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La Izquierda Diario
16 de décembre de 2019 Twitter Faceboock

Auto-organisation
Récit d’une journée de grève au piquet du Bourget
Correspondant-e

A dix heures au Bourget, les grévistes arrivent les uns après les autres, se retrouvant dans la salle d’accueil des locaux du secteur. Ils prennent du café, une viennoiserie, vont fumer à l’extérieur, parlent de leur vie d’un ton léger, des vacances de certains, du réchauffement climatique — pas de la grève, pas encore. Certain se sont lancés à la recherche de produits inflammables pour allumer un brasero.

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Il y a une trentaine de personnes, des « anciens », comme on le dira plus tard , des jeunes. Celui qu’on attendait arrive, on passe alors dans une autre pièce, une cuisine prêtée aux grévistes, l’AG commence.

Anasse, assis au milieu, prend la parole et fait le point sur le discours d’Edouard Philippe et ce qu’il implique. L’accent est mis sur l’âge pivot et sur la problématique de changement de régime de retraite en cours de carrière. Chacun peut prendre la parole. Ce qui en sort, c’est principalement la fracture qui a été opérée ces dernières années entre les différents postes du secteur, et l’élan de solidarité qui les ressoude aujourd’hui. Le fait est que si la société a essayé d’individualiser les travailleurs, on gagne en groupe, quand seul on sera vaincu. Revient aussi la volonté d’offrir aux enfants, aux futurs travailleurs, une vie meilleure qui ne soit pas faite que de travail et de faibles revenus. Parce qu’aujourd’hui « on passe plus de temps au taff qu’avec nos enfants et nos femmes ».

Puis on parle de la caisse de grève, de ce qu’on a gagné, de ce que l’on va gagner encore. La grève dure déjà depuis neuf jours — autant de jours de salaire perdu — mais ce n’est pas grave, parce que si l’on a pas de cadeaux pour les enfants, au moins on ne leur offre pas une vie de travail acharné sans retraite à la clé. Et puis les cheminots sont déterminés, surs de gagner, de ne pas être mis sur la paille par la grève, qui peut continuer encore, car trois mille euros ont été récoltés depuis la création de la caisse, et il y en aura plus encore. Ils sont aussi généreux : un a ramené des pizzas pour tout le monde, trente euros de sa poche, le reste est cotisé, et le surplus ira pour la caisse de grève.

Le repas est rapidement consommé : les grévistes ont rendez-vous dans une salle avec l’adjointe à la présidence, pour faire reculer la direction sur les mesures de réorganisation des postes prises le premier novembre. Dans la pièce, ils se placent pour la plupart debout, le long des murs, représentants de toutes les professions liées au fret ferroviaire. En face d’eux, assise, l’adjointe à la présidence. Anasse ouvre la discussion et il est clair : comme pour la réforme des retraites, les cheminots veulent un retrait total des mesures de réorganisation prises un peu plus d’un mois plus tôt. La parole est ensuite prise par les volontaires, chacun leur tour. Prise pour parler d’expériences personnelles, d’un vécu collectif, pour dénoncer cette réorganisation et révéler ses conséquences désastreuses. Les mesures avaient été imposées aux employés sans consultation préalable ; c’était « à prendre ou à laisser ». Ces mesures liant le secteur du Bourget à celui de Bobigny avaient été présentées aux employés du premier centre comme approuvées par ceux du second, et inversement — ce qui était un mensonge —, alors, de bonne foi, on a essayé de les suivre dans un premier temps.

C’était avant de réaliser qu’elles impliquaient des suppressions de poste — dissimulées par la direction — et donc un travail en sous-effectif, de multiples déplacements entre les deux centres, des tensions entre les employés, des dégradations considérables de leur hygiène de vie. On profite de cette confusion pour habiliter les employés à l’aveuglette, pour des taches qui n’entrent pas dans leurs compétences. Les grévistes dénoncent aussi l’emploi d’intérimaires sur la longue durée, en leur faisant miroiter une titularisation à laquelle ils n’accèdent pas ; ils sont payés 1200€ par mois, et ce sont les autres salariés qui font don de leur prime afin de leur venir en aide.

Aux dires de tous, ces mesures de réorganisation, sous prétexte d’économies, ont des conséquences indéniables sur l’humain, sur les travailleurs du fret, déjà mis en difficulté par l’absence de perspective de qualification dans leur carrière, le travail de nuit, la fatigue, l’insalubrité de leur lieu de travail. Résulte de tout cela un profond mal-être dans la profession, une augmentation significative du taux d’absentéisme, et la volonté de départ qui naît. Un des plus jeunes grévistes dit que s’il a depuis le début voulu travailler à la SNCF, il est aujourd’hui prêt à la quitter, et assez qualifié pour trouver facilement un poste autre part, là où les conditions de travail seraient meilleures.

Enfin la présidente répond, calmement. Elle n’a pas grand chose à dire, simplement qu’elle fera remonter les problèmes, que la continuation du dialogue est important, qu’on trouvera une solution. On se revoit la semaine prochaine.

Les grévistes au Bourget font face à la réforme des retraites, pour tout le monde, à la réorganisation de l’emploi, pour eux, et si l’on sent la fatigue, le discours est déterminé, téméraire. Tant qu’il le faudra, on lutte. Après Noël, quand le sujet de la réforme des retraites sera clos — car il se doit de l’être —, ils sont prêts à se remettre en grève si la direction n’a pas encore reculé sur les mesures du premier novembre. En attendant, il faut continuer, gonfler la caisse de grève pour rassurer les collègues qui hésitent encore à cesser le travail, tenir les piquets, car on est au milieu du chemin, et la semaine à venir est la dernière ligne droite pour faire reculer Macron et son gouvernement.

 
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