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La Izquierda Diario
22 de mai de 2019 Twitter Faceboock

Exploitation
La souffrance au travail, l’exemple de PSA Mulhouse
Vincent Duse

Aujourd’hui, le procès de France Telecom, et la multiplication des suicides à la SNCF remettent en lumière les atrocités de l’exploitation capitaliste. En 2014, Vincent Duse, ouvrier et militant à PSA Mulhouse écrivait ce texte afin de dénoncer les conditions de travail et méthodes managériales détruisant la santé, le moral, voire la vie des ouvriers, « en essayant de comprendre ce qui peut pousser, avec tout son caractère dramatique, des salariés à mettre fin à leurs jours comme seule solution pour que cesse la souffrance. »

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Crédit photo : Sebastien Bozon/AFP

Ce texte est extrait de la postface écrite par Vincent Duse du livre d’Elisabeth Des, Le harcèlement au travail. Mémoire d’un combat, éd. Les points sur les i, 2013.

En tout premier lieu et avant de commencer, je tiens à saluer le travail d’Élisabeth Des [1] pour son courage et sa détermination à dénoncer les pratiques infâmes à l’image du harcèlement et de l’intimidation en milieu hospitalier. Mais son combat n’est pas un cas isolé, et c’est aussi pour cela que nous nous sommes rencontrés en 2007. C’est aussi ce dont je vais parler, à travers la description de l’organisation du travail dans les usines du groupe PSA et, en l’occurrence, le site de Mulhouse, où je travaille au montage depuis 1991. Je m’attarderais aussi sur les événements qui se sont déroulés sur le site de Mulhouse en 2007 avec 5 suicides de travailleurs en essayant de comprendre ce qui peut pousser, avec tout son caractère dramatique, des salariés à mettre fin à leurs jours comme seule solution pour que cesse la souffrance.

Mais parler uniquement des suicides sans remettre en cause le fondement même de l’exploitation dans son ensemble serait un écueil grave. C’est pourquoi l’objectif est bien de déconstruire et de pointer les raisons qui poussent des salariés désespérés à la mort. Ce ne sont pas eux qui sont responsables d’une organisation du travail qui lamine toutes les liens sociaux, qui casse les solidarités entre les salariés. Une de ces formes d’organisation, la méthode Toyota, n’a rien de bien nouveau dans l’automobile. Les grands groupes comme PSA ou Renault la mettent en application pour faire des gains de productivité au détriment des salariés et de leur santé physique et psychologique. Mais la réalité, c’est bien une mise à mort à petit feu des salariés, qui subissent cette exploitation pour que PSA puissent augmenter ses profits.

Les similitudes entre l’hôpital de Toulouse, dans le public, et l’organisation du travail sur le groupe PSA laissent à penser qu’il y a bien cause commune. C’est bien dans cet objectif que la lutte d’Elisabeh Des et notre lutte contre le patronat ne font qu’un, une lutte contre ce système qui nous fait mourir par l’intensification des charges de travail, par le harcèlement, par les pressions pour détruire toute forme de contestation de l’ordre établi où la classe dominante détient tous les pouvoirs et essaie de faire taire toutes celles et tous ceux qui pourraient remettre en cause ce monde mortifère de la rentabilité a tout prix et de faire de la santé une marchandise. Mais alors qu’on assiste, à l’échelle européenne, à une offensive généralisée du patronat et des gouvernements à son service contre nos acquis et nos conquêtes, la voix d’Élisabeth prend toute sa force.

Le Toyotisme ou la mort par l’épuisement

La méthode Toyota, qui consiste a faire des salariés que de la « chair à gains de productivité », implique une intensification du travail pour le travailleur mais suppose également un engagement obligatoire et une participation psychologique au système. En ce sens, c’est une attaque au plus profond de l’être du travailleur. Le SPT (Système de Production Toyota), décliné en SPP sur le groupe Peugeot-Citroën (système de production PSA) implique en effet une participation active des ouvriers dans le processus de production pour mieux extraire la plus-value du travail salarié.

