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18 de juin de 2019 Twitter Faceboock

Moyen-Orient
Tensions entre les États-Unis et l’Iran. Quel risque de guerre ?
Max Demian

Après l’attaque de deux pétroliers dans le détroit d’Ormuz, les États-Unis ont accusé l’Iran, Trump ordonnant d’envoyer 1000 troupes en renfort. Bien qu’aucun des pays n’ait intérêt directement à une guerre, le risque s’accroît encore.

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Le détroit d’Ormuz : zone stratégique qui cristallise les tensions entre l’Iran et les États-Unis

Le 13 juin, deux pétroliers ont été la cible d’attaques dans le détroit d’Ormuz. Rapidement, Trump et son administration ont accusé l’Iran, et plus spécifiquement les Gardiens de la Révolution (l’armée au service de l’ayatollah), s’appuyant sur une vidéo publiée par le Centcom, le commandement interarmées responsable des opérations militaires américaines de la Corne de l’Afrique à l’Asie centrale.

En guise de réponse, Trump a annoncé l’envoi de 1000 soldats supplémentaires. Dans une région hautement inflammable, cette décision renforce la ligne de pression maximale envers l’Iran définie par Trump, et accroît encore les risques d’escalade dans un conflit au Moyen-Orient.

En seulement un mois, c’est en effet la deuxième attaque de ce type dans la région du détroit d’Ormuz, zone stratégique clé qui voit transiter quotidiennement jusqu’à 20% du pétrole mondial. De fait, la vidéo publiée par le Centcom semble en tant que telle insuffisante pour prouver l’implication du régime iranien. Pour l’heure, toutes les hypothèses quant à l’origine de l’attaque restent ouvertes. Il pourrait s’agir d’une initiative désespérée de la fraction la plus dure du régime iranien, cherchant à déployer son arsenal militaire tant qu’il est temps et montrer aux États-Unis ce qu’il en coûte d’imposer des sanctions à l’Iran - dans l’optique même de déclencher une guerre. En effet, si la première attaque laissait penser que l’Iran opterait pour une politique de guerre asymétrique et de harcèlement contre les forces américaines et leurs alliés, en réponse aux sanctions imposées par l’impérialisme américaine, cette seconde attaque pourrait alors signifier que l’hypothèse d’une guerre ouverte semble désormais crédible pour une partie du régime iranien.

Pour autant, une éventuelle supercherie américaine n’est pas non plus à exclure ; si Trump est particulièrement adepte des fake news, l’administration américaine n’est pas en mal de preuves falsifiées à travers son histoire, par exemple les prétendues armes nucléaires de l’Irak, affaire montée en partie pour justifier une intervention militaire. Enfin, l’hypothèse d’une attaque de l’Arabie Saoudite, en vue d’incriminer son ennemi l’Iran, est là aussi envisageable.

Pour résumer, la situation est donc difficilement lisible compte tenu de la multiplicité des acteurs, échelles et intérêts en jeu. Toutefois, au-delà de l’incident en tant que tel, qui ne joue qu’un rôle de catalyseur, certaines contraintes géopolitiques peuvent être esquissées pour rendre un tableau plus général de la situation.

Tout d’abord, fondamentalement, aucun des deux acteurs n’ont un intérêt direct à assumer une guerre ouverte pour le moment - même si de chaque côté les lignes les plus dures peuvent envisager cette hypothèse de façon sérieuse. En effet, bien que les États-Unis disposent d’une écrasante supériorité militaire et géopolitique, l’engagement dans une guerre probablement très longue et coûteuse avec l’Iran détournerait les États-Unis de leur objectif stratégique d’endiguement des puissances « révisionnistes » comme la Russie, et surtout la Chine. Le risque d’enlisement militaire, dans un scénario similaire à l’Irak, pourrait coûter cher à l’impérialisme américain. Enfin, le choix de s’engager dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient pourrait être mal perçu par l’opinion publique nationale à un an seulement des élections.

