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La Izquierda Diario
30 de décembre de 2019 Twitter Faceboock

Témoignage
1 an et demi sans les indemnités d’une assurance privée : L’histoire de ma mère, une infirmière presque à la retraite
Anissa Mira

Après 35 ans de carrière en EHPAD, proche de la retraite, une infirmière se bat contre une entreprise d’assurance privée SHAM. Le groupe refuse de lui donner ses indemnités d’invalidité… depuis un an et demi. Cette infirmière c’est ma mère. A travers son histoire, c’est le paysage d’une société ultralibérale qui détruit nos vies, nos conditions de travail, nos retraites qui se dessine.

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Crédit photo : Geoffroy VAN DER HASSELT

Une infirmière pour 84 personnes âgées…

Dans l’agglomération de Caen (Normandie), dans une maison de retraite de 84 résident-es, une infirmière travaille seule toute la journée les week-ends et les jours fériés. En semaine, les infirmières « soufflent un peu », elles sont deux, c’est-à-dire une infirmière pour 42 résident-es. Mais en raison du sous-effectif et des horaires alternés, elles sont seules pour commencer et terminer leur service.

Cette infirmière seule c’était ma mère. Au travail 12h par jour officiellement, mais payée 10h50 car la direction impose 1h30 de pause le midi. Des pauses impossibles à prendre étant donné les conditions de travail (le téléphone qui sonne, les médecins qui viennent, les résident-es atteint d’Alzheimer qui tombent…). En réalité, elle était présente chaque jour pendant 15h, travaillant parfois du petit matin jusqu’à 23h reprenant la route épuisée. C’était ma mère pendant 35 ans.

Un début de carrière en maison de retraite à 25 ans, un burn out à 35 ans, des antidépresseurs 15 ans plus tard. Après des années de harcèlement au travail, des heures supplémentaires non payées mais pourtant quotidiennes, des arrêts maladies qu’elle n’a jamais osé prendre, et des enfants qu’elle n’a pas le temps de voir ni le matin, ni le soir, elle a enfin décidé de demander à partir plus tôt. Deux ans avant sa retraite, car elles risquaient d’être les années de trop.

Après une année en invalidité 1 où elle travaille moins de jours mais sans arriver à partir plus tôt du travail, car il y a toujours une personne dont il faut s’occuper, à qui donner des soins ou de la tendresse, elle demande l’invalidité 2. Enfin elle pourra arrêter de travailler, selon le médecin du travail en gardant 80% de son salaire avant l’âge officiel de la retraite. 60% seront payés par la sécurité sociale, et 20% par l’assurance privée SHAM, spécialiste dans le domaine de la santé. L’EHPAD est obligée de cotiser à cette assurance, ainsi que les travailleur-ses, qui doit normalement permettre de les indemniser en cas d’invalidité. C’est sur cette affirmation qu’elle accepte d’arrêter de travailler, sachant qu’il serait impossible pour elle et notre famille de vivre avec seulement 60% de son salaire.

Du burn-out au combat pour la reconnaissance et l’indemnisation…

Très vite la sécurité sociale prend en charge les 60% de salaire due à ma mère. Pourtant, depuis un an et demi, elle vit à découvert, payant des agios bancaires chaque mois. Elle vit sans les indemnités de l’assurance prévoyance SHAM qui après de nombreux courriers recommandés la renvoie chaque fois à de nouveaux documents, à un nouveau numéro. Cette technique vise à décourager les salarié-es. Des salarié-es déjà épuisé-es par des années de maltraitances institutionnelles et de pénibilité au travail. Elle vise à les faire abandonner d’obtenir ce qui leur est dû, ce qui était retiré chaque mois de leur fiche de paye toutes ces années. Le groupe SHAM, « leader de la Responsabilité Civile Médicale en France » (selon leur site) profite du marché juteux de l’assurance et n’en est pas à son coup d’essai. Le groupe a déjà été condamné par la Cour de cassation en 2012, car il a proposé une indemnisation au bout de 7 ans à une infirmière, alors que le délai légal était de 8 mois maximum.

Ces stratégies d’épuisement ne sont pas des cas isolés, et pourtant l’Etat refuse de considérer le burn-out et l’épuisement au travail, comme « maladie professionnelle ». L’Académie nationale de médecine a publié un rapport début 2016 dans lequel elle prend position sur la reconnaissance de cette pathologie en maladie professionnelle. Ce refus met en lumière la responsabilité de l’Etat dans la destruction des conditions de travail et ses conséquences. Toujours plus d’économies dans les services publics, les services de santé, le nombre de personnes qui s’épuisent au travail augmente chaque jour. La classification comme « maladie professionnelle » permettrait un départ à la retraite anticipé à 60 ans pour toutes les personnes sans distinction de secteur de travail qui sont victimes de burn-out.

Évidemment, cela va à l’encontre des politiques successives des gouvernements qui allongent chaque fois un peu plus l’âge à la retraite, entre autre sous l’argument de la longévité. Alors que l’on nous dit que nous vivons de plus en plus longtemps, l’espérance de vie d’une infirmière est de 78 ans, contre 85 ans en moyenne pour les femmes en France, et 20% des infirmières partent à la retraite avec un taux d’invalidité. Les femmes qui composent à plus de 80% le métier d’infirmier-e-s sont donc les plus touchées par ces maladies psychiques, de surmenage au travail, une pénibilité de la profession non reconnue par l’Etat.

Les petit-es contre les grands, un combat collectif s’annonce…

« L’Etat-Providence » se désengage et laisse donc toute la place aux entreprises privées d’assurances et de mutuelles pour parier sur la pénibilité au travail, parier sur la précarité. Ces travailleur-ses obligées de cotiser dans ces entreprises privées doivent ensuite se battre seules pour percevoir ce qui leur est dû. Lorsque ma mère a fait part de ses difficultés à la direction de la maison de retraite, elle lui a répondu « Il faut les harceler au téléphone ». Cette réponse annonçait bien la couleur et le caractère systématique de l’abandon des travailleur-ses par ces assurances privées sans scrupule. Sans jamais d’intermédiaire physique, dans l’impunité totale, ce sont les « petit-es » qui doivent se battre contre les « grands ».

Ces entreprises privées qui gèrent nos vies, nos fins de vies, c’est ce que les gouvernements capitalistes et ultra-libéraux nous promettent pour le futur. C’est ce que signifie la réforme des retraites de Macron et les retraites à points.
Pour la justice, face à cette entreprise privée SHAM, dont le siège social se trouve à Lyon, contre la destruction des conditions de travail, contre la réforme des retraites : Abandonner ou se battre, nous avons choisi.

Comme elle a choisi de se mettre au service des personnes âgées toute sa vie, dans les conditions qui lui ont été données, je choisi de la soutenir et de me battre à ses côtés. Nous ne sommes pas petit-es si nous nous battons ensembles, pour ma génération, les générations passées et les générations futures.

 
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