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9 de août de 2019 Twitter Faceboock

Pour une alternative des travailleurs
Argentine. Impressionnant meeting de la gauche anticapitaliste, à l’approche des primaires
Flora Carpentier

C’est devant l’imposant Parlement National argentin, en plein cœur de Buenos Aires, que se sont réunis, dans une ambiance combative, des milliers de travailleurs, de jeunes et de femmes ce mercredi soir pour le meeting de clôture de campagne du Front de Gauche et des Travailleurs - Unité (FIT-U), à quelques jours des élections primaires qui détermineront les candidats à la présidentielle d’octobre.

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Crédit photo : O Phil des Contrastes et La Izquierda Diario

L’élection présidentielle argentine s’apprête à voir s’affronter deux variantes de la bourgeoisie qui, malgré leurs nuances prévoient toutes deux de faire payer la crise capitaliste aux travailleurs au profit des plans du FMI et de l’impérialisme : les premiers sondages montrent les candidatures de l’actuelle et de l’ancienne présidences, Mauricio Macri et Alberto Fernández, allié de Cristina Kirchner, au coude-à-coude avec près de 40% d’intentions de vote. Face à cette importante polarisation, la candidature du FIT-U représente un enjeu de taille : celui du refus du “vote utile”, qui pourrait conduire certains électeurs à une logique préjudiciable du “moindre mal” pour se débarrasser de celui qui a mené les dernières attaques contre les travailleurs d’Argentine. Pourtant, comme l’ont rappelé les différents intervenants à la tribune de cet important meeting, représentant chacune des forces politiques ayant convergé dans cette alliance électorale inédite du trotkisme argentin, le FIT-U est la seule candidature, derrière la figure de Nicolas del Caño, à présenter un programme de rupture avec le FMI, dont les gouvernements successifs ont appliqué les plans d’austérités avec zèle, une compromission avec l’impérialisme à laquelle ils ne sont pas près de renoncer. C’est le rejet de cette politique consistant à faire payer la crise capitaliste aux travailleurs et aux classes populaires qui avait déjà conduit à une adhésion importante à la candidature du FIT aux dernières élections législatives de 2017, qui avait recueilli 1.200.000 voix, permettant de conquérir des postes de députés à travers tout le pays.

Dans l’auditoire, l’ambiance était tantôt à l’écoute attentive, tantôt à la frénésie au son des slogans ayant marqué les luttes de ces dernières années, et dont l’on retrouvait des indices ici et là : d’une banderole de lutte à une tenue de travail, en passant par les foulards verts devenus compagnons du quotidien pour toutes celles et ceux qui ne se résignent pas face au refus d’un droit aussi élémentaire que l’IVG dont le FIT-U est la seule variante politique à présenter dans son programme. Des projections empreintes d’une créativité remarquée ont envahi les façades du Parlement en travaux et provoqué la surprise des participants comme des nombreux passants, montrant une extrême-gauche de combat, ancrée dans son époque et sachant s’adresser aux nouvelles générations.

L’enthousiasme suscité par l’annonce du soutien de 700 intellectuels et artistes argentins à la candidature du FIT a donné le ton du meeting, où se sont succédé à la tribune María del Carmen Verdú, militante contre la répression policière, dirigeante de l’organisation Poder Popular et candidate députée, Celeste Fierro pour le MST et candidate députée, Juan Carlos Giordano, dirigeant de Izquierda Socialista et candidat député, Romina del Plá, dirigeante du Parti Ouvrier et candidate à la viceprésidence, avant le discours de clôture de Nicolás del Caño, dirigeant du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) et candidat du FIT à la présidentielle. A leurs côtés figuraient à la tribune de nombreux autres candidats et figures du FIT, les élections argentines ayant la particularité de rassembler les élections municipales, législatives et présidentielle, dont Myriam Bregman (PTS), Christian Castillo (PTS), Néstor Pitrola (PO), Vilma Ripoll (MST) et Claudio Dellecarbonara (PTS). L’énergie émanant des rangs reflétait l’énorme force militante déployée ces derniers mois à travers tout le pays : “Nous tenons à saluer l’effort de tous les militants et sympathisants du FIT-U, qui ont distribué des milliers de flyers, ont envahi les places, peint les murs, se sont affrontés parfois aux gros bras d’autres partis qui voulaient nous empêcher de coller nos affiches…” s’est écrié Juan Carlos Giordano, rejoint par les félicitations des différents intervenants.

