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La Izquierda Diario
20 de novembre de 2019 Twitter Faceboock

Un nouveau cycle de lutte des classes
Soulèvement populaire en Iran : le prix de l’essence ou le carburant de la lutte des classes
Mones Chaieb

Depuis vendredi, des manifestations ont lieu en Iran suite à l’annonce de la hausse du prix de l’essence par le gouvernement, sur fond d’asphyxie budgétaire par les sanctions économiques et diplomatiques américaines. La mobilisation a pris un caractère émeutier dans les grandes villes. Le régime a répondu par une coupure internet quasi-totale sur l’ensemble du territoire et une répression sanglante qui a fait plus de 106 morts et 1000 arrestations selon Amnesty International.

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Manifestation à Téhéran le 16 novembre 2019 / crédit photo : AFP

Au Maghreb et au Moyen Orient, après l’Algérie, le Liban, et l’Irak, c’est maintenant l’Iran qui est traversé par une mobilisation massive contre la hausse du prix de l’essence. Comme au Liban, les manifestants accusent aujourd’hui l’ensemble de la classe politique iranienne peu importe les tendances politiques et confessionnelles, d’être responsable de la corruption endémique et de la dégradation des conditions de vie des iraniens, alors que sur 83 millions d’habitants, au moins 40% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.

Face à la mobilisation qui s’étend dans tout le pays, le régime tue les manifestants et coupe internet

Les causes de l’explosion sociale sont similaires à celles qui avaient déclenché la mobilisation du début de l’été 2018, après la dévaluation du rial, lorsque la monnaie iranienne avait alors perdu 50% de sa valeur, suite au retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire et à la remise en place de sanctions touchant principalement le secteur bancaire et les exportations de pétrole. A ceci près qu’à l’époque, la mobilisation s’était surtout concentrée dans la capitale Téhéran, et avait été impulsée par les commerçants de la ville. Aujourd’hui la mobilisation embrase tant la région de Téhéran au Nord-Ouest, que le Sud avec notamment Ispahan et Shiraz, où des manifestations et des affrontements avec la police et les symboles du régime ont eu lieu, comme dans au moins une quarantaine d’autres villes.

Les classes populaires qui ne s’étaient plus mobilisé aussi massivement depuis décembre 2017, lorsque le régime avait tué 26 personnes et arrêtés 5.000 manifestants, forment le gros de la mobilisation, tandis que les classes moyennes qui gardaient foi à l’époque en Hassan Rohani, actuel chef du gouvernement (tendance libéral-modéré), se retrouvent maintenant également dans la rue. Un article écrit par Ghazal Golshiri pour Le Monde, rapporte ainsi le témoignage d’un ingénieur en électronique qui a voté par deux fois Rohani en 2013 et 2017 en ces termes : « « Les dirigeants utilisent le prétexte de modifier leur politique de subvention pour ainsi compenser leur corruption. Je regrette mon vote. »

La répression a été très brutale, Amnesty International décomptant plus de 106 morts depuis vendredi, et les services de renseignement iranien, le Fars, se targuent d’avoir arrêté plus de 1000 personnes. Cependant ce bilan pourrait s’avérer beaucoup plus lourd car les informations sont difficiles à obtenir avec précisions puisque la quasi-totalité du réseau internet a été coupé par le régime. Celui-ci veut à tout prix sauver la face en ne laissant paraître aucun signe de faiblesse face à l’embargo américain, et en empêchant la contagion alors que les soulèvements populaires dans sa zone d’influence régionale, en Irak et au Liban notamment, remettent en cause l’ingérence de la République Islamique qui soutient le régime de Bachar Al Assad en Syrie, le Hezbollah libanais, et entretient la corruption en Irak.

Tirs à balles réelles à Javanroud

L’embargo américain est criminel pour le peuple iranien !

L’augmentation du prix de l’essence qui a déclenché la mobilisation spontanée des masses populaires iraniennes, a été officiellement présentée comme un moyen pour récolter des fonds à redistribuer à « 60 millions de nécessiteux ». Pourtant cela semble n’être là encore qu’une façade, et a bien plus à voir avec les sanctions américaines qui touche principalement au secteur bancaire, et surtout aux exportations de pétrole dont les recettes représentent 80% des exportations, deux piliers stratégiques de l’économie iranienne.

En effet, le budget de l’Etat pour la période allant de mars 2019 à mars 2020 avait été initialement calculé sur la base de prévisions qui estimaient les exportations de pétrole aux alentours de à 1,5 millions de barils par jour explique Maysam Behravesh pour Middle East Eye. Mais l’embargo américain, couplé à la baisse de consommation d’hydrocarbure entraînées par la faible croissance économique mondiale, ont eu pour conséquence un taux d’exportation de brut iranien nettement inférieur, qui oscille aujourd’hui entre 100.000 et 500.000 barils/jour. Dans ces conditions, il faudrait que le baril de pétrole se vende à plus de 194,6 dollars pour que l’Etat iranien puisse rééquilibrer son budget, alors qu’aujourd’hui le baril se vend à environ 62 dollars.

