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15 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Bolivie
Face au putsch en Bolivie, les travailleurs indigènes créent des comités d’auto-défense
Left Voice - US

Après des semaines de mobilisation de la droite, les forces armées boliviennes ont exigé dimanche dernier la démission du Président Evo Morales. Les protestations avaient atteint un point critique, la police se joignant à la droite dans la rue, pour exiger l’éviction du président.

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Traduction de Left Voice

Face à l’union de la police, de l’armée et de l’Organisation des États Américains (OEA), Morales a démissionné. Peu après, sa maison a été saccagée et Morales a dû se cacher. Trump, aux côtés d’autres leaders de droite ont exprimé leur soutien à ce coup d’État. La bourgeoisie de la ville de Santa Cruz (le secteur le plus riche du pays, lié à l’agrobusiness), avec l’opposition de droite et l’Eglise catholique, la « démission » de Morales.

Il ne faut pas s’y tromper : il s’agit bel et bien d’un coup organisé par les capitalistes boliviens, l’agrobusiness, l’Eglise et les forces armées. Une manœuvre, soutenue par les représentants des intérêts impérialistes américains, au sein de l’OEA, qui affiche des perspectives profondément racistes, homophobes, contre les travailleurs et contre les populations indigènes. Pour Trump, il s’agit d’un moyen de menacer Cuba et le Venezuela. Après l’échec de la tentative de prise du pouvoir par Juan Guaidó, l’impérialisme US cherche à installer des gouvernements pantins pour appuyer ses intérêts.

Morales a fui le pays, s’étant vu offrir l’exil au Mexique. Mardi soir, bien que n’ayant pas le quorum au Congrès, Jeanine Áñez, une des figures de l’opposition putschiste, s’est autoproclamée Présidente de la Bolivie. Entrant au Congrès, avec une Bible d’une taille démesurée au-dessus de la tête, elle a déclaré : « La Bible est de retour dans le palais présidentiel ».

Au cœur de cette crise, se trouve la forte résistance sur le terrain dans la ville d’El Alto, à la périphérie de La Paz. Cette zone, où la forte classe ouvrière, principalement d’origine Aymara, est organisée en conseils de quartier qui ont joué un rôle-clef dans la lutte pour le départ du gouvernement néolibéral de Gonzalo Sánchez de Lozada en 2003 mais également dans la résistance face au putsch raté contre Morales en 2008. El Alto est de nouveau sur la ligne de front !

La résistance

Le lendemain du coup d’État, les Boliviens sont spontanément descendus dans les rues en scandant : « Maintenant, oui, guerre civile ! » ou encore « Camacho, Mesa, on veut vos têtes » - en référence aux leaders putschistes d’extrême droite. Un poste de police a été brûlé, et la police a dû battre en retraite. Les manifestants ont bloqué des grands axes routiers, les écoles et les commerces ont été fermés. C’est aussi en rejet du racisme et de la misogynie affichés par les putschistes face au wiphala (un drapeau indigène) et les « femmes qui portent la pollera (jupe traditionnelle portée par les femmes Aymara) que ces manifestations ont eu lieu. Les populations indigènes ne souffrent en effet pas seulement de la violence du putsch mais plus largement du racisme, structurel, de la bourgeoisie bolivienne.

Des assemblées ont eu lieu pour discuter des prochaines étapes du mouvement et de l’auto-défense. En effet, des rassemblements ont conclu à la nécessité de former des comités d’auto-défense, des blocages et de maintenir une mobilisation permanente et forte. Comme l’a dit un manifestant : « La police ne mettra plus les pieds à El Alto. Nous nous occuperons de la sécurité au sein de la communauté ». La Fédération de Juntas Vecinales (Fejuve), l’organisation de quartier qui dirige les mobilisations, a sorti un communiqué appelant à des mobilisations quotidiennes. La fédération exige des putschistes qu’ils abandonnent leurs postes sous 48 heures et appelle l’armée et le gouvernement à respecter la loi. Autrement, « une force de police syndicalo-civile » serait organisée pour faire face à la violence et aux persécutions des leaders du coup d’État.