Du côté de l’Iran, bien qu’une partie du régime, notamment les Gardiens de la Révolution, ait adopté une doctrine de guerre asymétrique quasi permanente, l’annihilation de l’arsenal iranien serait extrêmement rapide et saperait les avancées obtenues par l’Iran dans la région du Levant, en Syrie ou en Irak. De manière générale, l’éventualité d’une guerre, à laquelle se prépare toutefois le régime iranien, ne permettrait pas de résoudre le problème que pose l’isolement du régime par l’impérialisme américain.

Les facteurs qui pourraient précipiter une guerre

Pourtant, de nombreux facteurs sont tout à fait susceptibles d’entraîner les deux acteurs dans une escalade imprévue ; une erreur de calcul, un signal interprété de façon incorrecte pourraient précipiter une attaque.

En effet, si la reprise des négociations n’est pour le moment pas exclue, les canaux de communication entre les deux pays sont particulièrement peu développés ; il suffit d’une mésinterprétation de la part de l’Iran ou des États-Unis, et le conflit pourrait rapidement dégénérer avant même de pouvoir mettre en place un protocole diplomatique dans une optique de désescalade de la situation.

Plus encore, l’administration américaine a opté pour une ligne de pression maximale envers l’Iran ; l’objectif stratégique, même s’il n’est pas ouvertement affiché, consiste à pousser à un changement de régime en sapant le régime iranien via des sanctions économiques et diplomatiques drastiques. Le retrait de l’accord américain de façon unilatérale par l’administration Trump relève de cette stratégie qui consiste pour le moment à mobiliser les deux piliers de l’impérialisme américain – le dollar et leur puissance militaire – pour ouvrir un rapport de force qui leur serait favorable à terme. Ainsi, si l’Iran est une cible privilégiée du régime américain, c’est la même stratégie qui a été adoptée envers le Mexique, le Canada, le Japon ou l’Europe – et évidemment la Chine –, menaçant d’infliger des droits de douane à qui ne se plie pas aux intérêts de l’impérialisme américain.

Mais l’Iran, tant pour des raisons géopolitiques « pures » que des raisons idéologiques, incarne l’ennemi juré de l’impérialisme américain, dont l’administration actuelle est composée de « faucons », c’est-à-dire des tenants d’une ligne maximaliste qui vise à imposer au prix fort les intérêts de l’impérialisme américain contre le reste du monde, y compris en s’en prenant parfois à ses alliés – et en agitant de façon véhémente leurs envies de guerre contre l’Iran. Parmi eux, les hauts responsables John Bolton et Mike Pompeo, qui affichent ouvertement leur haine envers Téhéran, Bolton étant connu pour avoir ardemment soutenu l’intervention désastreuse en Irak. Pour ces derniers, l’Iran incarne plus que tout un ennemi honni, régime littéralement démoniaque à abattre.

D’un point de vue géopolitique, les intérêts américains sont directement menacés par la montée en puissance de l’Iran comme acteur régional, qui est sortie renforcée depuis son intervention en Syrie, mais aussi via ses milices qui jouent un rôle plus ou moins direct dans la région, que ce soit en Irak, au Yémen ou au Liban. Les alliés américains de leur côté, qu’il s’agisse d’Israël (ennemi juré de l’Iran) et surtout de l’Arabie Saoudite (en lutte pour l’influence dans la région et sur les cours de pétrole) poussent pour un renforcement d’une ligne dure de sanctions économiques et diplomatiques, avec la limite toutefois qu’une guerre à proximité de leurs frontières auraient des conséquences désastreuses pour ces pays aussi.

