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1er de janvier de 2020 Twitter Faceboock

Education nationale
Profs. Revalorisation des salaires : le coup de bluff du gouvernement
Elise Duvel

Face à la très forte mobilisation des personnels de l’éducation contre la réforme des retraites, Jean-Michel Blanquer promet des mesures « inédites » aux enseignants. Si l’on croit le gouvernement, les enseignants seront revalorisés... Des promesses bien floues qui sont surtout de véritables entourloupes pour tenter d’apaiser la colère des travailleurs de l’éducation.

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Les enseignants sont parmi les professions les plus mobilisées contre la réforme des retraites. S’ils sont vent debout, c’est que le mécontentement est très profond. Dans le secteur, la coupe est pleine : dégradation des conditions de travail, manque de moyens humain et matériel, souffrance au travail pouvant conduire au suicide, contre-réformes successives qui ne font qu’accentuer la colère. A tout cela, la réforme des retraites vient porter un coup de massue. Tout le monde le sait, cette réforme vient toucher de plein fouet les enseignants déjà bien mis à mal. Avec le nouveau calcul, les pertes mensuelles des pensions s’élèveraient à plusieurs centaines d’euros par mois. Face aux taux de grèves très importants dans l’Education nationale lors des différents journées d’action depuis le 5 décembre, le gouvernement a lâché des… promesses.

Mais de quelle revalorisation parle-t-on ?

Le gouvernement n’en peut plus d’essayer de calmer la colère par des promesses ; « sanctuariser » le niveau de pension des enseignants en l’inscrivant dans la loi, rattrapage du pouvoir d’achat, mettre le salaire au niveau de tout cadre de catégorie A ayant le niveau de diplômes équivalents. Il met tout en œuvre dans les médias pour convaincre que les enseignants (entre autres) seraient « les grands gagnants » car ils toucheraient « des milliers d’euros en plus par personne ». Pourtant les travailleurs de l’éducation n’ont toujours pas vu la couleur de ces soi-disant revalorisations ! Blanquer promet des « engagements fermes » sur la revalorisation alors que quelques semaines plus tôt, Macron déclarait clairement à Rodez en parlant de l’éducation nationale : « si je voulais revaloriser, c’est 10 milliards, on ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts ».

Le 23 décembre le gouvernement annonçait pour tenter d’apaiser, que JM Blanquer recevra les syndicats à compter du 13 janvier « pour leur présenter la méthode et le calendrier de négociations pour les 6 mois à venir ». L’objectif est « de parvenir en juin 2020, dans le cadre d’une approche globale du métier de professeur, à un protocole d’accord sur des scénarios de revalorisation permettant de garantir aux enseignants un même niveau de retraite que pour des corps équivalents de la fonction publique ». L’objectif est surtout de sortir le secteur de l’éducation des rangs de la contestation en tentant d’isoler les cheminots et la RATP.

D’après les déclarations successives du gouvernement, ce qui se dessine serait une augmentation de 400 millions d’euros par an jusqu’en 2037 sous forme de primes.
Tout d’abord, dans un article publié sur France info, un instituteur développe l’entourloupe. Cette augmentation qui serait en moyenne de 37 euros bruts par mois, non seulement est ridicule mais en plus ne tiendrait pas compte de l’inflation. Ainsi les profs ne seront pas réellement augmentés et leur pouvoir d’achat continuerait à baisser d’ici 2037.

Ensuite, ces 400 millions seraient donnés sous formes de primes. Le système de primes n’est pas habituel dans l’Education nationale notamment dans le premier degrés. Cette revalorisation si elle est pensée sous forme de primes, c’est qu’elle permet un avantage pour le ministère puisqu’elle ne jouerait pour la retraire que pour ceux qui seraient soumis au nouveau système par points. En effet, les primes ne sont actuellement que peu intégrées dans la retraite. Si on ajoute des primes, les enseignants plus anciens bénéficieront donc très peu de l’effet prime sur leur pension. Par contre, comme ces primes seraient ajoutées au service universel par points, les nouveaux pourraient en « bénéficier » pour leur retraite. Comme si ces primes ridicules pouvaient compenser le calcul de retraites actuellement calculé sur les six derniers mois et donc bien plus avantageux pour les professeurs pour qui le début de carrière est difficile. Donc non seulement cela ne change pas la donne par rapport à la réforme des retraites par points mais de plus la prime n’est pas une revalorisation salariale ; en revanche elle change le métier en créant de l’individualisme, de la compétition. On entre dans un régime d’obéissance. Et cela, les enseignants n’en veulent pas et ils ont bien raison !