Pour ce faire, tout un arsenal de mesures est mis en place. La première, c’est la propagande. L’ouvrier est appelé opérateur. Et, pour leur donner de l’importance, au moins dans le discours, on dit que ce sont eux qui connaissent les bonnes pratiques et sont capables de faire des économies. La réalité, elle, est tout autre. La première attaque contre les conditions de travail c’est la chasse aux temps morts. De façon très concrète, cela veut dire que chaque mouvement doit être productif. Aucune « perte de gain de productivité » n’est tolérée, en dehors des pauses. Il n’y a plus le temps de souffler entre deux voitures. Tout cela aggrave considérablement les conditions de travail et implique une modification importante de l’augmentation de la charge de travail dans le but de supprimer des postes en suivant la logique de la recherche du profit maximum.

Mais il y a aussi le travail au standard. En effet la standardisation a pour conséquence une robotisation des taches de travail pour les salariés. L’exemple est pris sur celui qui va courir le plus sur la chaîne sans autre considération que mettre à profit tous les petit trucs qu’ont les ouvriers pour gagner du temps et donc du repos entre deux voitures. A ce niveau, tous les acquis et la façon dont les ouvriers savent organiser eux-mêmes le boulot pour qu’il soit moins pénible sont soit intégrés soit supprimés par le patron et remplacés par un standard de travail que tous doivent appliquer a la lettre sous peine de sanction. C’est comme cela que l’on rentre dans l’ère des ouvriers-robots. Et les ouvriers sont régulièrement contrôlés par leur chef par des VRS (Vérification des Respects du Standard). Cela implique que pendant une heure on se retrouve avec un moniteur et un ouvrier professionnel sur le dos qui surveillent, qui inspectent et qui fliquent. Une VRS, c’est une vraie souffrance pour les salariés. C’est une pression pour les obliger à faire le travail d’une seule manière sans possibilité de contestation. Et bien entendu, s’il y a des défauts à leur poste, c’est parce que le standard n’a pas été respecté.

L’intensification des charges de travail qui va de pair avec la chasse aux temps morts, c’est faire toujours plus avec moins de salariés. Avant, sur la taule, il y avait le bureau des méthodes qui allait sur les chaînes pour chronométrer les postes et construire une gamme de travail. Aujourd’hui il a y un logiciel qui fait une construction de poste avec un maximum d’opérations sans ce soucier de prendre en compte les choses et les problèmes que peuvent rencontrer les salariés. Les postes sont surchargés volontairement à tel point que vous n’avez plus le temps de souffler, n’y de parler à votre voisin sans couler. « Couler », c’est le terme qu’utilisent les ouvriers qui travaillent en chaîne quand un collègue ne tient plus la cadence et n’arrive plus à suivre.

Les anciens, ceux qui sont malades, ou les salariés handicapés, sous la pression des cadences infernales, sont les premiers à faire les frais de cette organisation du travail et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que les postes sont les même pour tous, peu importe l’âge ou l’état de santé. Les postes ne change pas et les postes dits « à capacités restreintes » ont été supprimés, ou alors les postes hors chaîne ne font pas assez de valeur ajoutée. Finalement, tout le monde se retrouve en chaîne avec toutes les conséquences dramatiques pour les salariés soumis a un tel régime.

La participation au processus de production qu’impose le système PSA est également l’obligation de participation des salariés à tout ce qui est économie : le rangement de son poste de travail, « éviter les accidents » (entre guillemets, parce que c’est pour rendre l’ouvrier responsable, en cas d’accident, du coup), être « force de propositions » dans ce qu’ils appellent « l’amélioration permanente des postes de travail » mais qui se traduit dans la réalité par une aggravation permanente des conditions d’exploitation.

La participation des travailleurs n’est pas seulement obligatoire mais c’est la condition pour pouvoir évoluer dans l’entreprise en termes de salaire et de carrière. Dans le dernier accord d’entreprise ou accord d’évolution des ouvriers professionnels de fabrication, tout le texte repose sur la performance personnelle à son poste, à la capacité de faire plus que son travail, d’être participatif, non seulement d’être ponctuel, arriver à l’heure, mais surtout de ne jamais être malade à travers le « présentéisme ». C’est un accord où c’est le comportement individuel qui est pris en compte pour l’évolution de carrière, où chaque salarié est individualisé, tous se retrouvent en concurrence les uns avec les autres. Tout ceci est chapeauté, chaque année, par l’entretien de progrès : c’est une discussion avec la hiérarchie, en fonction d’une grille où l’on est évalué au poste de travail, encore une fois une pression insupportable pour beaucoup de salariés.