Une voix radicalement opposée à celle des partis du régime et du FMI, une voix des travailleurs et des classes populaires

“Ne vous surprenez pas de nous voir parcourir les quartiers, les entreprises, car nous sommes des travailleurs et nous faisons de la politique pour changer nos vies à tous”, s’est exclamée Celeste Fierro, juste avant que retentisse le slogan “Unidad de los trabajadores, y al que no le gusta, se jode, se jode” [“Unité de tous les travailleurs, et celui qui n’en veut pas, qu’il aille se faire voir !”]. La représentante du MST poursuit alors : “Ils ont voulu nous faire croire qu’il n’y avait que deux options, mais en réalité les options qu’ils nous proposent ne sont pas si différentes et même se ressemblent plutôt, quand on voit leur soumission au FMI… Pour eux il faut continuer à payer la dette, à privatiser, à dealer avec l’Eglise et le pape, avec les multinationales qui polluent notre eau et s’approprient nos terres…

Juan Carlos Giordano a fait preuve de la même intransigeance : “Attention aux fausses alternatives : au sein du regroupement d’opposition se trouvent les gouverneurs qui ont appliqué les mesures de Macri dans les provinces. Alberto Fernandez va poursuivre le vol que représentent les privatisations, il n’empêchera pas les plans de licenciements car il soutient le pacte mafieux qu’a conclu Macri avec le FMI. Nous disons au contraire qu’il n’y a aucune issue sur la base de compromis avec le FMI, et nous sommes les seuls à le dire, nous sommes les seuls à refuser le paiement de la dette pour défendre un plan de construction de logements dignes, pour investir dans l’école publique... ce sont les capitalistes qui doivent payer leur crise, et non les travailleurs !”. “Luchar vencer, obreros al poder !" entonne l’assemblée [“Lutter, vaincre, ouvriers au pouvoir !”]. Romina del Plá s’est voulue encore plus convaincante : “Pour Fernandez, il faudrait dévaluer la monnaie pour récupérer de la compétitivité. Mais nous connaissons bien ce procédé que nous avons vécu par le passé. Nous n’allons pas nous laisser berner, car nous ne savons que trop bien que la seule chose qu’ils dévaluent ce sont nos salaires et nos pensions de retraite, tout en laissant les capitalistes et le patronat continuer à faire du profit”.

Après avoir pointé du doigt le gouvernement actuel et ses compromissions avec le FMI, Nicolás del Caño a à son tour épinglé la candidature d’opposition : “Nous devons aussi dénoncer la complicité du péronisme, qui se retrouve dans ce "Frente de todos" [“Front de tous” d’Alberto Fernández et Cristina Kirchner] où l’on trouve de nombreux responsables de la situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. Nous n’avons rien à voir avec ces politiques, nous qui nous sommes battus avec nos foulards verts pour les droits des femmes et des filles… nous dénonçons l’hypocrisie de ceux qui veulent nous faire croire qu’ils augmenteront nos retraites alors qu’eux mêmes sont responsables de la baisse des pensions, ceux qui veulent nous imposer plus de flexibilité au travail en nous faisant croire que cela générera de l’emploi, alors que nous avons bien vu ce que ça a donné dans les années 90… Nous devons nous opposer à cette réforme du travail. D’ailleurs il n’y a pas qu’en Argentine que le FMI impose ses plans d’austérité : il n’y a qu’à regarder comment ils ont fait de la Grèce un champ de ruines par exemple… Alors non, nous n’accepterons pas de payer la dette au prix de la faim de nos enfants, nous sommes les seuls à dire que nous refusons de payer cette crise générée par les grandes multinationales et propriétaires terriens”.

Aux côtés des luttes ouvrières, contre la bureaucratie syndicale

Candidate à la vice-présidence pour le FIT et enseignante dans un quartier populaire de la banlieue de Buenos Aires, Romina del Plá a commencé son intervention en saluant les différentes luttes soutenues par le FIT ou auxquelles participent ses militants à travers le territoire : “on voit là une différence fondamentale du FIT avec les autres candidats : en plus de donner une visibilité nationale à ces luttes, nous les soutenons au quotidien sur nos lieux d’études et de travail. Nous tenons à saluer en particulier la lutte des travailleurs de la ‘livraison rapide’, qui sont l’exemple de ce qu’on veut nous imposer avec les réformes du travail. Ils voudraient faire des travailleurs des ‘contributeurs’, mais nous ne sommes pas dupes, car ce qu’ils veulent en réalité c’est plus de flexibilité pour plus de précarité”. Puis elle a poursuivi : “Nous dénonçons aussi toutes les manœuvres de la bureaucratie syndicale, en particulier dans le secteur ferroviaire, car un fossé de sang nous sépare de cette bureaucratie mafieuse qui a emporté la vie de Mariano Ferreyra, et nous savons bien de quel côté du fossé nous nous situons”, a-t-elle martelé en rappelant la mémoire de ce jeune militant du Parti Ouvrier, assassiné lors d’une manifestation en 2010, par des gros-bras de la bureaucratie du syndicat cheminot. “Se va a acabar, se va a acabar, la burocracia sindical !” entend-on alors résonner [“On va en finir, on va en finir, avec la bureaucratie syndicale !”].

