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11 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Elections municipales
Municipales à Bordeaux. Débat avec Loïc Prud’homme : union de la gauche ou anticapitalisme ?
Georges Camac

Loïc Prud’homme, le député membre de la France Insoumise, se présenté en 65e position sur la liste Bordeaux en Luttes pour marquer son soutien à la démarche. Mais il soutient dans le même temps la candidate EELV Laure Curvale sur la ville de Pessac. Une contradiction qui montre les faiblesses de la stratégie institutionnelle de la France Insoumise.

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Loïc Prud’homme a semblé gêné face aux questions des journalistes de France Bleu Gironde le 21 février dernier. Et pour cause : la liste Bordeaux en Luttes, sur laquelle il est présent en 65e position pour marquer son soutien, s’oppose à la candidature de Pierre Hurmic, candidat EELV-PS-PCF. Mais dans le même temps, Loïc Prud’homme a affiché son soutien à la liste EELV-LFI-Générations-LFI-Urgence Ecologie sur la ville de Pessac. Or, la tête de la liste d’union de la gauche Pessacaise, Laure Curvale, est proche de Hurmic et les différents candidats EELV ont d’ores et déjà conclu un accord au niveau métropolitain pour une politique commune.

Pour justifier cette contradiction, le député LFI argue d’ un supposé refus du candidat EELV à la mairie de Bordeaux : « il a estimé que notre position n’était pas compatible avec la sienne ». Et il avance un certain nombre de lignes rouges sur lesquelles la France Insoumise « ne transige pas », comme la « gratuité des transports en commun », alors que ce point de programme n’est pas présent dans la liste menée par Laure Curvale à Pessac [1].

Derrière les hésitations de Loïc Prud’homme se cache en réalité le fait que la démarche « écologique » de EELV est incompatible avec la perspective anticapitaliste portée par Bordeaux en Luttes.

Derrière les mesures cosmétiques, la poursuite du projet néolibéral

Fort de ses derniers résultats aux européennes, EELV cherche à se présenter comme une alternative de gauche à la politique de Macron, et cherche à faire des municipales un tremplin pour la constitution d’une telle force politique. Pourtant, le projet politique des verts ne constitue en rien une alternative au modèle néolibéral, tout juste ses élus cherchent-ils à le saupoudrer de quelques mesures cosmétiques.

Sur l’agglomération de Bordeaux, les candidatures EELV ne font pas exception. Pierre Hurmic, qui ne renie pas son étiquette de candidat « bourgeois », estime qu’Alain Juppé présente « un bilan sur 24 ans qui reste positif ». Et il assume que sa liste soit composée par les élus du PS et soutenue par Vincent Feltesse, ancien conseiller présidentiel durant le mandat de François Hollande. Sur Pessac, la tête de liste EELV Laure Curval est une ancienne conseillère départementale, membre de la majorité EELV/PS. Et si la liste qu’elle dirige part sans le PS sur Pessac, celle-ci l’explique en raison des spécificités du PS pessacais et non de l’incompatibilité avec un parti politique qui a pourtant multiplié les contre-réformes et administré l’austérité lorsqu’il était au pouvoir. Les différents candidats EELV ont conclu un pacte pour gouverner la métropole bordelaise et, à part quelques mesures cosmétiques [2], il est clair que ceux-ci comptent bien continuer la politique de métropolisation au service des plus riches et des grandes entreprises.

Sur le versant social, les mesures proposées apparaissent dérisoires au regard des inégalités qui frappent le territoire de l’agglomération et qu’est venu démontrer avec force le mouvement des Gilets jaunes qui a réveillé la Belle Endormie. Dans les programmes de Hurmic et de Curvale, il est question de « mobiliser » les logements vacants, d’un hypothétique « plafonnement des loyers » dont les contours ne sont pas précisés ou encore de développer la gratuité des transports de manière très partielle [3]. On est très loin des propositions radicales portées par la liste Bordeaux en Luttes qui avance la perspective de la réquisition des logements vides, la gratuité pour toutes et tous des transports en commun, des services publics accessibles et gratuits ou encore la réquisition des entreprises qui licencient.

