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La Izquierda Diario
8 de octobre de 2019 Twitter Faceboock

Témoignage
Sous-traitant chez Lubrizol : "J’ai démissionné le jour où un fût cancérigène est tombé au sol"
Flora Carpentier

Après un premier témoignage d’un ancien salarié de Lubrizol, qui a fait l’effet d’une bombe dans le contexte du silence des autorités comme des dirigeants de la multinationale, nous publions ce deuxième témoignage choc d’un ancien salarié de Netman, sous-traitant de Lubrizol.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Sous-traitant-chez-Lubrizol-J-ai-demissionne-le-jour-ou-un-fut-cancerigene-est-tombe-au-sol

Photos : à gauche, photo prise par Patrice Gravoin derrière le périmètre de sécurité à Rouen, le 5 octobre 2019. A droite, ancien badge du salarié interviewé.

L’écho immense rencontré par le témoignage que nous avons recueilli d’un ancien salarié de Lubrizol, avec près de 150.000 visites, montre à quel point le besoin de transparence se fait sentir, alors qu’à 10 jours de l’incendie, le flou est toujours aussi important tant concernant les causes que ses conséquences. C’est parce que nous sommes convaincus que nous ne pouvons compter que sur une enquête indépendante pour faire la lumière sur ce qui s’apparente à une catastrophe industrielle et sanitaire majeure, que nous publions ce deuxième témoignage d’un salarié ayant également travaillé plusieurs années sur le site de stockage Lubrizol touché par l’incendie, pour le compte de la société sous-traitante Netman. Celui-ci a travaillé en 2x8, d’abord comme intérimaire, puis embauché, et ce jusqu’en 2016, pour un salaire de 1500€ net primes comprises, sans intéressement ni treizième mois.

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Peux-tu nous raconter une journée de travail type dans l’entrepôt ?

"On procédait à des envois de commande de Lubrizol pour diverses expéditions, que ce soit par camions ou avions. Sur ce site de stockage il y avait une unité particulière, celle de la mise en fûts, en équipe 3x8 gérée par Netman. Lubrizol envoyait les fluides vers cette unité et Netman mettait la production en fûts, gérait l’identification et la logistique.

Netman nous faisait nettoyer les fûts à la main avec de simples gants, des fûts rouillés stockés en extérieur, des fûts à contenu hautement cancérigène… et pour tout ce travail on dépendait de la convention du nettoyage, tout ça pour ne pas avoir à nous payer la prime pétrochimie.

J’ai démissionné le jour où il y a eu un incident, où un fût d’un produit cancérigène extrêmement volatile est tombé au sol. Les employés de Lubrizol sont venus en combinaison pour décontaminer, mais nous les salariés de Netman n’avons eu aucune protection. C’est après cet incident que je me suis dit qu’il fallait que je parte. Je me sentais en danger."

Ayant travaillé dans l’entrepôt qui a brûlé, es-tu étonné de l’ampleur de l’incendie ?

"Mon étonnement vient de ce fameux incendie en lui-même. Le site de stockage était très ordonné, totalement aéré et sécurisé. Il y a un système anti-incendie automatique par sprinklers, des pompiers sur place, ainsi que divers capteurs de gaz. Le démarrage d’incendie d’un fût aurait dû être détecté. Surtout que pour obtenir le point de combustion d’un fût il faut une sacrée température. Donc je pense que l’incident a soit été violent, soit il y a eu une montée progressive en température.

Hormis la toiture en amiante et le recours à la sous-traitance, tout était totalement normal. A l’extérieur, il y avait des caméras. Dans l’entrepôt il n’y a pas de mur, juste un toit immense amianté, avec à l’extrémité un quai de chargement, qui ne fonctionne que de jour. Comment un incendie aurait pu se déclarer dans le stockage sans que personne ne s’en aperçoive ? Il y a des fûts à perte de vue, rangés et ordonnés par type et classe, empilés sur des palettes sur une hauteur maximale de 4 rangées. Il n’y a donc presque rien qui puisse provoquer un incendie, hormis une éventuelle défaillance dans l’unité de production, ou l’incendie d’un car à fourche (mais ils devaient être garés à un endroit spécifique), une défaillance électrique, mais là encore ça n’aurait pas suffit car il y a des disjoncteurs… En revanche un incident dans l’unité de conditionnement est possible car c’était une unité de production à haut risque."

Tu disais que tu ne trouvais pas normal le recours à la sous-traitance ; est-ce que tu estimes que les salariés de Netman sont suffisamment formés aux risques rencontrés chez Lubrizol ?

"La sécurité Lubrizol était honnêtement irréprochable. Mais la sous-traitance de ce secteur de production - enfutage, stockage, logistique - à Netman est une totale hérésie. A l’embauche, on nous exigeait uniquement d’avoir un casier judiciaire vierge et une habilitation N1 pétrochimie. Netman est une société de nettoyage officiellement, qui embauchait des intérimaires et était peu regardante sur son personnel, qui n’avait pas toujours les compétences appropriées, ce qui générait des incidents : un fût traversé par un cariste, ce genre de choses. Et puis nous étions toujours en sous-effectif, question de rentabilité… pourtant la sous-traitance a été autorisée à Lubrizol. Quant aux habitations... Ce sont les autorités qui ont permis leur construction à proximité. A l’origine il n’y avait quasiment rien."

On a appris aussi que Lubrizol Rouen avait obtenu de la Préfecture l’autorisation d’augmenter sa capacité de stockage de substances dangereuses à deux reprises en janvier et juin 2019. Pour toi cela a pu augmenter le risque incendie ?

"Mais comment ? Déjà à mon époque les dépôts intérieur et extérieur était quasiment pleins. Demandez donc à Netman comment ils ont réussi ce tour de magie ! A part peut-être en empilant des fûts sur plus de 4 rangées je ne vois pas… c’est la rentabilité qui prime, encore et toujours…"

Pour nous faire parvenir vos témoignages, coups de gueule... écrire à [email protected].

 
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