libres et puissants, s’abattant avec fracas sur la planète capitaliste dominée par le G7. Mais, propagande mise à part, ils savent ce de quoi le miracle sud-coréen est le nom, qu’il n’a été possible que sous une dictature féroce, qui, justement, a bâillonné les patrons pour paver leurs success stories des souffrances d’un prolétariat tyrannisé, travaillant 12 heures par jour, sept jours sur sept »... Comment ne pas faire le parallèle avec celui qui oblige les salariés des usines CEVITAL à soutenir publiquement ses projets dans le port de Bejaïa sous peine de sanction, en même temps qu’il leur interdit de s’organiser en sections syndicales, bafouant ainsi les libertés syndicales pourtant consacrées dans l’article 56 de la même Constitution qu’il invoque pour réclamer sa libération... En définitive présenter comme opposant au régime algérien un milliardaires, ex-président du FCE, patron d’un groupe qui investi en Europe et détient entre autre le monopole sur l’huile et le sucre en Algérie, qui exploite et licencie à tours de bras, est une insulte aux masses populaires algériennes qui subissent réellement l’oppression d’un régime qui cultive l’autoritarisme et les injustices sociales, contre lequel elles se révoltent depuis le 22 février dernier pour revendiquer leur dignité trop longtemps bafouée.

Les complaintes du milliardaire.

En fin de compte, la réalité qui se cache derrière les contes d’un Issad Rebrab décrit en 2013 par le journaliste alors proche du régime Abdou Semmar comme « le self-made-man algérien à qui tout réussi » n’est rien d’autre que celle d’une bourgeoisie mesquine incapable de se développer autrement que grâce à de sales magouilles et autres escroqueries perpétrées à l’aide de la bureaucratie d’Etat dont il se prétend pourtant victime, et cela sur le dos du peuple algérien. Si des conflits ont pu apparaître entre le milliardaire et l’État, il faut souligner que leurs intérêts parfois contradictoires ne convergeront en tout cas jamais avec ceux des masses populaires. Pourtant depuis quelques années le journal du grand patron Liberté Algérie titrait régulièrement sur les blocages et difficultés administratives que rencontraient CEVITAL. Le dernier exemple en date concerne le blocage de son projet d’usine de trituration de graines oléagineuses dans la zone portuaire de Bejaia, empêchée par l’administration du port.

Mais ces frictions ne datent pas d’hier. Au début des années 2000, alors qu’il commence à avoir accumulé assez de capital grâce à l’activité d’import-export, il souhaite investir dans l’industrie de biens de consommation en rachetant d’abord une usine de sacs de jute, puis une autre de meuble. Reçu par le Premier ministre de l’époque Ali Benflis qui l’assure de son soutien, son projet est avorté suite à l’intervention du cercle présidentiel. En 2008 rebelote, mais en plus grand cette fois, puisqu’il projette la construction d’un hub portuaire à Cap Djinet, mais là encore le projet ne passe pas. Ces multiples revers le poussent sur le terrain politique à tenter de faire émerger des figures alternatives au clan Bouteflika. Ainsi en est-il d’Ali Benflis qui se présente aux élections en 2004 et 2014, dont les campagnes électorales sont largement financées par Rebrab. Pour autant cela ne signifie pas qu’il porte un projet plus social que celui du président malade. Non, le principal enjeu pour le milliardaire est de se retrouver dans les bonnes grâces des décideurs politiques, ce dont il manque par exemple après 2016 lorsqu’une nouvelle législation interdit l’importation d’automobile Hyundaï. En effet, dans ce secteur CEVITAL était là encore en situation de monopole, mais c’est son concurrent Maïeddine Tahkout proche de l’ancien Premier ministre Ouyahia, qui a le plus profité des nouvelles orientations décidées par le gouvernement, en bénéficiant notamment du permis d’ouverture d’une usine de montage à Tiaret. Pour se faire une place en politique Rebrab a donc dû également développer son journal Liberté Algérie, en même temps qu’il attenté de racheter le groupe de presse El Khebbar afin de posséder à son tour une chaîne de télévision, ce que le clan Bouteflika lui a refusé.