“Nous sommes ceux qui luttons pour que nos enfants soient éduqués dans des écoles dignes de ce nom, qui luttons pour que le drame de Sandra et Rubén ne se reproduise pas… et dont nous sommes les seuls à accompagner les familles dans le combat pour la justice” a rappelé quant à lui Juan Carlos Giordano, faisant référence à la mort de deux enseignantes un an plus tôt, lors d’une explosion liée à une fuite de gaz dans une école. Avant d’alerter : “Souvenez-vous, quand en décembre [2017] les travailleurs sont descendus dans les rues, les bureaucraties syndicales de la CGT et de la CTA se sont rangées du côté du gouvernement, et aujourd’hui ils font la campagne de Kirchner et compagnie”.

La seule candidature présente au Parlement à défendre le droit à l’avortement

Les batucadas ont résonné avec force face au parlement devant lequel un an plus tôt s’agitaient les milliers de foulards verts pour le droit à l’avortement, une lutte qui se poursuit et que le camp de Kirchner a honteusement retiré de son programme, en faisant une alliance avec certains des secteurs les plus réactionnaires du péronisme. Alors que les tambours marquaient le rythme des slogans scandés avec force comme “Avortement légal, à l’hôpital” (“Aborto legal, en el hospital”), Celeste Fierro du MST rappelait l’actualité de ce combat : “il y a un an, nous étions là dans le froid à nous battre contre les dinosaures et les secteurs réactionnaires qui continuent à nous refuser le droit à l’IVG. Mais cela nous a renforcés et nous ne mélangeons pas nos foulards verts à ceux qui luttent contre notre droit le plus élémentaire à l’avortement. Nous sommes féministes et socialistes, et nous allons continuer à nous battre contre le capitalisme et le patriarcat”.

Les écrans géants sont alors passé au vert et l’auditoire a été invité à brandir ses foulards verts pour un grand "panuelazo" sur fond de slogans de lutte féministe.

Le refus de la répression policière

Dans un pays comme l’Argentine marqué par la dictature militaire sanglante qui a conduit à plus de 30.000 morts portés “disparus”, la lutte contre la répression policière prend une teneur toute particulière. C’est avec émotion et colère qu’ont été applaudis les visages des dernières victimes de cette répression meurtrière, projetés sur la façade du Parlement. “Nous sommes ceux qui dénoncent la gâchette facile, qui refusent que nos enfants soient éduqués par cette gendarmerie qui a fait disparaître Santiago Maldonado, nous sommes ceux qui nous sommes réveillés tant de fois devant les commissariats pour exiger la liberté des prisonniers politiques”, s’est exclamée María del Carmen Verdú. Une préoccupation reprise par Romina del Plá : “Ils veulent discipliner notre jeunesse dans les QG de la gendarmerie, celle là même qui a tué Santiago, qui s’adonne à la surveillance généralisée, qui réprime les travailleurs sur la panaméricaine… ce sont ces valeurs qu’ils veulent inculquer à notre jeunesse ? Nous disons que le seul avenir souhaitable pour notre jeunesse c’est celui de lutter à nos côtés pour une autre société”. Tonnerre d’applaudissements.

Ces déclarations ont fait écho à la lecture d’une lettre de Daniel Ruiz, syndicaliste de la branche pétrolière et militant du Parti Socialiste des Travailleurs Unifié (PSTU), candidat député pour le FIT, incarcéré depuis plusieurs mois de façon totalement arbitraire, pour sa participation à la mobilisation massive contre la réforme des retraites en décembre 2017. “Même si le gouvernement de Macri et sa ministre de l’intérieur me gardent prisonnier dans une cellule, avec votre force et votre solidarité à vous tous, je peux dire que malgré les mensonges de Clarín et La Nación [principaux journaux du pays], mon cœur est avec vous pour la clôture de cette campagne”. “Libertad, libertad, a los presos por luchar !” ont alors entonné les militants avec force [“Liberté, liberté, aux prisonniers politiques !”].

