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6 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Hésitations au sommet
Retraites : Les classes dominantes se divisent sur la stratégie à adopter
Joachim Bertin

Face à la contestation qui se dessine, les dominants se divisent sur la stratégie à adopter pour diviser les travailleurs et la jeunesse et faire passer la réforme des retraites ?

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Crédits photo : Jean-François Badias / AFP

L’assurance d’un mois de décembre compliqué et la peur d’un scénario à la 95 à la sauce Gilets jaunes fait trembler la main de l’exécutif. La colère explose ou gronde dans de nombreux secteurs depuis plusieurs mois et ces feux ne sont pas encore éteints que s’approche la perspective d’une importante journée de grève le 5 décembre appelée par les confédérations CGT, FO, FSU et Solidaires à côté d’appels à la reconductible ou à une grève illimitée de la part de plusieurs fédérations dont la SNCF, la RATP ou encore les routiers. De même, le gouvernement doit prendre au sérieux la menace que constitue la grève qui dure depuis plusieurs semaines à Feyzin et qui pourrait signifier une mobilisation plus large dans les raffineries, secteur qui avait pesé lourdement dans le rapport des forces notamment en 2016. Après un an d’un mouvement incontrôlable et qui a fait tremblé le pouvoir, la bourgeoisie se divise sur la méthode à adopter pour faire passer une réforme qu’elle juge pourtant centrale et sur laquelle, malgré des batailles remportées en 2003 et en 2010, elle fait systématiquement face à une résistance d’ampleur.

Depuis la publication officielle du rapport Delevoye en juillet, le gouvernement a déjà longuement tergiversé notamment sur la question de l’allongement de la durée de cotisation ou sur un recul du départ de l’âge à la retraite. Rien n’est encore fixé de ce point de vue-là et l’exécutif cherche à s’appuyer le plus possible sur les bureaucraties dont la base ne les empêche pas trop d’aller négocier comme celles de la CFDT et de l’UNSA. Un moyen de gagner du temps également, car Macron qui avait l’habitude d’être le « maître des horloges » se fait bousculer par cette confrontation arrivée plus tôt que prévue, suite à la dynamique de grève de la RATP le 13 septembre. Il lui reste en effet les élections du mois de mars à passer avant de faire passer sa réforme impopulaire et de nombreux secteurs du patronat craignent déjà de voir la réforme tuée dans l’œuf.

Car, le cahier du gouvernement ne manque de pas de rayures et de pâtés. Entre les différentes lignes qui peuvent s’exprimer suivant que ce soit Macron, Philippe ou Delevoye qui expose sa vision, entre les tentatives de division corporatiste auprès des régimes spéciaux, secteur par secteur (avec la bénédiction de certains bureaucrates contents de montrer les muscles mais craignant tout de même un mouvement reconductible en décembre qui leur échapperait) ou avec la solution de n’appliquer la réforme qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail.

Cette possibilité, celle de la « clause du grand-père » permettrait de n’appliquer la réforme qu’aux générations nées à partir de 2001 et donc de concentrer les effets de la réforme sur la jeunesse. Un pari risqué car même si la jeunesse a été, en partie, absente (puisque les lycéens se sont tout de même mobilisés en décembre et que les mobilisations pour le climat ont été une voie de politisation pour les plus jeunes) depuis les mobilisations contre la loi ORE au printemps 2018, une explosion des facs, des lycées et de la jeunesse salariée dans un scénario semblable à celui de 1994 (SMIC Jeunes de Balladur) ou de 2006 (Contrat Première Embauche sous Chirac) pourrait tout aussi bien mettre le feu aux poudres et impacter plus fortement un secteur qui reste pour l’instant, dans l’attente face à une réforme qui le touchera dans tous les cas de figure. Pourtant, des analystes bourgeois qui ont l’oreille des gouvernements, à l’image d’Alain Minc, conseillent la prudence et de s’engager dans cette voie, quitte à opter pour un scénario à l’italienne où la réforme des retraites avait été remises au calendes grecques pour être appliquée prématurément petit à petit. Une voie entendable pour certains secteurs du patronat comme l’affirme un dirigeant du Medef dans Le Monde. Une voie restée ouverte dans le rapport Delevoye, qu’il appelle ironiquement « la voie CGT », mais qui pourrait aussi avoir ses variantes. Au lieu d’un plan A qui faisait s’appliquer la réforme pour tous à partir de la génération 1963, cet âge pourrait être décalé, en fonction du scénario le plus opportun pour accoucher de cette réformer avec le moins de douleur possible.