Enfin, derrière les revalorisations se cache en réalité l’opportunité du ministre d’aller plus loin dans les attaques contre le métier d’enseignant puisqu’il exige une évolution du métier qui voit dans la réforme des retraites « une occasion historique de parler de l’ensemble des missions des enseignants (…), de discuter de ce qu’est l’école du XXIe siècle. »

Vers une redéfinition du métier ?

En clair son projet est de lier pensions, salaires et métiers. Dans le discours de Jean-Michel Blanquer, les fameuses primes promises seront bel et bien liées à de nouvelles missions que devront remplir les enseignants. Si le gouvernement a déjà bien avancé dans le puzzle de redéfinition du métier, il lui reste quelques pièces à placer. C’est d’abord à une augmentation du temps de travail que ces derniers doivent s’attendre, ainsi qu’à une plus grande « flexibilité ». Cinq journées de formation par an durant les vacances scolaires sont déjà imposées.
Ainsi, la réforme des retraites, dont le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, ne cesse pourtant de répéter qu’elle offre une « occasion historique » de réfléchir à ce que doit être le « professeur du XXIe siècle », a fait ressurgir la perspective d’une refonte du statut des enseignants.

Ce qu’il y a dans les tuyaux du ministère depuis un bon moment c’est l’annualisation du temps de travail. Annualiser cela revient à sortir de la définition hebdomadaire des services pour une définition annuelle. Cela signifie que tout un tas d’événements indépendants de l’enseignant (surveillance d’examens, journées de formations, réunions diverses et variées) sont actuellement comptés dans le temps de travail et ne sont pas dues. Elles le seront avec l’annualisation.

En 2017, la Cour des compte publiait un rapport intitulé « gérer les enseignants autrement, une réforme qui reste à faire ». Bizarrement, les solutions qu’elle propose sont en totale adéquation avec la politique du ministre de l’Education nationale pour casser les conditions de travail des enseignants déjà bien à mal : annualiser le temps de travail, instaurer la polyvalence et l’enseignement de plusieurs disciplines, être plus flexible, augmenter le pouvoir local et donc des chefs d’établissements, augmenter les postes à profil. L’application de telles mesures signifierait tout simplement une avancée supplémentaire dans les méthodes de management agressives inspirées du privé, ainsi qu’une sérieuse attaque au statut de fonctionnaire dont jouissent la plupart des enseignants (ce n’est pas le cas des contractuels, devenus la véritable variable d’ajustement de la politique de l’éducation nationale, au prix d’une grande précarité).
En réalité, une définition annualisée du temps de travail sous les tuyaux du gouvernement permet toutes les flexibilités. Annualiser donc pour faire des économies sur le dos des profs mais aussi des élèves. Augmenter les missions des enseignants, augmenter le temps de travail aura forcement des conséquences sur le travail devant les élèves. Alors comment faudra-t-il organiser son temps de préparation des cours ?

Autre recommandation saluée par le gouvernement, c’est la polyvalence des enseignants : que les professeurs du primaire aillent en collège et lycée et ceux du collège et lycée en primaire. La Haute juridiction propose également « d’instituer, dès la formation initiale, la possibilité de bivalence ou la polyvalence disciplinaire pour les enseignants du second degré intervenant en collège » et d’ouvrir cette possibilité, pour les enseignants déjà en fonction « et présentant les compétences requises », « d’opter pour l’enseignement de deux disciplines ». « Le développement de la bivalence doit être examiné au regard de l’exigence de niveau et de viviers dans le second degré », relève Jean-Michel Blanquer, alors que des problèmes de recrutement dans le second degré sont très marqués dans certaines disciplines. Or, enseigner une matière ne s’improvise pas. Chaque discipline requiert une méthode et des connaissances spécifiques. Mais peu importe, dans l’école au rabais que veut nous vendre Blanquer, chacun peut enseigner n’importe quelle discipline... pour pallier au sérieux manque de recrutement d’enseignants. Pensent-ils réellement nous faire croire qu’ils veulent le bien des enfants scolarisés quand ils proposent un apprentissage au rabais ? Il est évident que ces mesures renforcent l’inégalité scolaire entre les enfants des quartiers riches, si ce n’est pas déjà le cas, les écoles privées auront la qualité d’un enseignement prodigué par des spécialistes de la discipline, et les quartiers pauvres eux, seront contraints de voir le professeur de littérature jongler avec l’enseignement de l’anglais, ou celui de sciences avec le programme de maths. Les premiers touchés par ces mesures seront les enfants des quartiers populaires dans les départements les plus touchés par les sur-effectifs et le manque de personnel.

