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La Izquierda Diario
13 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Anniversaire : quand le mouvement des Gilets jaunes faisait vaciller Macron
Paul Morao

Il y a un an, les réseaux sociaux bruissaient déjà autour de la préparation du 17 novembre. Sur Facebook, les événements locaux se multipliaient, dépassant déjà les 200 000 personnes en déclinant localement l’idée d’un blocage du périphérique initié par deux chauffeurs-routiers. Malgré cet engouement clair, difficile à l’époque d’imaginer que le mouvement allait prendre une telle importance et faire vaciller le gouvernement quelques semaines plus tard.

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Nul besoin de revenir sur les origines du mouvement des Gilets jaunes : de la pétition contre la hausse du carburant aux événements Facebook massifs en passant par le fameux symbole, l’histoire de ce mouvement surprenant par ses formes et les secteurs qu’il a mobilisé est aujourd’hui bien connue. A l’époque, l’importance visible du 17 novembre sur Facebook n’empêche pas les réticences d’une grande partie de la gauche, refroidie par les soutiens nombreux venus de l’extrême-droite et par une revendication alors unique autour des taxes sur les carburants.

« De nombreux mouvements politiques tentent de mettre la main sur la mobilisation qui s’organise pour le 17 novembre, le caractère massif de la colère, légitime, qui s’exprime se confirme de jour en jour. » écrivions-nous à ce propos sur Révolution Permanente le 12 novembre, avant de préciser le 14 novembre : « Un espoir dans ce mouvement, très composite, aux revendications encore peu solides et facilement récupérables par l’extrême-droite ? Que les « prolos et des ploucs » tant méprisés, relèvent la tête et commencent à récupérer, sur les routes mais aussi dans leurs entreprises, ce qui leur est quotidiennement arraché à coup de taxes, d’inflation ou de stagnation des salaires par le gouvernement et les patrons. »

Le 17 novembre, les blocages dans toute la France marquaient le début du mouvement et se poursuivaient au travers d’occupations de rond-point qui allaient donner au mouvement une partie de son identité. Le 24 novembre, la montée à Paris des Gilets jaunes conduisait à des premiers affrontements sur les Champs-Elysées, violemment réprimés par la police. Avec eux finissaient de s’envoler la plupart des doutes qui restaient sur la nature du mouvement, et les Gilets jaunes apparaissaient au grand jour comme ce qu’ils étaient : un mouvement radical, populaire, dont les revendications, au-delà de la hausse des carburants, portaient tant sur la précarité et le pouvoir d’achat que sur le refus de la dégradation de la vie ou l’absence de démocratie. Finalement, le 1er décembre allait constituer l’apogée de cette première séquence du mouvement.

Le 1er décembre : de Paris au Puy-en-Velay, comme un air de révolution

Gravés dans les mémoires au travers des affrontements de la Place de l’Etoile et des images de policiers reculant face aux manifestants, le 1er décembre constitue une journée marquée par de fortes mobilisations dans l’ensemble de la France. A Nantes et Nice des aéroports sont envahis. Au Puy-en-Velay la préfecture est incendiée. A Toulouse, des barricades sont dressées au niveau de la place Jeanne d’Arc. A Bordeaux, les manifestants tentent d’envahir la mairie pour aller chercher Juppé.
Le bilan en termes de répression est inédit : plus de 100 personnes sont blessées à Paris, 38 à Bordeaux, 57 à Toulouse et on recense 287 interpellations dans la seule capitale. Après les premiers affrontements du 24 novembre et les escarmouches sur les ronds-points ou lors des blocages, la répression policière a pris une dimension bien supérieure pour tenter de freiner la radicalité des Gilets jaunes. Le 8 décembre, lors de l’Acte IV, elle se doublera d’une intense répression judiciaire, multipliant les arrestations préventives pour les motifs les plus divers. Plus de 1000 arrestations seront menées à Paris au cours de la journée.

Cette violence policière et judiciaire reflète à elle seule la panique qui s’empare alors des classes dominantes et en premier lieu du gouvernement. Ces derniers ont eu peur, comme le notent en février Serge Halimi et Pierre Rimbert dans Le Monde Diplomatique : « La peur. Pas celle de perdre un scrutin, d’échouer à « réformer » ou de voir fondre ses actifs en Bourse. Plutôt celle de l’insurrection, de la révolte, de la destitution. Depuis un demi-siècle, les élites françaises n’avaient plus éprouvé pareil sentiment. Samedi 1er décembre 2018, il a soudain glacé certaines consciences. « L’urgent, c’est que les gens rentrent chez eux », s’affole la journaliste-vedette de BFM TV Ruth Elkrief. Sur les écrans de sa chaîne défilent les images de « gilets jaunes » bien déterminés à arracher une vie meilleure. »
Pour Emmanuel Macron, alors en voyage en Argentine, il faudra la visite de la préfecture incendiée du Puy-en-Velay trois jours plus tard et la rencontre brutale avec des Gilets jaunes déterminés à l’affronter, pour prendre conscience de la situation. A l’époque on peine à savoir dans quelle situation se trouve l’exécutif, même si l’on devine rapidement à son recul sur la taxe carbone l’inquiétude qui monte. La semaine suivante, après le 8 décembre, le Canard Enchaîné révèle que l’Elysée avait préparé un hélicoptère pour évacuer le président en cas d’irruption des Gilets jaunes.

