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La Izquierda Diario
20 de mai de 2019 Twitter Faceboock

Interview de Daouia, étudiante mobilisée à Alger
En Algérie, les étudiants toujours aussi déterminés
Maryline Dujardin

Alors que cela fait plus d’un mois et demi que Bouteflika est tombé sous la pression populaire, les étudiants continuent de manifester et ne désarment pas. Nous avons rencontré Daouia, étudiante mobilisée de la fac d’Alger et militante au Parti Socialiste des Travailleurs.

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Crédit photo : DR

Après avoir réussi à pousser Bouteflika à démissionner, et ainsi à ébranler le régime qu’il dirigeait depuis deux décennies, les Algériens n’en démordent pas. Malgré les tentatives pour canaliser le mouvement par des manœuvres anti-démocratiques et par la répression, et malgré le jeûne et la chaleur de ce mois de ramadan, les masses populaires continuent à exprimer leur volonté de « dégager » l’ensemble du système. Face à cette détermination, le régime désormais dirigé par le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah, tente d’imposer les élections du 4 juillet. Organisées de manière expéditive par les mêmes institutions qui musèlent depuis des années les revendications populaires, cette échéance électorale n’a d’autre but que de couper court à toute auto-organisation des travailleurs, des femmes, des précaires, des chômeurs, et de tout ce que la société algérienne compte d’opprimés, afin de les déposséder du processus démocratique en cours.
Dans ce contexte, les étudiants montrent la voie. S’inscrivant dès le départ dans la mobilisation générale contre le régime, la spoliation des richesses nationales et la corruption, ils revendiquent également « une université gratuite et de qualité ouverte à toutes et tous ». Pour cela le mouvement étudiant s’organise dans les facs, en se réunissant régulièrement en Assemblée Générale afin de décider démocratiquement des revendications et des actions à entreprendre, et débattent des perspectives stratégiques pour la mobilisation, en particulier la jonction avec le mouvement ouvrier et les moyens pour faire face à la répression. Dimanche dernier à Alger ils sont d’ailleurs donc sortis une fois de plus manifester dans les rues, et ont encore une fois fait l’expérience de leur force collective face à l’appareil policier en déjouant les barrages de police, montrant ainsi leur détermination.
Nous avons rencontré Daouia, étudiante mobilisée de la fac d’Alger et militante au Parti Socialiste des Travailleurs (PST), qui défend la perspective d’une assemblée constituante souveraine qui aura pour tâche de mettre fin au régime et à ses institutions, et de répondre ainsi aux aspirations sociales et démocratiques exprimées par les millions d’algériens mobilisés, contre les tentatives du régime de contrôler une transition par en haut que ce soit avec des élections bidons ou une instance de transition composé de personnalités non-élues.

Révolution Permanente : Peux-tu décrire la situation politique aujourd’hui en Algérie ?

Daouia : Actuellement on assiste à un bras de fer entre le régime et la mobilisation des masses populaires. Le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah et le président par intérim Abdelkader Ben Salah veulent à tout prix aller vers les élections présidentielles du 4 juillet qu’ils ont eux même pris l’initiative d’organiser suite au départ d’un Bouteflika poussé par la rue à démissionner, tandis que ce vote est qualifié d’illégitime par les manifestants et la majorité écrasante du peuple, pour qui cette élection n’est qu’une manœuvre pour permettre au régime de se maintenir.
Par ailleurs, alors qu’au début du mouvement les forces de répression étaient dépassées par le caractère massif de la mobilisation, on voit maintenant clairement un tournant autoritaire et une tentative de la part de l’appareil militaire de s’affirmer comme tenant du pouvoir en Algérie, sans que l’on puisse pour autant parler de coup d’Etat militaire pour le moment étant donné le rapport de force créé par les énormes manifestations et mouvements de grève, et la nécessité pour le régime de conserver une bonne image sur la scène internationale.

Ces orientations sont imposées par le chef de l’état-major, que ce soit les élections bidon du 4 juillet, le tournant répressif opéré lors des marches, grèves, et rassemblements, à l’image de la mort de Ramzi Yettou, jeune manifestant décédé suites aux coups et blessures des policiers, ou encore les nombreuses atteintes aux libertés démocratiques, à l’image de l’arrestation de Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT) le 9 mai suite à une convocation par le tribunal militaire de Blida, ou le maintien en prison de Hadj Guermoul, militant de la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme et opposant des la première heure au cinquième mandat de Bouteflika.