Cette mesure apparaît donc clairement comme une conséquence des sanctions américaines. Elle se répercute directement contre le pouvoir d’achat des classes populaires iraniennes, puisqu’elle a eu pour conséquence de faire grimper le prix du litre à la pompe.

Le régime corrompu veut faire payer la facture aux classes populaires

Mais la suppression des subventions sur la consommation de pétrole à destination des classes populaires dénote également la volonté du régime iranien de faire payer la facture aux classes populaires, tout en rassurant les investisseurs étrangers afin de les encourager à rester malgré les sanctions. Une mesure inacceptable pour la majorité des iraniens qui ont vu dans le même temps éclater au grand jour de nombreux scandales de corruption impliquant des dirigeants politiques et des responsables institutionnels, alors que le prix du litre d’essence passait de 10.000 à 15.000 rials (11 centimes) pour les 60 premiers litres achetés chaque mois par foyer, et triplait au-delà de cette quantité pour atteindre désormais 30.000 rials.

D’ailleurs le régime ne s’y est pas trompé : l’annonce a été faite sans vote ni débat au parlement, après simple décision Conseil Suprême de la Coordination Economique (CSCE). Au point qu’un député iranien a proposé ironiquement de fermer le parlement pour réaliser les « économies de résistance » prônées par le guide suprême, le très conservateur ayatollah Ali Khamenei, qui mène les politiques anti-sociales main dans la main avec le libéral Rohani en se drapant derrière un anti-américanisme de façade, et en justifiant l’asservissement des travailleurs et la précarisation des femmes par une idéologie religieuse réactionnaire.

Le CSCE a été créé en 2018 sur demande d’Ali Khamenei, après le retrait des USA de l’accord sur le nucléaire et la remise en place de sanction économique contre l’Iran, justement pour prendre des décisions sur le plan économique sans le moindre débat démocratique. Il réunit les dirigeants des trois pouvoirs : exécutif, parlementaire, et judiciaire, c’est-à-dire le modéré-libéral Rohani, son allié président du parlement Ali Larijani, et le chef du du système judiciaire Ebrahim Raïssi qui s’inscrit à l’inverse sur la ligne conservatrice-radicale de l’ayatollah Ali Khamenei. Mais peu importe leur divergence idéologique, dans l’application des mesures libérales pour faire payer la facture aux pauvres, Khamenei a réitéré son soutien à Rohani, tandis qu’il qualifiait les manifestants de « voyous » en les accusant d’être dirigés par « les ennemis de l’Iran », en référence direct à l’impérialisme américain.

Trump et Khamenei : deux faces d’une même pièce

Ce dimanche le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo déclarait au sujet de la mobilisation populaire : « comme je l’ai dit au peuple iranien il y a presque un an et demi : les Etats-Unis sont avec vous. » Pourtant il est évident que l’impérialisme américain est directement responsable de la misère dans laquelle vivent la majorité des iraniens. C’est son embargo criminel qui asphyxie l’économie nationale. Il n’y a rien à attendre – sauf le pire – de la part de l’impérialisme, complice des crimes coloniaux en Palestine, et de la famine causé par son allié saoudien au Yémen.

Car ces déclarations de l’administration Trump au sujet de la mobilisation s’inscrivent elles-mêmes en réalité dans la stratégie de « pression maximale » décidée avec son retrait de l’accord sur le nucléaire en mai 2018. Celle-ci vise à imposer au régime iranien de négocier et de faire des affaires avec les multinationales américaines, plutôt qu’avec les impérialistes européens implantés en Iran qui ont dû quitter plus ou moins complètement le pays depuis 2018 et le coup de force de Trump. Cela a pour conséquence un renforcement des secteurs prétendument anti-américain au sein du régime, incarné par le très réactionnaire Conseil des Gardiens de la Révolutions Islamiques et présidé par le guide suprême, qui visent surtout à prendre la place d’interlocuteur privilégié de l’impérialisme en s’imposant comme puissance régionale.

Cependant la soulèvement populaire en Iran pourrait bien aboutir à un résultat inattendu pour Trump et Khamenei, à l’aune du second souffle de lutte de classe après la crise de 2008 et l’étouffement des « printemps arabes » dans la région. Comme la mobilisation irakienne directement dirigée contre un régime mis en place après l’intervention militaire de George W. Bush, il se pourrait que l’on finisse par assister en Iran à un phénomène similaire de radicalisation des masses populaires et des travailleurs, tant contre le régime réactionnaire de Khamenei que contre l’impérialisme occidental.

 
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