Les pressions et le harcèlement des malades

Avec une organisation du travail aussi inhumaine, beaucoup de salariés sont sujets à des dépressions nerveuses tant l’intensification des charges de travail est forte : le pétage de plomb n’est jamais loin quand on a en permanence la tête dans le guidon, quand on craint de ne pas parvenir à tenir le poste, que le rythme des cadences nous enferment dans le silence et qu’il devient difficile de discuter entre collègues. Il est assurément très proche quand on sent progressivement s’installer toutes sortes de douleurs, ces troubles musculo-squelettiques très fréquents chez les salariés de PSA, du fait des mouvements répétitifs qu’il faut réaliser à un rythme quasi-intenable.

Aujourd’hui, les salariés souffrent de plus en plus de problèmes psychologiques, impliquant des arrêts maladies de longue durée, parce qu’ils ne peuvent plus endurer la pression des cadences. Et alors, l’entreprise, via la médecine du travail, refuse de les réintégrer, prétextant ne pas avoir de poste adapté à leur maladie. Ou bien encore, si la maladie implique un rétablissement supérieur à un an et un jour, ils risquent tout simplement de se faire licencier.

Loin de faire exception, cette méthode pour « traiter » les congés maladies est systématisée. Plusieurs arrêts maladies dans l’année, voire une simple grippe, suffisent pour recevoir une lettre du patron qui sert à culpabiliser et/ou à menacer de licenciement un salarié s’il venait à « tomber malade de nouveau ». Le fait de se soigner et de respecter son état de santé constitue pour l’employeur une perturbation du bon fonctionnement de l’entreprise ou du secteur. Ainsi, dans la convention collective de la métallurgie du Haut-Rhin, l’article 30 stipule que l’employeur peut se séparer d’un salarié si ce dernier est trop souvent absent, même si ces absences sont justifiées médicalement. Cet article, seules la CGT et la CFDT ont refusé de le signer, et pourtant, aujourd’hui, PSA l’utilise pour licencier des salariés en cas d’absences répétées.

Pour les salariés, qui après plus de 20 ans de vie donnée à la chaine sont détruits, comme c’est le cas pour les anciens et ceux qui souffrent de fortes restrictions médicales, qui ne peuvent plus tenir les postes qui leurs sont proposés, pèse le risque d’être déclarés inaptes par le médecin du travail et ensuite d’être licenciés.

A cela s’ajoute le contrôle médical patronal, « médecins flics » dans le jargon de l’usine : ils sont mandatés pour contrôler à domicile, et s’ils jugent l’arrêt injustifié – ce qui est presque toujours le cas – ils cassent l’arrêt, ce qui impose la reprise du travail ou une nouvelle consultation auprès du médecin traitant pour en faire un nouveau. Le flicage et l’atteinte à la vie privée ne s’arrêtent pas là, puisqu’à l’usine, nous avons eu affaire à un chef d’équipe du secteur des portes, au montage, qui demandait aux salariées femmes leurs dates de menstruation, pour contrôler les allées et venues aux toilettes, jugées trop répétées.

Comme si tout cela ne suffisait pas, il existe également l’entretien de ré-accueil des salariés revenus de congés maladie. Et bien entendu, les chefs, devenus soudainement doués de compétences médicales, s’arrogent le droit de vous interroger sur votre maladie, font monter la pression sur les absences, et expliquent qu’elles peuvent avoir des conséquences sur votre avenir dans l’entreprise.