RP : Où en est la mobilisation populaire ?

Daouia : Il est important de souligner le maintien des manifestations le vendredi malgré la chaleur et le ramadan. Cela contredit le régime qui misait sur l’usure et l’essoufflement du mouvement. Les masses populaires sont déterminées à lutter pour le départ de tout le système. Elles refusent les élections du 4 juillet, à travers les slogans scandés partout « makach ri2assiyat ya l3issabat » (« il n’y aura pas d’élections dirigé par la mafia ») et « oulach el vote oulach » (« il n’y aura pas de vote »), qui montre que la majorité des algériens ont compris que ces élections ne pourront être qu’une mascarade et que c’est toutes les institutions du régime dont il faut se débarrasser. Quand à Gaïd Salah, le chef de l’Etat major, il n’arrive pas à redorer son blason malgré ses manœuvres pour calmer la colère populaire, dont les arrestations de différents hauts-gradés et oligarques qui se sont enrichis grâce à la corruption.

RP : Qu’en est-il du mouvement étudiant ?

Daouia : Le mouvement étudiant a rejoint dès le début le mouvement populaire commencé le 22 février. Dans les facs la mobilisation continue aussi et revendique toujours le départ du système, contre les manœuvres de Gaïd Salah comme les élections du 4 juillet, mais aussi pour université ouverte à tous, gratuite et de qualité.

Par ailleurs il est important de parler du processus d’auto-organisation dans les universités, avec les différentes coordinations étudiantes et enseignantes qui commencent à se mettre en place, et qui montrent une volonté de s’organiser à la base et de se coordonner au niveau régional et national, pour décider nous-mêmes de la société que nous voulons construire. Alors que depuis trente ans, pendant la décennie noire puis les vingt longues années du régime Bouteflika, le pouvoir avait tout fait pour mater le mouvement étudiant et dépolitiser les facs, on voit aujourd’hui une repolitisation des étudiants à travers les ateliers et les débats politiques, en particulier sur la stratégie à adopter pour se débarrasser du régime et construire une autre société qui réponde réellement aux aspirations des masses populaires.

Les Assemblées Générales qui n’arrivaient pas a s’établir au tout début, commencent maintenant a s’enrichir et à prendre des décisions importantes, comme à la fac centrale d’Alger où les étudiants ont décidé de rejoindre les travailleurs pour la manifestation du 1er mai et ont cherché a encourager les travailleurs à eux aussi s’auto organiser et partir en grève .

RP : Il semble qu’il y ait même une forme de solidarité internationaliste notamment envers la Palestine qui s’exprime dans les mobilisations, peux-tu nous en parler ?

Daouia : La Palestine a toujours occupé une place particulière dans le cœur des algériens. Une relation fusionnelle s’est forgée dans la lutte contre le colonialisme, et cela dès les premières années de l’indépendance, avec le soutien à la cause palestinienne et la dénonciation des crimes et violences qu’ils subissent. La cause palestinienne reste un symbole de révolution aux yeux du peuple, et depuis le 22 les manifestants brandissent fièrement le drapeau palestinien dans les manifestations... Et avec les bombardements récents à Gaza en plus des drapeaux, des pancartes et des minutes de silence leurs sont dédiés notamment lors du sit-in des étudiants de la fac central le mercredi 8 mai.

RP : En tant que jeune militante et étudiante qu’elles sont les revendications que tu cherches à porter dans la mobilisation ?

Daouia : Le « départ du système » c’est une revendication qui en dit beaucoup ! En tant que femme je demande le départ du système, particulièrement parce que celui-ci a instauré le code de la famille, qui me donne le statut de mineure à vie. Départ du système donc, pour le statut de la « demie-citoyenne « qu’il m’a infligé et qu’il inflige aux femmes et en particulier aux plus précaires de la société. En tant qu’étudiante, je demande le départ du système pour sortir des logiques de rentabilisation de l’éducation, et pour que tous puissent avoir la chance d’accéder à une université gratuite, de qualité et émancipatrice. Chaque jour je milite pour l’auto-organisation des couches populaires (femmes, travailleurs, étudiants, villages..), pour pouvoir choisir démocratiquement des revendications et des moyens pour construire une nouvelle société représentative des intérêts de la majorité.

 
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