En janvier 2019, le Journal du Dimanche publie de nouveaux éléments concernant ces « Dix jours où Emmanuel Macron a tremblé ». Revenant sur le 1er et le 4 décembre, date de la visite au Puy-en-Velay, le journal raconte : « À la caserne de gendarmerie, le chef de l’État doit sortir par l’arrière afin d’éviter les Gilets jaunes regroupés devant le bâtiment. Scène stupéfiante : le Falcon présidentiel doit même décoller en urgence parce que des manifestants s’approchent de l’aérodrome ; il devra redescendre peu après pour embarquer précipitamment le chef de l’État et son staff. Et puis il y a les huées, les injures lancées sur le passage de son véhicule, et ce mot terrible quand il a baissé la vitre de sa portière : "Crève !". Choqué, il en parlera à tous ses proches les jours suivants. »

Le pouvoir a vacillé, mais le système capitaliste est resté

Le rappel de ce pic du mouvement des Gilets jaunes, qui ne doit pas faire oublier toute la richesse d’un mouvement qui continue de durer et aura connu depuis 1 an de nombreux autres péripéties, rappelle à quel point le gouvernement macronien déjà fragile a été durement touché par cette mobilisation inédite. Pourtant, si « le trône a vacillé » comme le souligne l’intitulé de l’ouvrage de Juan Chingo, éditorialiste à Révolution Permanente,le système capitaliste et son exploitation brutale continuent de fonctionner.

Difficile d’imaginer entièrement la situation qu’aurait pu produire un envahissement de l’Elysée par les Gilets jaunes. Sans aucun doute elle aurait contribué à accélérer la fragilisation du gouvernement. Mais en l’absence d’un mouvement plus massif et avec l’aide des directions syndicales traîtres, qui ont participé activement à limiter l’alliance entre Gilets jaunes et mouvement ouvrier, il y a fort à parier que cette poussée se serait exposée à une intense répression sans possibilité de lui opposer de réponse à la hauteur.

Car de fait, le pouvoir des classes dominantes repose sur leur mainmise sur le fonctionnement de la société au travers des institutions et de l’économie, et l’Elysée, siège du gouvernement, n’est qu’un relais du pouvoir de ceux qui tiennent en main les rouages du pays. Dès lors, en l’absence d’un projet de société alternatif, de la mise en branle des secteurs les plus concentrés de la classe ouvrière et d’une auto-organisation suffisamment développée pour organiser un pouvoir alternatif, les Gilets jaunes ne pouvaient espérer guère mieux, en rentrant à l’Elysée, qu’une victoire partielle et cela n’aurait pas été suffisant pour renverser le système capitaliste auxquels ils s’attaquaient.

Le 5 décembre : la possibilité d’une convergence

Mais le mouvement des Gilets jaunes est plus qu’un événement dont on célèbre la mémoire. Il est aujourd’hui encore bien vivant, et partout en France se prépare activement la journée du 16 novembre. Pourtant, la force des Gilets jaunes ne se situe pas uniquement dans le mouvement en tant que tel, mais dans les effets qu’il a produit dans l’ensemble de la société, et en particulier dans le mouvement ouvrier organisé.

Comme le notait Juan Chingo en janvier 2019, « ce grand mouvement spontané des secteurs les moins contaminés par la routine syndicale, peuvent servir à redynamiser l’ensemble du monde du travail. Ce soulèvement marque un avant et un après. Il a d’ores et déjà remis en question les formes habituelles de la lutte de classe en France. Il a mis en crise les modalités de contrôle des luttes mais il a également cassé le tabou de l’intervention politique des exploités, les modalités des négociations avec le pouvoir, mettant aussi en cause les bases du pouvoir constitué, sa légitimité, son rôle central et régulateur. »

Or c’est bien une telle dynamique qu’on observe depuis plusieurs mois dans différents secteurs, de l’Education Nationale à la RATP en passant par la SNCF ou les Urgences. Un phénomène de « gilet-jaunisation » diffus, face auquel « la bourgeoisie et le pouvoir ont de nouveau peur de la lutte de classes » et dans le cadre duquel « La classe ouvrière reprend des forces et reprend confiance en ses méthodes de lutte. ».

Dans ce cadre, la date du 5 décembre, à partir de laquelle une grève reconductible est appelée par des secteurs importants du mouvement ouvrier tels que la RATP et la SNCF, rejointe par l’ensemble des fédérations syndicales au moins pour la journée, pourrait bien constituer une nouvelle étape de cristallisation des colères de l’ensemble des secteurs exploités et opprimés. Une étape qui sera fortement imprégnée de tout ce que les Gilets jaunes ont infusé dans la lutte des classes au cours de plus d’un an de mouvement. A ce titre, s’il convient de célébrer l’anniversaire des Gilets jaunes, le 5 décembre pourrait constituer le meilleur des cadeaux à tous ceux qui luttent pour un avenir digne.

 
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