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2 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Exploitation
Témoignages. Job étudiant : une marchandise bon marché
Esther Tolosa

Dans un rapport de 2007, le Conseil économique et social préconisait de « faire du travail étudiant un atout », présentant cette activité comme une façon privilégiée pour les étudiant.e.s d’acquérir à la fois « autonomie » et « expérience professionnelle ». Or, bien souvent déconnecté des études, les emplois étudiants ne rentrent en rien dans le processus de professionnalisation, ils sont purement alimentaires, il s’agit juste de pouvoir gagner assez pour subvenir au coût élevé que représente la vie étudiante.

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« Ce job représente pour moi plus une nécessité financière qu’une simple volonté d’entrer d’ores et déjà dans la vie active » (Gabrielle, 20 ans, serveuse). En effet, d’après un rapport de la FAGE et de l’UNEF, en comptant le logement, l’alimentation, les transports, l’abonnement téléphonique et internet, le budget moyen à prévoir pour un.e étudiant.e en Île-de-France s’élève à 1286 euros par mois contre 1082 euros par mois en région. Pourtant 23% des étudiant.e.s vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 900 euros par mois. Ainsi, pour pallier aux difficultés financières que représentent les études, un.e étudiant.e sur deux se voit contraint de travailler à côté pour avoir à peine de quoi vivre et continuer à étudier ; ce qui démultiplient les risques de décrochages, et produit des effets désastreux sur les subjectivités.

Précarité objective

En ce qui concerne les emplois étudiants, ce sont plus des corps que des qualifications qui sont recherchés. Par exemple, « A Mcdo, ils veulent juste quelqu’un qui travaille, rien de plus, ils ont juste besoin de ta force de travail » (Maxime, 20 ans, équipier Mcdo). En effet, la condition étudiante est idéale pour les employeurs de certains secteurs puisque les étudiant.e.s acceptent beaucoup plus facilement des formes de travail atypiques (CDD, intérim, temps partiel), des bas salaires, et des horaires décalés. Il s’agit donc d’une main d’œuvre disponible, flexible, et qui est peu amenée à se mobiliser collectivement. « Nous les étudiants, on est facilement exploitables. Nous ne sommes pas forcément au courant de nos droits. On accepte des emplois précaires pour nos études, et ils abusent de nous à leurs guise » (Gabrielle, 20 ans). Les étudiant.e.s occupent donc les emplois les plus précaires (comme le montre le fait que 62% des équipiers de Mcdo ont moins de 25 ans), sur des horaires décalés pour pouvoir jongler entre emplois et études, ce qui forcément aliène totalement le rapport au temps qu’iels peuvent avoir.

Un rapport au temps aliéné

« Est-ce parce que l’on est jeune que l’on a davantage les capacités de travailler 75heures par semaines entre études, boulot et stage ? » se révoltait Léa Frédeval dans son livre, Les Affamés, chronique d’une génération qui ne lâchent rien. En effet être étudiant.e salarié.e ce n’est pas seulement compter chaque euros, c’est aussi compter chaque minute. Si l’on estime qu’en moyenne le volume horaire de la fac représente 20h à 40 heures par semaine (en comptant le travail personnel), et qu’on additionne à cela le volume horaire d’un emploi qui peut varier entre 3 heures semaines pour certain.e.s jusqu’à 35 heures semaine pour d’autres, alors quel temps reste-t-il à l’étudiant.e pour être autre chose que l’objet de l’exploitation et se consacrer à d’autres activités ? En effet, un tel emploi du temps sape la possibilité de s’insérer socialement et de jouir d’une « vie étudiante » ce qui conduit certain.e.s jeunes à un isolement, et démultiplie les risques de décrochage scolaire. « En tant qu’étudiant étranger, je travaille beaucoup au gris, et donc je dois travailler encore plus pour gagner plus, ce qui me pousse à accorder plus d’importance au travail que à mes études. Car sans avoir gagné l’argent nécessaire à mes besoins je ne peux étudier et me concentrer sur mon Master, chose qui m’a valu de redoubler » (Hichem, 26, étudiant Algérien). Les étudiant.e.s salarié.e.s souffrent donc d’un manque de temps, et passent totalement à côté de ce qui devrait être ’’les meilleures années de leurs vies’’. Iels ne peuvent s’ancrer dans le présent, et la promesse d’un chômage certains, ne leur permet plus non plus de s’accrocher à l’avenir.