Une écologie sur le dos des travailleurs et des classes populaires

La véritable « rupture » des candidats EELV se situe sur le terrain écologique, qui affirme vouloir rompre avec la politique des petits gestes. Ils annoncent en ce sens la création d’un fonds vert de 200 millions d’euros s’ils parviennent à prendre la tête de l’agglomération bordelaise. Cette proposition pourrait paraître ambitieuse mais, en réalité, elle exonère les principaux responsables et a pour seul objet de favoriser la vie de certains citadins aisés, au détriment de la grande majorité des travailleurs et des classes populaires.

Les points essentiels du programme municipal des verts consistent à développer des moyens de transports alternatifs à la voiture, avec la promesse du développement des transports en commun, de voies cyclables et piétonnes ou encore la création de « quartiers apaisés à circulation réduite ». L’objectif de réduire l’utilisation de la voiture individuelle est certes nécessaire pour imaginer apporter une réponse à la crise écologique, mais en l’absence de propositions de changement radicales, il s’agit surtout d’aménager la ville pour les plus riches, qui peuvent accéder au centre-vile, et d’en faire payer le prix aux plus précaires et dépendants de la voiture. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que Pierre Hurmic propose le renforcement de la police municipale, qui joue un rôle essentiel pour empêcher l’accès du centre-ville aux classes populaires.

A ce titre, l’exemple de la ville de Grenoble, seule ville de plus de 100.000 habitants gérée par un maire EELV, est particulièrement éclairant. Elu avec un programme similaire, le développement d’espaces et de voies douces s’est fait au prix d’une cure d’austérité particulièrement brutale. Le maire EELV Eric Piolle a coupé dans les comptes de la ville plus de 20 millions d’euros, entraînant la fermeture de trois bibliothèques, la démunicipalisation de deux maisons des habitants, la réduction du service de santé scolaire ou encore le non-remplacement d’une centaine de départs d’agents municipaux.

Surtout, les élus « écologistes » ne pointent jamais du doigt les véritables responsables, c’est-à-dire les grands groupes capitalistes qui sont les principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution. Au contraire, Yannick Jadot, candidat EELV aux dernières élections européennes, qui s’était prononcé pour la taxe sur les carburants qui avait fait se lever les Gilets jaunes, s’est prononcé pour un Green New Deal, qui consiste à offrir 100 milliards d’euros aux grands groupes capitalistes au nom de la cause écologique.

La liste Bordeaux en Luttes est à l’antipode de ces perspectives, elle affirme dans son programme que la « préservation de l’environnement passera par une rupture réelle avec le capitalisme ».

Le spectre de Ruffin et de l’union de la gauche

Ces soutiens à géométrie variable ne sont pas le fruit du hasard : ils sont le produit de la stratégie d’union de la gauche mise en œuvre par la France Insoumise lors de ces élections municipales. L’organisation ne s’est présentée dans aucune commune seule et a fait dans un certain nombre de cas des listes communes avec EELV. François Ruffin, qui avait initié la démarche du « front populaire écologique », a lui-même mis en œuvre cette démarche à Amiens et a organisé un meeting commun avec Eric Piolle, maire EELV de Grenoble, pour lancer sa campagne.

Le député amiennois a même lancé récemment un appel à « l’union de la gauche » pour les présidentielles de 2022, revendiquant le Front Populaire ou encore l’expérience de Mitterrand en 1981. Or, si le Front populaire a canalisé et défait le processus révolutionnaire ouvert par la radicalisation prolongée de la classe ouvrière, et a débouché sur la capitulation face au régime collaborationniste de Vichy, l’espoir nourri par Mitterrand s’est lui éteint avec le tournant de la rigueur en 1983. Et pour ce type de gouvernement, l’anticapitalisme n’est pas au programme comme l’explique François Ruffin dans son ouvrage Il est où, le bonheur : « Je suis pour encadrer le marché, pas pour une élimination de la propriété privée. Je ne suis même pas pour une élimination de la concurrence ».