Le risque d’une montée aux extrêmes

De fait, la série de sanctions américaines ont profondément heurté le régime iranien, accomplissant, du moins à court-terme, les objectifs de Trump. Subissant les effets d’une restriction d’accès au marché bancaire, ou encore l’interdiction imposée par les États-Unis d’acheter du pétrole iranien, le régime se trouve dans une situation difficilement tenable : l’inflation n’a eu de cesse d’augmenter, provoquant il y plusieurs mois de ça la révolte de marchands contre le régime, et la croissance a été amputée. « Les sanctions de Donald Trump contre l’Iran ont déclenché un effondrement de la croissance économique, note le Financial Times, poussant la république islamique dans une profonde récession et portant l’inflation à 40 pour cent, selon le FMI. Lundi, le FMI a annoncé sa prévision d’une récession de 6% en Iran cette année liée aux efforts de M. Trump pour resserrer la pression économique sur le pays ». En frappant directement la base matérielle du régime, Washington escompte, sinon un changement de régime qui lui soit favorable, l’ouverture de négociations dans une position de force en mettant le régime à genoux. Dans une certaine mesure, ces sanctions ont déjà atteint leurs objectifs.

Néanmoins, les sanctions ont aussi engendré de nouvelles contradictions, provoquant un affrontement entre plusieurs lignes au sein du régime iranien quant aux solutions à apporter face aux pressions de Trump. C’est notamment l’aile la plus dure, celle des Gardiens de la Révolution, adepte d’une doctrine de la guerre asymétrique permanente, et prêts à aller jusqu’au bout du conflit, qui pourrait bien sortir renforcée contrairement aux plans de Trump. En tout cas, la récente attaque des deux pétroliers pourrait laisser penser que ces derniers sont, sinon directement passés à l’offensive, activement à la manœuvre. En effet, compte tenu du déséquilibre militaire écrasant, et du risque d’anéantissement rapide et sans possibilité de riposte des moyens militaires iraniens, une fraction du régime pourrait juger propice l’ouverture d’une conflit, ou du moins une attaque ciblée américaine, tablant sur un ralliement de la population contre l’impérialisme américain à leurs côtés.

Dans ce contexte, plusieurs facteurs stratégiques pourraient déterminer la suite des événements. Tout d’abord, l’envoi de troupes en renfort, pour assurer la sécurité dans la zone du détroit pourrait contraindre plus encore Washington en mettant Trump dos au mur en cas de conflits potentiels ; la politique de renforcement de la « dissuasion » n’est en effet pas sans risques : que faire en cas de nouvel incident ? Ensuite, la reprise éventuelle du programme nucléaire iranien pourrait précipiter une nouvelle salve de sanctions, et ouvrir des contradictions géopolitiques : quelle serait notamment la réponse de l’Europe en cas de reprise du programme ? Si les États-Unis ont accusé l’Iran d’être responsable de l’attaque des tankers, c’est entre autres dans l’optique d’isoler plus encore Téhéran et de rallier d’autres soutiens à cette ligne dure envers l’Iran. Toutefois, les intimidations, menaces et comportements erratiques de Trump ont contribué à éroder le réseau d’alliances de l’impérialisme américain.

L’aiguisement des tensions est finalement à même de renforcer une éventuelle montée aux extrêmes. Car derrière la confiance exubérante affichée par l’Iran, tant dans ses (hypothétiques) attaques contre des pétroliers que dans sa rhétorique, la réalité est celle d’un régime aux abois dont les contradictions internes, qui s’accumulent, menacent d’exploser. Du côté des États-Unis, les faucons au pouvoir ne laissent guère présager une issue diplomatique à l’exacerbation des tensions.

Ainsi, des deux côtés, à Washington comme à Téhéran, ce sont les ailes les plus dures, favorables au conflit ouvert, au risque de faire s’embraser le Moyen-Orient, qui pourraient bien se renforcer dans cette séquence de haute tension. Compte tenu des inimités réciproques, de la nature asymétrique du rapport de force entre les deux pays, et de l’absence de communication entre les deux parties, bien que pour le moment peu probable, le risque de guerre augmente un peu plus encore. Une erreur de calcul, un signal interprété de façon incorrecte pourrait précipiter, notamment du côté de l’Iran, une riposte qui marquerait le début d’une escalade qui impliquerait une multiplicité d’acteurs et déstabiliserait non seulement toute la région, mais aurait des répercussions géopolitiques profondes à travers notamment la disruption du marché de l’énergie.

 
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