Un vote anticapitaliste pour envoyer un signal fort et préparer les combats de demain

Chacun des candidats, après avoir salué l’énorme déploiement militant qu’a constitué ce premier volet de la campagne, a rappelé le sens particulier d’apporter son vote au FIT-U dans le contexte de bipolarisation et de tentation du “vote utile” : Nicolás del Caño, devenu une figure notamment après avoir été au premier rang de la répression des travailleurs de l’entreprise de sous-traitance automobile Lear en 2014, a rendu compte de l’accueil chaleureux rencontré au cours de sa tournée à travers le pays avec Romina del Plá : “Nous avons pu discuter avec beaucoup de jeunes, qui sont dégoûtés des politiques menées, et ça se comprend car ils sont les premiers à être touchés par le chômage et la précarité. Pour beaucoup d’entre eux il est devenu impossible d’étudier dans de bonnes conditions, et certains ne peuvent même pas se payer les moyens de transports. Mais ils sont nombreux à voir d’un bon œil la campagne du FIT-U, qui leur donne un espoir qu’une autre voie est possible”. La jeunesse s’est d’ailleurs approprié la campagne du FIT à sa manière, en ayant popularisé un morceau de “trap” mettant Nico del Caño à l’honneur et dont le clip a cumulé plus de 1,5 millions de vues sur YouTube ces dernières semaines.

“Chaque espace que nous pourrons conquérir, ce sera un nouveau poste de combat au service de l’organisation des travailleurs”, a ajouté María del Carmen Verdú, faisant écho à la manière dont chaque député du FIT a mis son mandat, ces dernières années, au service des luttes ouvrières et populaires. “Le seul vote utile qui vaille pour les travailleurs et les femmes, c’est celui de soutenir l’unité de l’extrême-gauche, a exprimé quant à elle Celeste Fierro. Ce sera un signal envoyé aux dirigeants, le message qu’ils ne nous font pas peur, mais aussi un message par la positive en montrant que nous sommes ceux qui continueront à nous battre et à soutenir les luttes. (...) C’est pourquoi nous devons aussi refléter cette unité dans le mouvement ouvrier, le mouvement de femmes, de jeunesse… car l’année prochaine s’annonce encore très conflictuelle et nous allons nous retrouver à coup sûr dans la rue”. Romina del Plá a également abondé dans ce sens : “Notre lutte est de sortir la classe ouvrière des griffes de la bourgeoisie, que des centaines de milliers de travailleurs tirent la conclusion qu’il est nécessaire de rompre avec le capitalisme. Il n’est pas uniquement question d’accumuler des votes, mais de préparer le terrain des luttes à venir”.

Un pas dans la lutte pour un gouvernement des travailleurs et pour une société socialiste

C’est en s’adressant à la jeunesse que Celeste Fierro a avancé la nécessité de combattre l’idée que le capitalisme est le seul horizon possible pour les générations futures : “Nous avons une bataille à donner contre ces secteurs qui voudraient nous faire croire qu’on ne peut rien changer. La preuve, aux Etats Unis près de 50% des jeunes voient le socialisme d’un bon œil. Lutter n’est pas seulement possible mais nécessaire. Notre objectif final c’est de conquérir un gouvernement des travailleurs et cette campagne est un pas en avant dans cette lutte”. Même invitation à travers les mots de Juan Carlos Giordano : “Des sociologues disent que ce qui mobilise la jeunesse ce sont des causes justes, et bien il n’y a pas de cause plus juste que celle de lutter contre le capitalisme qui détruit nos vies, qui détruit la planète, c’est cette lutte que nous vous invitons à rejoindre !”

Le candidat à la présidentielle Nicolás del Caño, a conclu le meeting sous un tonnerre d’applaudissements tandis que de nombreux téléphones portables s’élevaient de l’assistance : “Comme le disait la grande révolutionnaire Rosa Luxemburg, l’alternative est toujours ‘Socialisme ou barbarie’. Notre perspective c’est de réorganiser le pays sur de nouvelles bases en fonction des besoins des travailleurs, pour passer du ‘royaume de la nécessité’ au ‘royaume de la liberté’, comme le disait Marx”.

Le meeting s’est alors conclu par une nouvelle invitation à voter pour le FIT-U ce dimanche, mais également à apporter son soutien dans les bureaux de vote “pour s’assurer qu’aucune voix ne nous soit volée”. L’Internationale a alors résonné avec force sur la place du Parlement, entonnée par les milliers de jeunes, de femmes et de travailleurs regonflés par ces paroles de combat, et autant de poings levés dans la nuit, où les batucadas et les slogans se sont fait entendre encore un bon moment, réchauffant l’atmosphère de cet hiver austral et accompagnant un dernier effort militant, pour démonter, non sans regret, la scène et ses projecteurs. Sans nulle doute, le Parlement s’en souviendra.

 
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