Mais au-delà des limites intrinsèques de la stratégie réformiste de François Ruffin, le projet présidentiel de 2022 signifie que les travailleurs et les classes populaires n’auront aucun espoir de remise en cause du gouvernement et de sa politique avant deux longues années, en continuant de subir l’austérité administrée y compris par les maires de « gauche » comme Piolle à Grenoble. Pourtant, les énergies vives de la lutte des classes sont bien là, comme l’ont montré les Gilets jaunes et la grève reconductible durant deux mois à partir du 5 décembre, et le second round pourrait bien avoir raison de la réforme des retraites.

C’est en tout cas le pari que nous faisons du côté de Révolution Permanente, bien loin de la vision de Ruffin selon laquelle le « peuple est totalement découragé et démobilisé ». C’est en ce sens que nous avons soutenu et participé à la campagne Bordeaux en Luttes, qui faisait de la mobilisation sociale le moteur des transformations à venir contre toute tentative de récupération institutionnelle. C’est pour cette raison également que nous nous sommes opposés au sein de la campagne à la venue de François Ruffin pour soutenir la campagne de Bordeaux en Luttes.

Face à l’absence d’alternative, la perspective de la lutte anticapitaliste

Les élections municipales de ce mois de mars s’inscrivent dans le contexte de crise du système capitaliste qui sévit depuis 2008. De ce point de vue, l’ensemble des candidats bourgeois qui s’apprêtent à prendre le pouvoir après le 22 mars seront amenés à administrer l’austérité et la politique néolibérale décidée en amont. C’est pour cette raison que la liste Bordeaux en Luttes s’est constituée dans la perspective d’une rupture avec le pouvoir et les institutions existantes, et s’inscrit dans le cadre des luttes de ces dernières années contre la politique des gouvernements successifs.

De ce point de vue, l’échelon municipal ne fait pas exception. S’il apparaît plus proche des réalités quotidiennes, son fonctionnement est particulièrement antidémocratique avec un scrutin à deux tours où le vainqueur obtient automatiquement plus de la majorité en dépit de son score. Et aucun contrôle n’existe sur les élus. C’est pour cela que la liste Bordeaux en Luttes propose des mesures fortes comme la possibilité de révoquer les élus en cours de mandat, la limitation de leurs indemnités, des conseils de quartiers décisionnaires avec un budget propre, ou encore un référendum communal à l’initiative de la population pour mettre en place une mesure et s’y opposer. Ces mesures permettent de mettre un certain nombre de limites à l’exercice du pouvoir bourgeois, bien loin des mesures cosmétiques sur la « démocratie participative » proposée par les candidats EELV.

Mais cela ne sera pas suffisant. Depuis des années, les collectivités territoriales subissent des coupes budgétaires qui les restreignent à devoir être les garants de l’austérité, et la majeure partie des conditions de vie des travailleurs et des classes populaires sont bien davantage dépendantes des contre-réformes mises en œuvre par les gouvernements successifs.

C’est face à cette absence d’alternative que la liste Bordeaux en Luttes propose une perspective de lutte anticapitaliste. C’est dans les grèves et les manifestations, durant le mouvement des Gilets jaunes ou contre la réforme des retraites, que la plupart des membres de la liste se sont rencontrés. Elus ou pas, ils continueront à organiser la contestation, dans le conseil municipal en soutenant les luttes des salariés dans les entreprises ou en dehors, en étant partie prenante du mouvement social qui va continuer après les élections. Une démarche qui rompt radicalement avec celle des candidats EELV lors des élections municipales et toutes les illusions institutionnelles, c’est bien pour cela que la liste Bordeaux en Luttes a affiché, dès le départ ; son refus de se désister ou de soutenir d’une quelconque manière la liste conduite par Pierre Hurmic.

 
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