Mais si Rebrab se fait passer pour un opprimé et défend ses projets en les présentant comme facteurs de développement et de créations d’emplois, il cache volontairement les conditions de travail imposées aux salariés de CEVITAL, entre salaires de misère, conditions de travail terribles, licenciements, et absence de libertés syndicales. Et si l’on regarde de plus près ses projets comme la construction du complexe immobilier et touristique de Tichy près de Bejaia, ce ne sont pas moins de 182 hectares de côtes qui finiraient bétonnés si le projet finissait par voir le jour. De même, le projet immobilier Calpiref qu’il a investi menace de privatiser des terres pour un dinar symbolique, avec des conséquences écologiques désastreuses telles que l’abattage de la bande boisée d’Aokas. Et évidemment la population locale n’aurait pas droit de cité dans ces complexes immobiliers et touristiques, car le public visé ce sont les riches touristes ! Sans parler des tonnes de déchets que l’usine CEVITAL de Bejaïa rejette directement dans la Soumam et qui polluent directement terres et mer.

Cela montre bien que si des conflits l’opposent partiellement à la bureaucratie d’État qui après l’avoir engraissé dans le secteur de l’import-export, souhaite maintenir son contrôle sur le tissu industriel algérien, le projet ultra-libéral d’Issad Rebrab pour faire de l’Algérie « l’atelier de l’Europe » comme il le proclamait en 2015, en cassant les droits des travailleurs et baissant encore plus leurs salaires pour concurrencer les industries asiatiques et d’Europe de l’Est, ainsi qu’en privatisant les entreprises publiques, ne va clairement pas dans le sens des intérêts des masses populaires. Les arguments régionalistes qui assimilent les volontés expansionnistes du milliardaire aux intérêts des masses populaires en particulier Kabyles, ne sont agités que par les ennemis du peuple, afin de diviser la mobilisation autour de questions identitaires, en entretenant des tensions inter-régionales, à l’instar du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) qui participait au premier gouvernement Bouteflika entre 1999 et 2001. Dans ce cadre les propos racistes d’une Naïma Salhi à l’égard du peuple kabyle, et les vociférations régionalistes des défenseurs du business-man Issad Rebrab ne sont que les deux faces d’une même pièce qui tente de diviser le mouvement populaire autour de questions identitaires. Or si les inégalités de développement entre les différentes régions qui composent l’Algérie sont un fait, on ne peut pour autant pas compter sur les patrons, qui pour s’enrichir, se sont appuyés sur l’État qui a lui-même entretenu ces inégalités.

Le bras de fer entre l’appareil militaire et l’opposition libérale.

Mais peut-on compter sur le régime en la personne d’Ahmed Gaïd Salah pour rendre la justice ? Ce dernier a passé près de 20 ans au côté de Bouteflika et voudrait aujourd’hui se laver les mains des affaires de corruption que le peuple algérien vomi. Par ailleurs l’arrestation de Rebrab ressemble plus à une tentative de l’appareil militaire pour resserrer les rangs en montrant à l’homme d’affaires qu’il peut lui ressortir des dossiers compromettants, s’il continue à jouer la carte de l’opposition par la voie de son journal Liberté Algérie et des personnalités dont il finance les campagnes, aussi bien les Ali Benflis et Ghediri, que les forces politiques locales comme les militants du RCD qui animent son collectif de soutien pour son projet dans le port de Bejaïa. Si on peut donc considérer les arrestations et mesures judiciaires de ces derniers jours sans les inscrire dans une tentative du régime de se laver les mains, il faut aussi les voir comme une manière pour le pouvoir militaire d’affirmer sa puissance et son rôle incontournable dans un processus de recomposition du bloc dominant pour mater la mobilisation populaire.

