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La Izquierda Diario
5 de janvier de 2020 Twitter Faceboock

En pleine bataille des retraites, les fissures se rouvrent en macronie
Damien Bernard
Marina Garrisi

Si fin novembre Macron avait recadré ses troupes lançant son offensive sur les retraites, de nouvelles fissures ressurgissent au sein de la majorité gouvernementale. Ainsi, des voix dissidentes se font entendre au sein des soutiens LREM : certains lui reprochent les concessions corporatistes, quand d’autres, au contraire, l’appellent à lâcher sur la question de l’âge pivot ou « à revoir sa copie ». Pris dans la bataille des retraites, Macron fait le pari de poursuivre la voie visant à consolider son électorat issu de la droite traditionnelle, quitte à s’aliéner définitivement l’électorat de centre-gauche qui avait été clé en 2017 pour son accession au pouvoir. Une fuite en avant qui n’est pas sans contradictions, mais la course contre la montre est lancée pour la présidentielle de 2022.

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Crédits photos : EPA

A la veille des vœux présidentiels, seize députés de la majorité ont interpellé le Président pour demander des clarifications sur le projet de réforme des retraites, et l’ont notamment appelé à revenir sur sa volonté d’instaurer un âge pivot à 64 ans, une mesure qu’ils estiment « injuste socialement ». Ce samedi 4 janvier, le député LREM de l’Hérault, Patrick Vignal, a appelé le gouvernement à "revoir sa copie" sur la réforme des retraites. Plusieurs sorties plus qu’embarrassantes pour le gouvernement dans un contexte où l’exécutif se radicalise pour faire passer en force sa réforme des retraites, quitte à se couper de ses seuls alliés. De plus, un nouveau sondage affiche un soutien toujours très large de la population au mouvement, et ce après un mois de grève. Alors qu’au sein du gouvernement on voudrait donner l’impression d’une macronie unie dans la difficulté, ces éléments viennent renforcer l’image d’un Président de plus en plus isolé. C’est en ce sens qu’un article du Parisien reprenait en titre la formule de nombreux soutiens LREM qui faisaient apparaître le chef du gouvernement comme « seul dans l’exercice du pouvoir ».

D’autres voix se sont fait entendre au sein de la macronie et de ses soutiens pour regretter qu’Emmanuel Macron ait fait le choix de mener une « réforme paramétrique » en même temps qu’une « réforme systémique ». C’est le cas d’Antoine Bozio, père intellectuel de la réforme par points, et Jean Pisani-Ferry, l’économiste qui a rédigé le programme de Macron pour les présidentielles, tous deux opposés à la mise en place d’un âge pivot, ou encore Jacques Attali, l’un des mentors du Président qui a déclaré « c’est une réforme nécessaire, mais qui n’a de sens que si elle est parfaitement juste et crédible dans la durée. Ce qui n’est pas encore le cas ». C’est d’ailleurs cette mesure qui cristallise la « ligne rouge » de Laurent Berger, le patron de la CFDT, qui a pourtant démontré plus d’une fois sa disposition à accompagner la réforme « par points » qu’il a défendu bec et ongles. En dépassant cette « ligne rouge » selon les mots de Laurent Berger, Macron a fait entrer la CFDT et les syndicats réformistes dans le camp des opposés à la réforme, même s’ils s’en tiennent à demander le retrait de l’âge pivot.

Dans le même temps, le gouvernement est sous le feu des critiques sur sa droite qui estiment que le projet de réforme perd en efficacité et en lisibilité après que des accords corporatistes aient été menés avec près d’une dizaine de secteurs (pompiers, policiers, militaires, pilotes et aériens, routiers, etc.). Xavier Bertrand, figure de la droite et ex-LR ayant quitté le navire après les présidentielles de 2017 et l’élection de Laurent Wauquiez à la tête du parti, dénonce une gestion « catastrophique » et une « méthode d’amateur » de la part du gouvernement. Pris entre deux feux, Emmanuel Macron semble incapable de tenir dans le même temps son aile droite et de son aile gauche, et la défense du projet de réforme ressemble de plus en plus à un exercice d’équilibriste.

Un pas supplémentaire dans la rupture avec sa base de centre gauche

Si lors de son élection, Emmanuel Macron pouvait compter sur le soutien de secteurs des classes moyennes supérieures issues de l’ancien bloc de gauche-PS, celui-ci s’est largement dégradé lors de ses deux premières années de mandat. Sa détermination à mener une politique anti-sociale lui a permis d’imposer plusieurs coups importants, à l’image de sa loi Travail XXL, de l’instauration de la sélection à l’université ou de la casse du statut des cheminots, mais cela s’est fait au prix d’un affaiblissement de sa base sociale notamment sur sa gauche. De même que le saut dans la répression de la contestation sociale tout au long de la crise des Gilets jaunes, ou l’affirmation d’une politique visant à remettre l’immigration au centre ou encore sa sortie islamophobe auquel il a mis court tant le coût politique était important. Ce désaveu de ses soutiens de gauche s’était déjà matérialisé lors des européennes au mois de juin dernier. Le Président cristallise d’ailleurs un niveau de haine sur sa personne, comme en témoigne sa côte de popularité qui peine à dépasser les 30% ou encore le fait que « Macron Démission » soit devenu le cri de ralliement de tous ceux qui descendent dans la rue depuis plus d’un an.

