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La Izquierda Diario
5 de juillet de 2019 Twitter Faceboock

Université d’été RP. Deliveroo, Telepizza, étudiants salarié, les précaires en lutte dans toute l’Europe
Paul Morao

Alors que le mouvement des Gilets jaunes a mis en avant avec force le caractère explosif de la précarité en France, trois militants européens étaient réunis ce jeudi à l’Université d’été de Révolution Permanente pour évoquer leurs expériences de lutte de travailleurs précaires. Une discussion passionnante dont les leçons stratégiques sont riches pour penser le sujet brûlant des luttes ouvrières et syndicales dans un monde du travail marqué par une précarisation rampante et par un refus, de la part des directions syndicales, de travailler à l’organisation des plus précaires.

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France, Espagne et Allemagne, dans toute l’Europe les mêmes politiques sont menées depuis plusieurs décennies pour précariser le travail, détruire les solidarités ouvrières et rendre toujours plus difficile l’organisation collective. Un constat qui a conduit certains à gauche à théoriser, avec l’entrée dans la période néo-libérale, l’ouverture d’une époque de défaites pour le mouvement ouvrier, voire la fin du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière, trop affaiblie par sa fragmentation croissante et par la déstabilisation de ses conditions d’emplois.

Pourtant, de la grève des travailleuses du nettoyage d’Onet, en passant par celle des femmes de chambre, de Hyatt en France au collectifs « Las Kellys » en Espagne, jusqu’aux mobilisations des livreurs à vélo dans toute l’Europe, de sous-traitants ou même des Gilets jaunes, de nombreuses expériences montrent que la précarité est loin d’être venue à bout de la lutte de classe.

Pour dégager les enjeux des luttes des travailleurs précaires, trois militants étaient réunis ce jeudi dans l’Aveyron, afin de débattre de leurs expériences, des stratégies menées, et de l’importance d’un travail en direction de secteurs du travail bien souvent délaissés par les syndicats.

Deliveroo en France : une jeunesse travailleuse en lutte

Steven a travaillé deux ans chez Deliveroo, où il a notamment pris part à la création d’un collectif de livreurs à vélo en lutte pour leurs droits, le CLAP. Une gageure dans un secteur où tous les livreurs sont employés par des entreprises différentes, et où leurs statuts d’auto-entrepreneurs les privent de la plupart des conquêtes du mouvement ouvrier ?

« La précarisation du travail est une forme de retour à des formes d’exploitation courantes au XIXème siècle, dont l’exemple typique est celui des Canuts, les auto-entrepreneurs de l’époque » commence par rappeler Steven. Malgré toutes les difficultés de s’y organiser, les luttes de livreurs ont le triple intérêt de prendre place dans un secteur qui réunit majoritairement une jeunesse travailleuse, qui est un véritable laboratoire des transformations contemporaines du travail et qui se caractérisait au départ par l’absence de luttes qui y étaient menées. Et pour cause, des syndicats comme la CGT avaient dans un premier temps refusé de l’investir, avançant que les livreurs étaient des « petits patrons ».

C’est dans ce cadre et face au durcissement croissant de leurs conditions de travail qu’une dizaine de livreurs ont lancé le CLAP et organisé plusieurs journées de grèves. Des grèves aux méthodes originales, liées à la nature de l’activité, combinant blocages de restaurants centraux, blocages de créneaux via l’application et manifestations sauvages. Une lutte qui concerne tout le monde rappelle Steven, car l’ « ubérisation » est un moyen d’attaquer l’ensemble des conditions de travail et tend à s’étendre à toujours plus de secteurs.

L’Université de Berlin : mouvement étudiant et travail précaire

Yunus de Berlin raconte quant à lui le mouvement qui a mobilisé les étudiants travailleurs de trois universités à Berlin en 2018. Alors que les salaires de ces salariés n’avaient pas augmenté depuis 17ans en dépit de l’augmentation du coût de la vie, un mouvement organisé à partir de comités de base dans les universités s’est mis en place pour réclamer aux syndicats une grève. Une interpellation qui a pris place dans un contexte où les syndicats prétendaient depuis plusieurs années obtenir une augmentation pour les étudiants salariés par la négociation, mais refusaient d’appeler à la grève en dépit de l’échec de cette politique depuis 2016

Après une campagne importante en faveur de la lutte, les militants ont réussi à contraindre les syndicats à lancer une consultation concernant l’appel à la grève que les partisans de la mobilisation ont emporté. S’en sont suivies une grève d’une journée, puis d’une semaine, et enfin 21 jours de grève consécutifs. Une mobilisation qui s’est faite en convergence avec d’autres sectaires précaires, notamment dans les hôpitaux et la sous-traitance, culminant dans une grande manifestation de tous les précaires.