Après le refus de l’opposition libérale de venir s’asseoir à la table des négociations, le général Gaïd Salah a donc mis un grand coup de pied dans la fourmilière – comme il l’avait déjà fait en demandant la destitution de Bouteflika par l’article 102 de la Constitution – en faisant arrêter l’incarnation du projet libéral de la bourgeoisie algérienne en la personne de Rebrab. Le signal est clair : Ahmed Gaïd Salah ne veut aucunement faire peur aux investisseurs privés, cet épisode marque plutôt sa volonté de s’affirmer encore une fois comme interlocuteur politique incontournable, invitant les patrons et hommes d’affaires à accepter sa protection, ou alors...

Le Forum des Chefs d’Entreprise (FCE) a validé dans un premier cette injonction dans son communiqué du 22 avril au soir. Mais les choses se sont compliquées ensuite puisque aucun parti politique ni personnalité n’accepte pour le moment la feuille de route du général. Le libéral Mustapha Bouchachi qui est régulièrement mis en avant dans les médias dominants comme la personnalité en mesure de piloter une instance de transition pour un retour rapide à l’ordre, défend ainsi Issad Rebrab en déclarant que « avant de poursuivre les hommes d’affaires, il faut commencer par juger les dirigeants politiques qui leur ont permis d’agir en violation des lois » tout en concédant que « on a besoin de l’institution militaire pour accompagner la transition jusqu’à la mise en place des institutions de transition ». Il refuse donc de choisir entre cette fraction du patronat et l’armée, essayant de concilier les deux partis pour se ménager de futurs appuis. Par ailleurs la vieille gauche réformiste joue l’effarouchée et fait mine de découvrir l’autoritarisme du régime, tel le Front des Forces Socialistes ou le Parti des Travailleurs qui adoptent le discours de « primauté du politique sur le militaire ».

En fin de compte l’opération coup de poing de Gaïd Salah n’aura pas fonctionné comme il le souhaitait, puisque toutes ces organisations et personnalités restent sous pression de la rue qui les désavouerait si elles acceptaient de négocier ouvertement. Pour autant est-ce à dire que les jeux sont faits ? Le chef de l’état-major de l’armée a fait une nouvelle déclaration depuis Alger, où il fait plus ouvertement allusion à son rival et soutien de Rebrab, le général Toufik qu’il accuse encore une fois de conspiration. Un jour après, le site de propagande Algérie Patriotique dirigé par des proches Toufik a annoncé sa fermeture après sept ans d’existence. La famille Nezzar qui en détenait la propriété et qui s’est elle aussi enrichi pendant la présidence Bouteflika a-t-elle accepté de fermer le site sous pression d’un Gaïd Salah menaçant de se saisir des dossiers de corruption la concernant comme il l’a fait pour Rebrab ? C’est probable.

Mais ce que ces guerres intestines nous apprennent au fond, c’est l’incapacité d’une transition menée par le régime, même recomposé, à donner de véritable issu pour une Algérie qui réponde aux aspirations des masses populaires sans levée du secret bancaire, expropriation des grandes fortunes, et sans que « yetnahaw ga3 » (« qu’ils partent tous »), aussi bien les patrons que les militaires. Pour y parvenir, alors que pour ce dixième vendredi les manifestations ont été encore très massives montrant la détermination des masses populaires à ne pas se laisser flouer par les manœuvres du régime, comme elles l’ont par ailleurs exprimées sur de nombreuses pancartes, il n’y a que la perspective de continuer la mobilisation et la grève, en s’organisant à la base en comités d’usine et de quartier pour imposer une assemblée constituante révolutionnaire, qui se donne la tâche d’en finir avec ce régime et ses institutions soumises à l’impérialisme, qui ont confisqué l’indépendance de 1962 en bradant les richesses nationales et en s’enrichissant sur le dos du peuple algérien.

 
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