Pour le moment, il est vrai, un grand flou règne sur le projet du gouvernement concernant les fameuses mesures « inédites » promises aux enseignants. Jean-Michel Blanquer doit rencontrer les directions syndicales le 13 janvier tout en voulant étaler le calendrier jusqu’au mois de juin. Néanmoins, certaines de ces dispositions sont déjà contenues dans un rapport Brisson datant de 2018 qui invoquait l’idée des deux heures supplémentaires obligatoires, les 5 jours de formation pendant les vacances mais aussi l’annualisation du temps de travail. Or, avec ce gouvernement, les travailleurs savent bien que les rapports commandés ne restent jamais sous le tapis. De plus, la loi Blanquer votée en 2018 autorise d’expérimenter « la répartition des heures d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire ».

Derrière cette idée de « l’école du XXIè siècle », il y a également les recommandations du rapport CAP 2022 qui a donné la loi de la fonction publique. L’objectif central est de saigner la fonction publique tout en cassant le statut des fonctionnaires. La loi prévoit la suppression de 120000 postes d’ici 2022, le recours accru aux contractuels, le renforcement des clauses mobilité, l’individualisation des carrières ou encore la rémunération au mérite. Ce projet est dominé par un mot d’ordre : réduire pour tous les moyens ! Réduire le coût du service public, réduire le nombre de fonctionnaires, réduire la qualité du service rendu aux usagers.
Cette « nouvelle gestion publique », expression proposée par Christopher Hood en 1991 pour désigner le tournant opéré dans l’organisation de l’État permet d’introduire la « culture du résultat », la mise en concurrence des agents pour augmenter leur productivité sur le modèle du privé. C’est un modèle qui tente de s’imposer partout depuis la restauration néolibérale dans les années 80. Les loups du secteur privé sont aujourd’hui à l’affût de nouveaux profits sur le démantèlement de la fonction publique. Le projet est de confier au secteur privé les tâches administratives de base et jugées annexes comme la restauration, le gardiennage, l’informatique ou le nettoyage. Le rapport cap 2022 recommande « d’assouplir le statut pour offrir la possibilité d’évolutions différenciées, notamment des rémunérations » et « d’élargir le recours au contrat de droit privé comme voie "normale" d’accès à certaines fonctions du service public ». Il veut donner « la possibilité au management de recruter, faire évoluer et promouvoir les talents sans autres contraintes préalables que celles de droit commun ».

Ce qu’on voit clairement c’est que beaucoup de recommandations présentes dans les différents rapports sont déjà passées dans la loi Blanquer ou dans la loi de la Fonction publique. Ne reste plus qu’à faire passer l’annualisation ou encore l’idée d’un nouveau corps d’enseignants (nés après 1975) travaillant plus pour un salaire de misère et Blanquer aura terminé d’achever l’Education nationale déjà bien mise à mal.

Travailler plus pour une prime, un salaire de misère, des conditions de vie dégradées et une retraite au rabais, hors de question !

Au nom du profit et des intérêts de ses amis du privé, Macron est en train de détruire tous les acquis sociaux conquis de haute lutte alors que le patronat cherche de nouveaux marchés avec une main d’œuvre corvéable.
Jusqu’au lundi 6 janvier, les enseignants sont en vacances mais ils ont continué à soutenir les cheminots ou les travailleurs de la RATP sur les piquets de grève, ils ont aidé à bloquer les dépôts de bus, ils ont participé aux différentes échéances de rue aux côtés des gilets jaunes et des travailleurs en grève.

Si les directions syndicales continuent à dialoguer dans les salons avec le gouvernement, les enseignants sont appelés à battre le pavé lors de la prochaine journée interprofessionnelle du jeudi 9 janvier pour stopper une politique globale destructrice dans tous les secteurs du public et du privé. Cette date paraît pourtant bien loin au regard des chiffres de grévistes sur les dernières journées de mobilisation et à la colère qui règne dans l’éducation, alors c’est en s’organisant dans les Assemblées générales aux côtés des autres secteurs en lutte mais aussi en exigeant des directions syndicales un véritable plan de bataille que nous pouvons organiser une riposte à même de nous faire gagner.

 
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