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La Izquierda Diario
24 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Conflit social
A l’usine SNF, on lutte pour « continuer la production dans des conditions sanitaires dignes »
Cécile Manchette

Dans l’usine SNF à Andrézieux-Bouthéon, le Covid-19 a ouvert un conflit entre les travailleurs et la direction. Eric Vallas, délégué CGT et conducteur d’appareil dans l’usine, dénonce la politique de la direction qui veut maintenir coûte que coûte l’entreprise ouverte, met en danger la santé et la vie des ouvriers et de la population, et méprise ouvertement les travailleurs.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Interview-d-un-elu-CGT-Chimie-de-l-usine-SNF-ils-veulent-continuer-a-faire-tourner-l-usine-pour

Photo au moment d’une grève à SNF en juin 2018. Crédits photo : Kévin CAÇÃO

RP : Est-ce que vous pouvez vous présenter et nous expliquer quelle est l’activité de votre entreprise, SNF ?

Eric Vallas : Je suis conducteur d’appareil, j’ai 18 ans d’ancienneté et suis délégué syndical CGT ainsi qu’élu au CSE. L’usine est centrée sur la fabrication de polymères employés notamment dans le traitement des eaux. On est 1300 salariés, et plus de 5600 dans le monde, c’est-à-dire qu’on est une grosse entreprise en chimie et une des rares qui est en progression ces dernières année. On a deux sites en France, celui d’Andrézieux où je travaille et un plus petit site en Moselle avec 50 salariés qui fabriquent les matières premières pour nous.

RP : Est-ce que vous pouvez nous expliquer quelle est la situation dans l’usine depuis le début de la crise sanitaire, et quelle est la nature du conflit qui s’est ouvert entre les ouvriers et la direction ?

E.V. : Depuis l’arrivée du Covid-19 on a essayé de s’assurer que toutes les mesures soient prises pour empêcher la propagation du virus. Le constat est simple, depuis le début très peu de mesures ont été prises. Deux procédures pour DGI (danger grave et imminent) ont été déposées, une le 17 mars et une autre le 18 mars. Pour illustrer l’absence des mesures sanitaires : on continue à être beaucoup trop nombreux dans les vestiaires, les 1 mètre de distance entre deux personnes ne sont donc pas respectés. Nous n’avons pas non plus de savon adapté. Dans les salles de contrôle on travaille en open space c’est-à-dire il faut imaginer quatorze personnes qui travaillent côte à côté et sans ordinateur personnel, du coup tout le monde touche à tous les ordinateurs. Il n’y a pas non plus de gel dans les ateliers.

Il faut savoir qu’il y aurait un salarié victime du Covid-19 qui serait dans un état sévère mais on a aucune certitude parce que la direction ne communique sur rien. Ils ont nettoyé son casier et auraient ordonné aux personnes qui travaillent à côté de lui de changer d’atelier… Ce qui veut dire exposer potentiellement plus de salariés au virus.

La première procédure de DGI concernait ce manquement grave à la sécurité des salariés, la deuxième concernait un autre problème, celui de la capacité de l’entreprise à pouvoir réagir en cas d’accident majeur sur le site. En effet, le site est classé Seveso seuil haut (Les sites dits "Seveso" sont les installations industrielles en France présentant le plus grand risque d’accident compte tenu des matières dangereuses qui y sont présentes) et on se pose question de savoir si l’entreprise, les salariés, les autorités, sont en mesure d’assurer la sécurité des ouvriers et des riverains en cas d’accident industriel comme on a pu voir à Lubrizol. Est-ce que c’est raisonnable de faire fonctionner un site aussi dangereux au vu du contexte ?

La direction n’a pas eu le même constat que le nôtre. La direction, suite à l’enquête que nous avons mené conjointement, a convié le CHSCT, et l’Unsa et la CGC ont estimé dans le sens de la direction que tout avait été mis en œuvre par rapport aux deux procédures de DGI. Ils ont estimé qu’elles étaient donc illégitimes et ils les ont invalidés le 19 mars. Depuis face à cela on a peu de marge de manœuvre. C’est suite à cela qu’on a appelé à la grève et à un débrayage des salariés au niveau de la CGT pour que les ouvriers puissent rentrer chez eux. Ces derniers jours, certains ont exercé leur droit de retrait, d’autres ont suivi l’appel à la grève et de nombreux autres salariés sont en arrêt soit pour gardes d’enfant, soit pour des raisons de santé. Ceux qui ont exercé leur droit de retrait ont immédiatement reçu des courriers de la direction pour leur signifier que leur droit de retrait n’est pas légitime, qu’ils ne seront pas payés et les menaçant de sanctions disciplinaires.