La mobilisation qui aura réuni jusqu’à 1200 grévistes sera finalement arrêtée par les syndicats de façon bureaucratique après avoir obtenu une augmentation de salaire de 20%, laissant de côté une revendication centrale des grévistes : la possibilité des travailleurs étudiants d’obtenir un contrat de travail du même type que celui de n’importe quel salarié de l’Université.

Par-delà la lutte en tant que telle, Yunus a ainsi rappelé que l’enjeu des luttes de précaires était également de permettre d’impulser de nouvelles traditions de luttes, y compris dans des pays marqués par une forte intégration des syndicats. Des traditions et des mobilisations capables de secouer le conservatisme et le carcan imposé par les directions syndicales, en particulier dans les secteurs les plus concentrés du prolétariat.

Telepizza : deux journées de grèves historiques pour les précaires

Asier conclue la séance en évoquant la mobilisation historique de Telepizza qui a eu lieu cette année autour de deux journées. Dans le cadre du passage en franchises et d’un refus d’appliquer l’augmentation de salaire concédée par le gouvernement, des syndicalistes combatifs, parmi lesquels Asier, militant du CRT espagnol, ont lancé clandestinement une journée de grève clandestine.

Menée au travers d’une alliance entre deux syndicats de l’entreprise, la CGT et l’UGT, cette première journée de grève a été un succès, mobilisant 60% des salariés de l’entreprise et obligeant la bureaucratie de l’UGT à apporter son soutien au mouvement. Pour autant, elle ne permit d’obtenir une augmentation que de 25€, moitié moins que ce que demandaient les grévistes.

Dès lors, les Telepizza ont organisé une 2ème journée de grève, en faisant appel à d’autres secteurs de précaires et en entraînant dans la grève les travailleurs de Uber et de Glovo, une convergence favorisée par le nombre important d’employés de Telepizza cumulant plusieurs emplois, notamment dans ces entreprises. Si cette deuxième journée a mobilisé 70% des travailleurs de l’entreprise dans toute l’Espagne, une des réussites de cette nouvelle échéance a été la convergence avec la manifestation de la Gay Pride qui avait lieu au même moment en Espagne, réalisée au travers de la commission LGBTI qui avait été lancé dans l’entreprise.

Trois expériences et trois leçons stratégiques

Le débat aura finalement permis de dégager trois leçons stratégiques. D’abord, comme l’a rappelé avec force Asier : « il est possible d’organiser les secteurs précaires. » Contre tout défaitisme, les luttes présentées démontre au contraire la radicalité des travailleurs précaires.

En outre, une deuxième leçon réside dans la nécessité de récupérer les syndicats, de reprendre cet outil de la main des directions bureaucratiques qui l’enserrent, jouant un rôle de contention des luttes. Cette lutte contre les directions actuelles des grandes centrales syndicales passe notamment par des front commun entre les différentes équipes syndicales.

Enfin, c’est la nécessité d’une organisation révolutionnaire qui est ressortie de la discussion. Une organisation qui cherche activement à mener ce type de combats dans des secteurs précaires, et à les lier à d’autres secteurs, pour redonner un syndicalisme lutte de classe, et à la classe ouvrière une capacité hégémonique à porter les revendications de l’ensemble des secteurs opprimés, par exemple LGBTI. « Sans un militantisme anticapitaliste et révolutionnaire, qui cherche à renverser les bureaucraties syndicales, une grève telle que celle de Telepizza n’aurait jamais été possible » a ainsi rappelé Asier, rejoignant ici Yunus qui évoquait le rôle des révolutionnaires dans la structuration des comités de base de travailleurs étudiants qui ont été au cœur du lancement de la mobilisation en faveur de la grève.

Finalement, plusieurs syndicalistes sont intervenus pour abonder dans la direction des interventions. Travaillant dans des secteurs concentrés (SNCF, industrie) ou plus fragmentés (sous-traitance industrielle), tous ont rappelé que la précarité était une problématique centrale aujourd’hui, alors que les ouvriers des grandes usines travaillent fréquemment aux côtés d’intérimaires comme à PSA, mais aussi de demain, face à une précarisation qui touche l’ensemble des secteurs du monde du travail.

Des réflexions particulièrement d’actualité au lendemain du mouvement des Gilets jaunes qui a soulevé avec une acuité particulièrement forte la question des rapports entre les franges précaires et les franges plus concentrées de la classe ouvrière, du rôle des directions syndicales, et enfin de celui des révolutionnaires face à de tels événements dans la lutte de classes.

 
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