Pourtant, d’autres secteurs libéraux sont plus intransigeants et dénoncent les signes de faiblesse face aux « privilégiés » des régimes spéciaux. Même des dirigeants de la CFDT à l’image de Frédéric Sève viennent dénoncer une mesure qui dénaturerait la réforme voire la remiserait au fond du tiroir en créant un « 43ème régime spécial ». La CFDT serait d’avis de l’appliquer à la SNCF (à l’image de la réforme ferroviaire qui prive les nouveaux entrants de statut à partir du 1er janvier 2020, comme cela a été fait à France Telecom en 1996 ou à la Poste en 2002) mais d’autres répondent qu’on ne peut accorder à la SNCF ce qu’on n’accorderait pas à la RATP ou à la fonction publique sans risque d’une explosion encore plus forte. Un coup d’épée dans l’eau donc de la part du gouvernement contre les régimes spéciaux, selon les tenants de la ligne dure.

En définitive, il existe aujourd’hui un débat au sein de la bourgeoisie française pour savoir comment diviser les secteurs de la classe ouvrière entre corporations, entre public et privé (au cœur du discours sur « l’universalisation et l’équité » du nouveau régime) et jusqu’à quel point il est dangereux de foncer dans le tas. Les vieux cadres de la droite déconfite des Républicains se sont vantés récemment à l’image de Fillon ou de Woerth d’avoir mis des millions de personnes dans la rue, « plus que les Gilets jaunes » et d’y avoir résisté. A côté de ces fanfaronnades, au sommet de l’Etat et du patronat, on craint, à raison, d’avoir plus à perdre qu’à gagner à souffler sur les braises de la lutte des classes qui sont rougeoyantes, à l’échelle mondiale, et s’expriment en France par une hausse de la radicalité, et ce que nous avons appelé une « gilet-jaunisation du mouvement ouvrier.

L’ouverture de ces brèches par en haut au sein de la bourgeoisie offre une occasion à la classe ouvrière française de faire reculer le gouvernement. Mais il faudra pour cela se méfier de plusieurs embûches tendues par la bourgeoisie et leurs relais bureaucratiques au sein des syndicats qui n’attendent que d’obtenir un certain rapport de force pour aller négocier des miettes et siffler la fin de la récré. Une telle victoire requiert une large unité de tous les travailleurs et travailleuses au-delà des appartenances syndicales, des corporations et des carrières, une unité qui ne laisse personne sur le carreau, derrière la bannière du retrait pure et simple de la réforme sans négociation avec le gouvernement ! Un retrait qui ne pourrait se suffire à lui-même, car le régime de retraites actuel qui a été attaqué à de nombreuses reprises, n’est pas satisfaisant pour de nombreux secteurs salariés, notamment celles et ceux qui ont des carrières hachées et occupent des postes à temps partiel et souffrent régulièrement du chômage. Cette unité ne se réalisera pas simplement par de la bonne volonté mais par un programme qui mette en avant le partage du temps de travail entre toutes et tous, une baisse du temps de travail sans baisse de salaire, jusqu’à éradication du chômage. Une retraite à taux plein à 60 ans pour toutes et tous, sans condition d’annuités, financée par les cotisations patronales : pour que ce soit au patronat de payer sa crise et pas aux salariés et à la jeunesse !

 
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