La bataille engagée sur la réforme des retraites vient révéler qu’un cap supplémentaire a été franchi. C’est ce qu’illustre notamment la crise qui s’est ouverte autour de la question de l’âge pivot avec les directions syndicales « réformistes » notamment avec Laurent Berger, secrétaire confédéral de la CFDT. Si des commentateurs politiques ont cherché à analyser cette rupture à la CFDT comme une stratégie calculée de Macron, c’est ne pas comprendre les contradictions plus profondes qui taraudent le macronisme. C’est ce qu’exprime un conseiller ministériel : « l’idée, ce n’était pas de perdre la CFDT, mais on ne pouvait pas lâcher sur les 64 ans. Et puis Laurent Berger est aussi tenu par sa base qui est très remontée, il se retrouve piégé malgré lui ». Un piège qui pourrait bien faire que Macron s’aliène définitivement une partie non négligeable de sa base sociale de premier tour, celle de centre-gauche à savoir ces 46% de sympathisants de la CFDT, la première organisation syndicale dans le privé. Mais cette décision de Macron, même s’il laisse Edouard Philippe en assumer la responsabilité, est un message adressé à sa base sociale conquise à LR, une mesure qu’il ne souhaite pas reporter trop proche de la présidentielle de 2022.

Vers un bloc plus traditionnel de droite ?

C’est sous la pression de sa droite que l’exécutif ne démord pas de sa volonté d’équilibre budgétaire, et il espère ainsi satisfaire l’électorat de droite et couper l’herbe sous le pied de LR. Ce d’autant plus que Les Républicains tentent de sortir de leur crise après leur déroute aux européennes en multipliant ces dernières semaines les prises de positions politiques et les invectives contre la majorité, allant jusqu’à présenter un contre-projet pour la réforme des retraites qui se veut « la preuve que la droite n’est ni asphyxiée ni avalée par le macronisme », comme le formule le nouveau patron des Républicains à l’Assemblée Damien Abad. La figure de la droite François Baroin, pressenti pour porter la candidature LR en 2022, est récemment jugée plus « compétent » qu’Emmanuel Macron par une majorité (55 %), selon un sondage de l’institut Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et France Info, mais également considéré (70 %) comme plus « proche des gens ». Ou, pour reprendre les mots de Cécile Cornudet, « Un risque social pour un pari politique. Sa réélection dans deux ans en tête, Emmanuel Macron vient de jouer son va-tout sur l’électorat de droite ».

Ainsi, le pari de Macron de consolider son bloc bourgeois, comme une nouvelle alliance sociale qui réunirait les classes moyennes et supérieures jusque-là divisées par le clivage droite/gauche pourrait bien être un échec sans retour. Cette tentative de renouer avec sa base sociale de gauche, après avoir été fracassée par l’irruption des Gilets jaunes, s’est heurtée une nouvelle fois à la lutte de classe et au mouvement d’opposition à la réforme des retraites. L’illustration la plus flagrante de cette tentative de séduction à gauche avait été son discours devant l’OIT où il dénonçait « un capitalisme fou ». Macron n’a eu cesse d’entretenir cette base sociale par la voie du « grand débat » puis de l’acte 2 du quinquennat censé le prolonger - acte 2 qui n’aura été qu’une illusion de courte durée.

Censé prendre en compte les Gilets jaunes, cette tentative s’est notamment confrontée à une radicalisation de son électorat de droite pour qui la reconversion de LREM en parti de l’ordre ne suffit plus, mais qui attend des résultats de sa politique, tout sauf de « l’immobilisme » fustigé par Macron dans son allocution. Une attente de la base de LR d’autant plus renforcée que les résultats en terme de réduction des déficits sont loin d’atteindre les objectifs fixés par Macron en début de quinquennat avec notamment une dette qui vient tout juste de dépasser les 100% du PIB courant décembre.

Dès lors, l’hypothèse que Macron se rabatte, poussée par sa volonté absolue d’être reconduit à la présidentielle de 2022, sur la constitution d’un bloc de droite plus traditionnelle est des plus probables. C’est cette hypothèse que faisait, il y a quelques mois, Stefano Palombarini : « Macron a pris conscience de la faiblesse du bloc bourgeois et il fait le pari de profiter de la crise de Les Républicains pour aller vers la constitution d’un bloc de droite plus traditionnel. Contrairement à ce que pensent certains, il me semble que ses phrases méprisantes, par exemple, correspondent plus à une stratégie politique qu’à un trait de caractère : en oubliant complètement son profil progressiste, dont on peut mesurer clairement le contenu hypocrite et trompeur, et en droitisant son discours, il compte gagner des secteurs de la vieille droite républicaine en perdition ».

En mars 2018, la transformation de LREM en tant que parti de l’ordre pouvait sembler comme quasi vitale face au retour du spectre de la révolution incarné par la radicalité des Gilets jaunes. Aujourd’hui, l’hypothèse formulée par Stefano Palombarini peut être réactualisée à l’aube de la stratégie adoptée par Macron, qui ne compte pour le moment rien lâcher sur la question de l’équilibre budgétaire, pour consolider la base sociale à droite qu’il a pu cristalliser aux dernières européennes. Il est intéressant à ce titre de noter que si toutes les catégories de population se disent majoritairement opposées à l’instauration de l’âge pivot, ce dernier est majoritaire chez les électeurs de droite : 60% des électeurs LR y sont favorables, c’est même plus que chez les électeurs d’Emmanuel Macron (53%). Cependant, si en vue des présidentielles de 2022, il optait pour la constitution d’un bloc de droite plus traditionnel, ce serait essentiellement par nécessité de survie politique, et en définitive par l’échec à forger son bloc bourgeois.

 
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