Altération de l’estime de soi et du rapport à soi

Plusieurs mécanismes peuvent altérer le rapport à soi des jeunes. D’une part le fort phénomène de turn-over dans certains secteurs, la création « d’emplois jetables » comme le dénonce Gilles Bombard le secrétaire générale de la CGT Mcdo Île de France, produisent un sentiment d’inutilité, de remplaçabilité chez l’étudiant.e salarié.e ce qui permet également d’éviter toutes formes de protestations. « C’est simple, si on se plaint on sait qu’il y a la queue pour nous remplacer » (Alice, 22 ans, hôtesse d’accueil). C’est donc une pression supplémentaire pour l’étudiant.e qui est ainsi placé dans une relation de soumission sociale. D’autre part le sentiment de mal-être au travail est renforcé par la dépossession du contrôle de l’apparence, et du corps. Pour Foucault, dans son ouvrage Surveiller et punir : « c’est, pour une bonne part, comme force de production que le corps est investi de rapports de pouvoir et de domination ; mais en retour sa constitution comme force de travail n’est possible que s’il est pris dans un système d’assujettissement ; le corps ne devient force utile que s’il est à la fois corps productif et corps assujetti ». Cet assujettissement du corps qu’entraînent les travails précaires peuvent briser l’estime de soi de certain.e.s étudiant.e.s salarié.e.s. « J’ai eu l’impression d’être déshumanisée, transformée en poupée du client » (Alice, 22 ans, hôtesse d’accueil). Comme l’explique Olivier Galland dans un rapport de l’INSEE :« La construction d’un « style » où l’apparence physique et vestimentaire tient une grande place, est devenue une composante essentielle de l’identité de beaucoup de jeunes. ». Ainsi la dépossession du contrôle de l’apparence et du corps, cumulée à un sentiment d’inutilité et de remplaçabilité peuvent être extrêmement violent chez certain.e.s jeunes. Les emplois étudiants produisent donc des effets désastreux sur la subjectivité des étudiant.e.s en sapant leur estime d’euelles, et en modrapporte rapports qu’iels peuvent avoir d’une part avec eux même, mais d’autre part avec le monde du travail. « Le Mcdo ça m’a dégoûté du monde du travail, je me suis mis à douter de moi et avoir l’impression que je n’étais rien » (Maxime, 20 ans). La conséquence préoccupante de tout ça c’est que 76% des jeunes estiment qu’étudier tout en travaillant entraînent des répercussions sur leur santé (mentale ou physique), alors déjà que dépressions, décrochages scolaires, alcoolisme, et suicides ne cessent d’augmenter dans la jeunesse.

Une jeunesse écrasée, mais après ?

D’après l’ouvrage de Vanessa Pinto, « A l’école du salariat. Les étudiants et leurs petits boulots », le travail étudiant, qui était perçu dans les années 50 comme un « fléau », s’est banalisé à partir des années 70, dans un contexte de crise économique, jusqu’à ce que dans les années 90 naisse le discours sur la ’’professionnalisation’’ afin de pouvoir légitimer la précarité structurelle dans laquelle sont placé.e.s des milliers d’étudiant.e.s. Ce discours sur la professionnalisation, cette injonction au travail étudiant est le fait d’un système : le capitalisme, qui détruit les vies à mesure que son propre pourrissement avance, incapable d’assurer la reproduction et la vie de ceux qui constituent ou constitueront la force de travail dont il a besoin. Ce même système qui attaque aujourd’hui l’ensemble des travailleurs mais aussi la jeunesse par la réforme des retraites, qui vient encore une fois briser les perspectives d’un avenir pour toute une génération déjà menacée par le dérèglement climatique.

Or, comme le déclarait Trotsky dans un texte de 1938 pour décrire la jeunesse révolutionnaire : « L’attitude fondamentale de la jeunesse je pense à la véritable jeunesse, pas aux vieillards de vingt ans réside dans le fait qu’ils sont prêts à se donner pleinement et totalement à la cause du socialisme. Sans des sacrifices héroïques, sans courage, sans résolution, l’histoire, de façon générale, ne progresse pas ». C’est pourquoi, il ne faut pas perdre de vue que des potentialités révolutionnaires naissent et se multiplient dans cette jeunesse écrasée par le rouleau compresseur néo-libéral, comme nous l’ont montré par exemple les mobilisations de cet été dans le secteur des livreurs à vélo, dans celui des hôtesses, ou même dans quelques Mcdo. C’est pourquoi il nous apparaît essentiel que de larges franges de la jeunesse se mobilisent pour leur avenir.

 
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