RP : Quelle est votre position par rapport à l’arrêt de l’usine, et quelle est celle de la direction ?

E.V. : Nous ce qu’on demande ce n’est pas l’arrêt de la production parce qu’on a une responsabilité dans le traitement des eaux et notamment concernant les stations d’épuration. Notre idée est de pouvoir continuer une production mais sur la base du volontariat, et avec des conditions sanitaires dignes.

La direction estime que 65% des produits servent au traitement de l’eau et communique en ce sens. Nous on estime que sur les 65% seulement une infirme minorité sert réellement au traitement de l’eau potable et à celle qui est rejetée dans les rivières. La plupart des produits servent à traiter les boues et non pas l’eau. Une station d’épuration peut fonctionner normalement sans nous pendant un temps, ça entraînerait juste un peu plus de déchets. On estime qu’ils se servent de cet argument pour légitimer le maintien du fonctionnement de la majorité des ateliers alors que nous on estime qu’on pourrait fermer plus d’ateliers.

Le 19 mars ils ont décidé d’arrêter trois ateliers et les salariés ont été redispatchés ailleurs, ce qui fait qu’on est encore plus nombreux dans certains ateliers. Selon leur logique capitaliste, on ne peut fermer que 30% des ateliers. Selon notre logique, on pourrait fermer 70% des ateliers. Par exemple, il existe un atelier qui produit des cosmétiques et qui continue à tourner alors qu’il n’a aucun rapport avec le traitement de l’eau. Avec cette logique en réalité ils veulent continuer à faire tourner les ateliers pour faire des gains et du profit.

Il faut savoir aussi que l’usine sœur de SNF en Chine a été fermé sous demande des autorités.

RP : Dans un communiqué daté du 22 mars 2019 vous dénoncez un communiqué du dirigeant de l’entreprise en date du 18 mars, intitulé « confinement et égoïsme » qui selon vos mots « remet en cause le confinement décidé par le gouvernement », est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

Monsieur Pich est le fondateur de SNF. C’est un capitaliste qui à travers son discours complètement décomplexé dit tout haut ce que beaucoup de chefs d’entreprise pensent tout bas. Ses propos sont fortement condamnables au vu de l’appel des autorités à rester chez soi. Nous on condamne fermement ses propos et on condamne la politique et la gestion de la crise du coronavirus qui met clairement en danger le personnel de SNF.

Il se permet de dire qu’on profite de la situation. Pourtant, une enquête de l’inspection du travail a mis en évidence ce qui a été constaté dans les deux DGI prouvant qu’on a raison.

Pour le moment on a aucune nouvelle de la direction, et le silence est assourdissant aussi du côté des autorités et de la préfecture dont on reçoit aucune réponse concernant le risque industriel. Les autorités, à travers le préfet, jouent bien leur rôle en faisant la sourde oreille.

Les deux communiqués en question :

RP : Dans un article du 20 mars la SNF se félicite de la remise de 1000 masques aux hôpitaux et clinique de la région, vous parlez dans un communiqué de 28 000 masques mis de côté…

E.V. : La direction s’est arrangée pour que sorte un article dans Le Progrès selon lequel l’entreprise a fait don de 1000 masques aux hôpitaux. Nous les salariés on a appris qu’ils ont en fait 28 000 masques de côté et que les salariés n’en n’ont pas l’usage. Nous-mêmes on a travaillé sans masques. Surtout, si on fermait des ateliers ces masques pourraient servir aussi aux hôpitaux, le CHU à côté de l’usine est en manque. Depuis on a appris que les masques vont sûrement être réquisitionnés. C’est important aussi que nous on parle dans la presse parce qu’eux ils ont leur relais, il nous faut les nôtres et aussi pour faire pression sur la direction aussi.

RP : Du côté des salariés est-ce que vous voyez déjà à l’heure d’aujourd’hui un avant et un après la crise du Covid-19 ?

E.V. : Clairement il y a aujourd’hui une vraie défiance vis-à-vis de la direction et une prise de conscience de la finalité de leur politique qui est du côté de la production et des profits. Du coté des cadres c’est différent mais apparemment il y aurait de la colère aussi. Cette crise dépasse le syndicalisme et elle va remettre en cause beaucoup de certitudes du côté des travailleurs.

 
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