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La Izquierda Diario
26 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Jeunesse
Covid-19, un révélateur des misères de l’université
Simon Derrerof
Nathan Deas

Facs fermées, licenciements, précarité, micro-logements, concurrence, manque de solidarité, et injonction à « la continuité pédagogique » au milieu d’une pandémie. L’université française, caisse de résonnance d’une société dégradée.

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Le coronavirus ne cesse de se développer en France et à l’internationale. En conséquence, jeudi 12 mars, Emmanuel Macron annonçait lors d’une allocution télévisée la fermeture et ce « jusqu’à nouvel ordre » des écoles, des collèges, des lycées et des universités dans l’ensemble du pays. 2,7 millions d’étudiants du supérieur étaient priés de faire cours ou d’étudier depuis chez eux. Avec la crise sanitaire semble se jouer une crise sociale, la perte d’emplois étudiants et de leurs salaires, les inégalités face au confinement, parallèlement aux injonctions « à la continuité pédagogique » lèvent le voile sur une université où la concurrence et l’absence de solidarité n’ont jamais été aussi évidentes.

Face au coronavirus, la jeunesse laissée pour compte

La crise de la jeunesse, sa précarité, dont la réalité nous a été rappelée par la tentative d’immolation d’Anas, un étudiant lyonnais, il y a quelques mois, est exacerbée par la crise sanitaire en cours. Le covid-19 et le confinement sont venus accentuer la difficulté des conditions de vie de nombreux étudiants.

Les 18-25 ans sont le secteur de la population vivant le plus sous le seuil de pauvreté, la moitié d’entre eux sont forcés de travailler pendant leurs études pour subvenir à leurs besoins primaires. Travailleurs au black, travailleurs précaires, auto-entrepreneurs, ils forment un réservoir de travailleurs, bon marché et sans sécurité de l’emploi, pour les patrons, quand il est normalisé que vie étudiante rime avec fins de mois difficiles et pâtes dans le placard. Si pour les générations précédentes cette situation était provisoire et se terminait avec l’obtention d’un diplôme, des décennies de contre-réformes libérales ont accentué la concurrence à l’entrée du marché de travail et le chômage des jeunes, promettant une précarité étendue tout au long de la vie.

Et quand le confinement a mis au chômage technique la grande majorité des travailleurs étudiants, la question de la fin du mois est devenue plus incertaine encore. Certains, sous la pression du patron, étaient contraints de continuer le travail, alors même que les universités avaient déjà fermé. Pire encore, les étudiants en alternance, une fois la fermeture de leurs écoles actée, ont dû faire les heures qu’ils passaient en cours dans leurs entreprises, faisant la démonstration une nouvelle fois que lorsqu’il s’agit de production, leurs profits valent plus que nos vies.

En outre nombre de ces étudiants précaires ont dû quitter leurs logements sociaux. Vendredi dernier Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a déclaré qu’« il serait demandé aux élèves et aux étudiants de quitter les Crous ». Plusieurs établissements ont alors fermé complètement leurs portes à partir du lundi 16 mars, forçant de nombreux étudiants à quitter leurs logements. Si cette fermeture des établissements a été justifiée par la volonté d’éviter les risques de contagion pour et par la jeunesse, c’est en réalité de nombreux étudiants qui ont été mis à la rue.

A l’heure du coronavirus, la question d’un salaire étudiant, indexé par l’impôt sur les plus fortunés, est plus actuelle que jamais, seule garantie véritable au travail forcé et aux fins de mois difficiles. S’il était déjà scandaleux que des étudiants soient obligés de travailler pendant leurs études, réduisant leurs chances de réussite par deux, il est inacceptable que privés de leur travail et de leurs revenus, ils soient forcés d’affronter la pandémie, sans possibilité de payer leurs loyers, ni de faire leurs courses. De même, la réquisition des logements vides et la suspension des loyers nous paraît plus urgente que jamais quand les étudiants les plus précaires sont mis en péril.

La continuité pédagogique, faire comme s’il n’y avait rien d’exceptionnel dans la situation

Sur le plan strictement universitaire et pédagogique, le coronavirus transforme également le quotidien des étudiants, la norme est à la mise en place, à tout prix, de la « continuité pédagogique » et donc à la pression scolaire. Nous avons vu fleurir sur internet ces derniers jours, de nombreux témoignages d’étudiants dénonçant les conditions de la « continuité pédagogique ». Lucien, étudiant en Histoire de l’art et en archéologie affirme : « ce virus n’a fait qu’exacerber les inégalités de classes au sein de notre système éducatif […] C’est comme si la fac fermait les yeux sur les inégalités entre ses étudiants. Certains élèves sont cloitrés chez eux, seuls, avec un minimum de moyen financier ».

Il ressort également des réseaux sociaux, l’impression pour les étudiants d’être profondément laissé pour compte par une université qui agit comme si la situation était normale : « je n’ai jamais eu autant de travail que depuis le confinement. Entre les préparations de TD notées, à rendre à heures fixes, auxquelles s’ajoutent les devoirs supplémentaires, les évaluations et les examens en ligne, certains professeurs nous laissent carrément élaborer notre cours tout seuls. Dans le meilleur des cas on reçoit les plans, avec des références à des manuels. Les manuels en question peuvent couter plus de 50€, on avait l’habitude de les consulter en bibliothèque, surtout qu’ils ne sont pas tous accessible en ligne. En plus, c’est l’année de la sélection. On a l’impression que l’université s’en fout, est dans le déni total. Moi j’ai pas d’ordinateur, je galère. Je pense même pas à ceux qui n’ont pas internet, ou qui sont confinés dans un 9m carré. Quand tu sais pas comment payer ton loyer, acheter un livre à 50€, c’est la dernière de tes priorités ». Un autre encore : « je suis plus stressée qu’en présentiel. Sous prétexte d’une soi-disant valeur du diplôme, on autorise ce genre de conditions. Il est temps que les étudiants se fassent entendre, on n’est pas des robots ».