Ces travailleurs indigènes font face à une répression très dure : lacrymogènes et balles en caoutchouc. Des images font état d’enfants mis en sécurité après des manifestations, gravement blessés par la police et d’indigènes, frappés au sol par les policiers.

Confronté à cette résistance, le chef des forces armées a appelé à des opérations conjointes avec la police sur les lieux de manifestation. Pour ainsi dire, un durcissement des opérations répressives dans la région d’El Alto. Mais il leur est toujours impossible d’étouffer la contestation, et mercredi dernier, la population d’El Alto a marché vers La Paz (capitale et siège du gouvernement) où un cabildo massif (assemblée populaire) pour rejeter la présidente auto-proclamée et continuer le combat jusqu’à la défaite des putschistes.

Une rébellion à El Alto est quelque chose d’important

El Alto est la plus grande ville de Bolivie, avec près d’un million d’habitants. C’est avant tout une ville indigène, qui abrite de nombreux paysans déplacés qui sont venus en ville pour travailler. Elle a été l’épicentre de résistances radicales dans le passé, comme en 2003. El Alto occupe en effet une position stratégique en Bolivie. Les axes routiers majeurs du pays y transitent, et peuvent y être bloqués. L’aéroport s’y trouve également, de même que plusieurs raffineries.

En plus de jouer un rôle dans le renversement de Lozada, El Alto a été au centre d’autres luttes comme celle contre les privatisations et contre les multinationales. En raison de cette histoire combative, une rébellion à El Alto est quelque chose d’important !

Ces quartiers ont tendance à accorder leur sympathie à Evo Morales – son accession au pouvoir, en tant que premier président bolivien indigène, doit beaucoup à la lutte de 2003. Morales a intégré de nombreux leaders de cette lutte à son gouvernement, ce qui a conduit à une cooptation toujours plus importante des mouvements suivants – trouvant des excuses pour tenir les gens à l’écart de la lutte contre les politiques austéritaires de Morales et la répression contre la classe ouvrière.

Malgré cela, il existe une petite avant-garde ouvrière avec des syndicats indépendants et un secteur des populations indigènes dont Morales a perdu le support pour ces politiques environnementales, pour le moins clémentes avec l’agro-business. Mais perte de soutien ne veut pas dire, faire jeu commun avec la droite ! A El Alto, la population a protesté contre les politiques austéritaires de Morales, particulièrement en 2010 quand il a augmenté le prix de l’essence. Certains ont même participé aux mobilisations initiales contre les résultats électoraux à partir du 20 octobre.

Et les militants indigènes sont parfaitement clairs sur ce qu’ils combattent. Comme l’affirmait une femme indigène à El Alto : « La droite de Santa Cruz prend notre territoire et nos richesses. C’est la raison pour laquelle ils veulent nous humilier et nous écraser, comme s’ils étaient les seuls citoyens... Nous ne voulons plus nous faire marcher dessus, nous faire humilier par les multinationales qui ont toujours agi de la sorte ».

Une autre lançait : « Ils nous ont tué au nom de la Bible. Les Espagnols qui sont apparus avec leur bible et leur épée. Ils veulent recommencer à nous tuer, aujourd’hui, on ne le permettra pas ».

Où est Morales ?

En attendant, la droite s’empare du pouvoir. Tandis que ses partisans mettaient en avant une façade de défense de la démocratie jusqu’à l’éviction de Morales, le vent a bien tourné désormais. Áñez, une dirigeante de la droite ultra-religieuse au Congrès, s’est auto-proclamée présidente, de manière anti-constitutionnelle, devant une session parlementaire à moitié vide. Un petit détail pour les putschistes qui ne s’en sont pas embarrassés.

Et, alors que les populations indigènes d’El Alto commençaient une lutte forte contre le putsch, Morales a quitté le pays. Comme l’ont écrit nos camarades de La Izquierda Diario en Bolivie, « la décision d’Evo Morales de s’enfuir à ce moment-là, implique, objectivement, un affaiblissement de la résistance au coup d’État ».