A travers des pressions exercés sur les malades, c’est une véritable politique de terreur qui est menée à l’encontre de l’ensemble des salariés du site PSA Mulhouse ; pour que ces derniers se rendent au travail quel que soit leur état de santé, même malades ou épuisés par les cadences. Or aujourd’hui, dans le contexte de la crise capitaliste, le patronat redouble d’effort en appliquant encore plus sévèrement ces pratiques odieuses, faites de pressions et de harcèlements. Une fois détruits physiquement et mentalement par une exploitation destinée à alimenter grassement les caisses de PSA, l’entreprise se débarrasse purement et simplement de ceux dont elle a volé la santé : ces méthodes criminelles mériteraient un procès, si seulement la justice n’était pas aux mains de ces mêmes qui la bafouent. La vraie justice ne peut être obtenue qu’au moyen de nos propres forces, dans la lutte collective. Elle seule peut changer les choses.

Les suicides à PSA Mulhouse : le mépris patronal se poursuit jusque dans la tombe

Entre janvier et octobre 2007, cinq salariés du site PSA Mulhouse se sont donnés la mort, deux sur le site lui-même, trois à l’extérieur.

Non seulement le choc fut des plus rudes pour les syndicalistes CGT que nous sommes, mais à cela s’est ajouté le dégoût face aux manières employées par les dirigeants du site PSA Mulhouse, puis par l’ensemble des responsables du groupe PSA, pour gérer ces morts de la misère en milieu ouvrier.

Dans le secteur de l’automobile, le groupe Renault avait déjà été touché par des suicides de cadres. Le fait nouveau qui s’exprime à PSA, c’est que des ouvriers se sont donné la mort sur leur lieu de travail. Ce qui a évidemment des significations par rapport aux raisons de leurs actes.

Le premier suicide est survenu a l’usine de mécanique, dans un petit localoù Maurice, le salarié en question, y effectuait habituellement du travail de précision. Qualifié de « bon vivant » par ses camarades de boulot, il entrainait une équipe de football de jeunes, et n’avait aucun problème dans sa vie de famille, quoiqu’en dira plus tard la direction pour se dédouaner de ses responsabilités. Nous tous, nous nous sommes posé cette question : comment en est-il arrivé à cette fin tragique ? La pression pour faire toujours plus vite et à moindre coût – martelé comme maitre mot à PSA – n’aurait plus été supportée par notre collègue et camarade de travail. Alors que des preuves accablantes sont présentes – passage à l’acte sur le lieu de travail et disquette laissée par Maurice pour expliquer son geste – l’enquête de gendarmerie piétine jusqu’à ce jour où elle est classée sans suite. Nous ne connaissons toujours pas le contenu de la disquette, qui n’a jamais été rendu public.

Le jour même où a eu lieu le suicide, la direction de PSA a réuni un CE extraordinaire (comité d’établissement) pour nous faire part du drame : selon eux, il ne fallait surtout pas faire de conclusions hâtives, que l’enquête, aux mains de la justice, apporterait l’éclairage sur les raisons du passage à l’acte de Maurice. Concernant la CGT PSA Mulhouse, nous ne faisions confiance ni à la justice, ni à la direction de PSA pour mener une enquête objective. Ainsi, nous avons entrepris notre propre enquête auprès des travailleurs de l’usine de mécanique ainsi que de la veuve de Maurice afin d’établir des éléments tangibles sur l’état de Maurice avant son suicide. Il était question de collecter des preuves pour mettre en cause PSA et ses méthodes, et pouvoir condamner la direction pour faute inexcusable de l’employeur.

La réaction de PSA ne s’est pas fait attendre : deux jours à peine après le suicide, la direction invoquait les problèmes de couple de Maurice, avant même que l’enquête soit menée à bout, avant même que le CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) n’ait été réuni autour de la question. Ce fut intolérable pour la veuve de Maurice : certes, elle avait constaté un changement dans l’état de son mari, mais, leur relation était bonne, en aucun cas comparable aux difficultés rencontrées au boulot de Maurice. Lui qui était d’une nature très joviale ne parlait plus beaucoup, se plaignait de la pression exercée par sa hiérarchie pour effectuer les tâches plus rapidement en bradant les règles de sécurité, chose qu’il n’acceptait pas. Y compris dans le bus, avec les collègues, il ne parlait plus. Il commençait en réalité à sombrer dans une profonde dépression. Ne voyant pas comment s’en sortir, il a pris la décision de mettre fin à sa vie, et avec, à la pression et à l’injustice subies jour après jour.