Cet affaiblissement est allé plus loin, par le discours tenu par Morales lui-même. Au lieu d’encourager la résistance, il a tweeté : « Je demande à mon peuple de respecter la paix et de ne pas sombrer dans la violence de groupes qui cherchent à détruire les lois. Nous ne pouvons pas nous battre entre frères boliviens. Je lance un appel urgent à la résolution de toutes les différences par le dialogue et la discussion ».

Ces paroles sont dans la lignée des politiques de Morales durant entièreté du processus de putsch par la droite : il a cherché à dialoguer avec ceux qui voulaient le renverser. Il a exhorté à la patience et à la confiance au sein de l’organisation impérialiste des États Américains. Finalement, il n’a pas cherché ni même encouragé la mobilisation de sa base de soutien indigène, ni même des syndicats dirigés par son propre parti. La droite a agi de la manière exactement opposée, partant à l’offensive dans les rues, exigeant le renversement du président – finalement remporté cette semaine.

Morales est arrivé au pouvoir en 2006, comme expression de l’énorme rejet social des politiques néo-libérales mises en œuvre en Bolivie. Une fois au pouvoir, il a cependant coopté les organisations de masse. Cela a émoussé leur capacité de résistance et les a désarmé face à de possibles attaques de la droite, qui elle, a maintenu son pouvoir économique, politique et social, conformément aux accords conclus avec Morales en 2008.

Comme l’écrit Violeta Tamayo, une révolutionnaire bolivienne : « Loin du socialisme, Evo Morales a encouragé le profit capitaliste et renforcé la droite et les hommes d’affaires qui pendant des années ont été les grands amis d’Evo. Il a attaqué et foulé aux pieds l’auto-détermination des populations indigènes, tout comme il a attaqué le mouvement étudiant. J’ai été arrêté trois fois sous le gouvernement du MAS pour m’être mobilisée ». Ainsi, le gouvernement de Morales n’a pas été capable de riposter contre la montée de l’extrême-droite qui va aboutir à des conditions encore plus terribles pour les indigènes, les étudiants et la classe ouvrière.

Quelle issue ?

L’extrême-droite, ragaillardie, essaye de consolider son putsch par la répression d’El Alto avec l’appui des puissances impérialistes. Loin de défendre la démocratie, comme ses partisans le prétendent, ils attaquent les partisans de Morales, les militants de gauche, les indigènes et les travailleurs. On a déjà vu ce qu’étaient les attaques de la droite – par exemple sortir un maire du MAS dans la rue, l’asperger de peinture rouge et lui couper les cheveux. Ceux qui protestent contre le coup d’Etat affirment que les forces armées ont tué et blessé des manifestants et en détiennent plusieurs.

La droite essaye de remettre au centre de la politique bolivienne l’Eglise la plus rétrograde, la plus patriarcale et homophobe : l’Eglise catholique des colons qui a commis un génocide contre les peuples indigènes et continue de les haïr.

La droite veut un pays géré par les intérêts de l’agro-business, qui cherche à piller encore plus les terres boliviennes et à surexploiter l’environnement à leur profit et au détriment des populations. Elle veut un gouvernement aux ordres des États-Unis et de leurs intérêts – ouvrant le pays aux multinationales étas-uniennes pour piller leur force de travail et leurs ressources. Voilà pourquoi, les gouvernements de Trump, Johnson, de l’Union Européenne, de même que celui de Jair Bolsonaro, ont reconnu Áñez comme présidente bolivienne.

C’est cela qui rend les manifestations d’El Alto si importantes : elles montrent la voie à suivre pour vaincre la droite, ce que la population d’El Alto a déjà réussi en 2003. Les organisations d’auto-organisation, d’auto-défense ouvrière, indigène et paysanne peuvent défaire le putsch et ouvrir la porte pour discuter d’une voie indépendante pour la classe ouvrière et les secteurs populaires de Bolivie. Nous devons supporter la résistance héroïque du peuple de Bolivie par la solidarité internationale la plus large : à bas le coup d’Etat ! Pour le triomphe de la classe ouvrière et des populations indigènes contre l’extrême-droite !

Photo : Natacha Pisarenko, AP

 
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