Sa femme, accablée de chagrin et de colère, a pris la décision d’envoyer un courrier à la direction et aux organisations syndicales du site de Mulhouse pour dénoncer la manœuvre de la direction et les propos mensongers sur sa vie privée. Dénonçant les calomnies de la direction, elle rétablie la vérité sur sa vie de couple avec Maurice et conclut la lettre en la signant « veuve en colère ».

Une camarade du syndicat CGT qui connaissait bien Maurice et sa femme a entrepris avec l’accord du syndicat de constituer un dossier pour porter l’affaire devant les tribunaux. Faire reconnaitre le suicide comme accident du travail ayant entrainé la mort – et ainsi condamner PSA comme responsable – n’est pas une mince affaire : il faut, pour être recevable, que la plainte soit déposée par la famille ou la compagne, et c’est seulement sur cette base que le syndicat peut entrer en scène. Mais c’était sans compter les incroyables ressources du groupe PSA, en termes de moyens de pression et de dissuasion,qu’il a employés aussi bien à l’égard de la famille de Maurice, que sur la CGT, et surtout sur notre camarade qui s’occupait presque à plein temps de la constitution du dossier pour cette affaire.

Du jour au lendemain, comme par enchantement, la veuve a disparu. Ne donnant plus suite à nos appels pour faire avancer le dossier contre PSA, la camarade a décidé de lui rendre visite et comprendre pourquoi elle ne donnait plus signe de vie. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir qu’elle avait déménagé, qu’elle était partie de la région, sans laisser d’adresse. Bien sûr, il ne faut pas être devin pour comprendre que PSA, malgré l’impossibilité de réunir les preuves de cette affirmation, a très certainement noyé l’affaire par quelques liquidités, et ainsi enterré définitivement le risque de procès et de condamnation.

Par la suite, lors de chaque réunion, la direction de PSA n’avait qu’un seul argument à la bouche pour répondre aux interrogations : que l’enquête suivait son cours et qu’il fallait avoir confiance en la justice de ce pays. En effet, la justice a bien fait son travail, puisqu’elle a su défendre les intérêts du patronat et de la classe dominante.

Octobre noir continu sur le site de PSA Mulhouse

En effet, deux semaines après le suicide de Maurice, un nouvel événement va bouleverser les salariés du site de Mulhouse : Mario, ouvrier au Montage, s’est pendu dans le magasin avec un cerclage de fer. Son corps est découvert par l’équipe, à 13h15, à leurs prises de postes.

Cette fois-ci, les médias s’emparent de l’affaire. C’est le deuxième suicide en l’espace de quinze jours. Le branle-bas de combat de la direction commencepour instaurer une quasi-omerta : convocation d’un CHSCT et d’un CE extraordinaire pour nous dire qu’il ne faut surtout pas communiquer sur cette triste affaire, que cela risque de donner de mauvaises idées à certains, que les interventions dans les médias pour salir l’entreprise risquent de favoriser le passage à l’acte des salariés par un effet boule de neige (selon le DRH). En bref, que la meilleure façon d’enrayer le phénomène des suicides ouvriers, c’est surtout de ne pas en parler !

Il est vrai qu’à cette période, en tant que secrétaire du syndicat, je faisais toutes les télés. Du coup, les accusations se sont retournées contre la CGT Mulhouse : l’incitation aux pulsions suicidaires viendrait, d’après les insinuations de la direction de PSA, des interventions médiatiques des collègues ouvriers de Mulhouse, plutôt que des conditions de travail et des pressions quotidiennes exercées par la direction. Argument aussi risible que celui du caractère multifactoriel des suicides, mis en avant par PSA pour minorer sa responsabilité. Cadences infernales, pression sur les congés maladies, exigence permanente à la rentabilité, système quasi-carcéral de surveillance, ça fait combien de facteurs tout ça ?!

Le suicide de Mario m’a beaucoup affecté. Je l’ai très bien connu : il avait été adhérent CGT pendant de longues années, on avait mené ensemble plusieurs arrêts de travail, pour lutter notamment contre la fermeture des restaurants au montage. C’est lui qui m’avait formé à mon tout premier poste de travail chez PSA.

Après plusieurs années de travail à la chaine, Mario a été muté en logistique pour avoir un poste où la pénibilité du travail est moins importante. Mais comme les charges de travail n’arrêtaient pas d’augmenter à la chaîne comme en logistique, il courrait toute la journée pour ravitailler les postes en ligne de montage. Il avait beaucoup maigri. Il sautait les pauses repas pour pouvoir tenir le poste par peur de la sanction, sachant que les chaînes ne doivent pas s’arrêter. A ce propos, une de ses amies était venue me trouver, inquiète de son état de santé. Je suis donc allé le voir, un vendredi, à la fin d’équipe de l’après-midi, pour qu’on se rencontre le lundi. Mais c’est ce jour là qu’il a choisi pour mettre fin à ses jours.

Comme pour Maurice, nous avons essayé de rencontrer sa famille. Mais Mario était divorcé, et sa compagne d’alors a refusé de nous rencontrer. Encore une fois, la direction a mentionné les problèmes sentimentaux et personnels de Mario, sans même énoncer le moindre lien avec la réalité de la pénibilité de son travail.

Pour les trois autres suicides de salariés qui ont eu lieu hors du site, la direction n’a pas jugé nécessaire d’organiser une réunion, en prétextant que les faits s’étaient déroulés en dehors de l’entreprise et qu’elle n’avait pas à traiter de problèmes qui ne la concernaient pas. Et comme nous n’avions aucun pointd’appui, ni celui des familles, ni des autres organisations syndicales, les nouvelles affaires en sont restées là. Pourtant, j’ai eu l’occasion de discuter avec une veuve des ex-salariés en question qui a mis en avant la situation de stress intense que vivait son mari au travail, mais qui avait trop peur de porter le cas en justice contre le monstre PSA.

Pour terminer ce triste récit, toujours en 2007, un autre salarié du montage, Paul, a tenté de se suicider. Du fait d’un problème sur son poste de travail, le chef l’a convoqué dans son bureau. Il tente alors de lui faire signer de force un document dans lequel il reconnaitrait avoir commis une faute, gage qui faciliterait une procédure de licenciement. Paul, qui ne peut pas lire, refuse et sort du bureau, persuadé qu’il va être sanctionné et/ou qu’il sera menacé d’être licencié suite à son refus. De retour chez lui, il ingurgite un produit industriel. Heureusement, ses frères sont à la maison, et appellent les urgences, ce qui lui sauve la vie.

L’attitude de la direction et des autres organisations syndicales dans notre combat pour faire reconnaître les suicides comme accidents du travail ayant entraîné la mort

Le combat contre les conditions d’exploitation qui comme vous le voyez peuvent aller jusqu’à entrainer la mort, nous avons toujours été les seuls, en tant qu’organisation syndicale, à le mener. Le patron, qui était d’après lui trainé dans la boue par la CGT, a toujours reçu le soutien des autres organisations syndicales pour valider sa position, à chaque réunion du CHSCT et du CE.

Le syndicat FO PSA Mulhouse bien connu pour ses positions pro-patronales est allé jusqu’à provoquer notre camarade Florence qui s’était occupée des dossiers des suicides dans une réunion du CE. Au vu de leur attitude de mépris envers les salariés décédés et du soutien permanent qu’il apportait à la direction, notre camarade, sous le coup de la colère, a déclaré qu’elle allait les tuer. Ils ont porté plainte pour menace de mort, avec, bien entendu, l’aval de la direction. Suite à cela, elle a fait une grave dépression nerveuse, pas tant du fait de la plainte déposée que de l’intolérable injustice de la situationet de cette mascarade qui consiste à inverser les rôles des victimes et des bourreaux. Aujourd’hui, elle a quitté l’entreprise et est toujours sous traitement.

La direction de l’usine, comme tout le groupe PSA, a été malgré tout secouée et leur réputation entachée par cette vague de suicides. Pour preuve, dans le but de redorer son blason, le groupe PSA a été obligé de faire quelques petites concessions aux salariés : il a fait appel à un psychiatre pour exposer les risques psychologiques à toutes les organisations syndicales, a du instaurer une cellule de veille pour prévenir les suicides et organiser une réunion annuelle autour du thème du stress au travail. Mais, sous la contrainte du scandale médiatique, pour rendre crédible sa nouvelle orientation vers la prise en compte du bien-être au travail, le groupe PSA devait faire appel à un spécialiste de la question. Pour notre part, à la CGT, nous avons proposé de faire intervenir le professeur Christophe Dejours. La direction quant à elle, lui a préféré le professeur Legeron, que toutes les organisations syndicales hormis la CGT ont approuvé comme un seul homme.

Il faut savoir que M. Legeron est le responsable du cabinet Stimulus, et c’est cette même personne qui a été désignée par Xavier Bertrand, alors ministère du travail, pour publier un rapport sur le stress au travail remis au gouvernement en mars 2008. C’est également ce cabinet de conseil qui avait comme gros contrat France Télécom pour qui il organisait des formations de « gestion du stress », bien avant la crise des vagues de suicides chez l’opérateur. Sa méthode, traiter le « stress au travail » comme un problème de santé publique, qu’il compare à l’épidémie de grippe A (interview au Journal du Dimanche), mais il ne met jamais en cause les modes d’organisation du travail. La souffrance au travail, il ne connait pas. Pour lui, il y a « le bon et le mauvais stress », et, comme mesure d’urgence, il préconise d’instaurer un questionnaire que tous les salariés du site peuvent remplir lors de leur visite médicale annuelle et la mise en place d’un numéro vert : comme cela, les salariés peuvent appeler leurs patrons qui les ont harcelé, à l’aide. Cherchez l’erreur !

Et pour finir quelques perspectives

Le constat que nous avons a faire doit être sans concession contre ce système de mort. Le toyotisme est une des modalités, parmi d’autres, de l’organisation du travail… ou plutôt de l’exploitation. L’enjeu, sous le toyotisme ou sous toute autre forme d’organisation en système capitaliste, c’est de rechercher toujours plus de profits, et en ce sens c’est une arme de destruction massive contre toutes les résistance ouvrières visant à faire disparaître tous les liens de solidarité, individualiser les salariés et aussi les mettre en concurrence avec des travailleurs d’autres sites d’un même groupe. L’objectif, c’est d’éviter que des liens, des causes communes émergent. L’idée, c’est de remettre en question la notion même de classe sociale, de force productive qui peut s’émanciper, nous, le monde du travail au sens large, la seule classe qui peut renverser le système capitaliste et faire vivre la société sans recherche de profits, la seule classe qui peut faire tourner les usines sans les patrons. C’est ça l’œuvre destructrice de se système d’organisation.

Aujourd’hui dans la crise mondialisée du capitalisme plus que jamais la bourgeoisie et leur alliés ont peur de la créativité ouvrière de leur capacité a surmonter bien des difficultés comme dans le cadre du travail au quotidien, comme nous le montrent les travailleur de l’usine de Zanon en argentine qui, devant la fermeture de leur usine, ont décidé de la reprendre et de la faire tourner sans patron suite a la crise de 2001 qui leur réservait que misère et chaos. Aujourd’hui plus que jamais, la classe dominante doit imposer sa dictature pour nous imposer encore plus de souffrance sans autres perspectives que celle d’accepter nos conditions d’exploitation, ou, sinon c’est les fermetures d’usines ou des accord crapuleux de compétitivité qui vont encore davantage créer les conditions des suicides ou de la mort lente de surtravail puisque il y un chômage de masse.

Et bien nous aussi nous avons les leviers d’une force importante, mais gangrenée par l’acceptation d’un seul système, celui du capitalisme pourrissant, qu’elle soit syndicale ou politique. Nos tâches c’est bien de montrer que ceux qui font tourner la planète ce ne sont pas les banquiers, les PDG et les actionnaire, mais bien la classe ouvrière mondiale, c’est pour cette raison que si nous pouvons faire tourner une usine dans un partie du monde,nous pouvons le faire dans l’ensemble de la société.

 
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