Dans ces conditions matérielles, il est impossible d’assurer le travail éducatif. Il convient donc de se demander à qui servent ces injonctions à la « continuité pédagogique ». Ces cours en ligne demandés aux professeurs sont souvent pris en charge par les nombreux vacataires de l’éducation et de l’enseignement supérieur, aux conditions de vies elles-mêmes dégradées, comme l’ont rappelé les mouvements contre la réforme des retraites et la LPPR.

De plus, comment la continuité pédagogique pourrait ne pas nourrir les inégalités ? : suivre un cours avec un téléphone portable, ou avec une connexion wifi défaillante, sans bibliothèque personnelle relève d’une logique absurde, quand disposer d’un ordinateur à soi, d’une imprimante, ou même d’une chambre individuelle sont des biens très inégalement partagés. Les ENT fonctionnement mal, les situations particulières des familles sont inconnues, des familles n’ont pas un accès suffisant au numérique.

Alors que les enfants de précaires sont ceux qui connaissent le plus de difficultés scolaires, ce sont leurs parents qui sont souvent en première ligne contre le virus, ce sont ces femmes, surreprésentées dans les métiers de la santé ou aux caisses des supermarchés, c’est cette classe ouvrière devant faire jouer son droit de retrait pour arrêter le travail quand les patrons et le gouvernement demandent la continuité de la production, même non essentielle, ce sont ces familles, par la précarité de leur emploi, qui voient leurs salaires mis en péril.

Alors à la crainte de la fin du mois, de la maladie, de l’isolement, aux inégalités de confinement, ne rajoutons pas de l’inquiétude par rapport à l’apprentissage scolaire pour lequel l’inégalité est renforcée dès lors qu’il s’agit de travailler à la maison. Une politique juste serait alors d’exiger l’annulation de tous les examens, de donner les diplômes à tous les candidats, et de débloquer des moyens plus que jamais nécessaires pour compenser la période de confinement, en créant en urgence et a posteriori des postes, en titularisant les précaires.

Ce que le coronavirus accentue c’est l’impossibilité, de continuer à vivre dans une société organisée uniquement en fonction d’assurer les profits des patrons. Les décennies de baisse de moyens accordés à l’hôpital public, à la recherche, la libéralisation du travail (auto-entrepreneurs, Uber, généralisation du travail au black) pour les étudiants et les précaires, nous en payons le prix fort. Alors que Macron a annoncé libérer plus de 300 milliards d’euros pour les grandes entreprises, a gelé les loyers, les factures de gaz et d’électricité des patrons, pas une mesure n’était annoncée pour la jeunesse précaire. Pendant que Macron appelle à « l’union nationale », colore ses discours sous les atours de la solidarité, nous nous gardons le droit de lui rappeler que la casse des services publics, de nos acquis sociaux et de la vie étudiante est aussi de sa responsabilité.

Casse de l’université et de la recherche : irresponsabilité face au virus et aux étudiants

L’Education nationale et la recherche, subissent ces dernières années, de la part des classes dirigeantes et dominantes, une attaque sans précédent. L’université de 1968, ouverte partiellement aux classes populaires, a été le lieu d’un compromis temporaire entre des logiques croissantes de réorganisation et de gestion comptables, et la préservation relative dans le champ de la pédagogie et de la recherche d’une autonomie. La ligne rouge a été franchie au printemps 2009, avec la dissociation programmée de la recherche et de l’enseignement. La LPPR (Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche) n’est que la continuité logique de ce premier écueil, précarisant toujours plus l’enseignement et la recherche aux mains des investisseurs privés.

Cette destruction progressive de l’université, à l’heure d’une pandémie, dévoile toutes ses incohérences. Alors qu’une course contre la montre est lancée pour trouver un remède, l’état de l’enseignement et de la recherche est critique. Les politiques de recherche sont guidées par un modèle court-termiste de profit.

L’exemple le plus frappant et le plus amère, étant donné la situation actuelle, est la baisse des financements dès 2004 pour les laboratoires travaillant sur les coronavirus après la crise du SRAS en 2003. En France, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) n’a un budget que de 920 millions d’euros quand les grands groupes pharmaceutiques mondiaux ont des capitaux de plusieurs milliards d’euros qu’ils choisissent d’investir sur ce qu’ils jugent rentable. Il convient donc d’exiger la nationalisation de ces groupes ou encore la socialisation des brevets, mais aussi un changement radical de paradigme quant à l’université et la recherche.

Puisque la crise du coronavirus ne semble pas avoir bouleversé la politique du gouvernement, Macron s’il affirme sa confiance en la recherche française est revenu, en pleine crise du Covid-19, sur une promesse du ministère de l’enseignement supérieur, d’augmenter de 10 milliards d’euros sur sept ans le budget de la recherche, annonçant sa décision de n’augmenter ce budget que de 5 milliards et sur 10 ans alors même que le coronavirus révèle le manque de moyens criants dans ce domaine.

Pour les étudiants aussi les conséquences des politiques de casse de l’université sont plurielles. La privatisation et l’élitisation sont devenus le modèle gagnant et ce contre l’idée même d’une université ouverte à tous. C’est particulièrement effectif depuis quelques années, avec les lois sur la sélection, ou avec « Bienvenue en France » sur la diminution de l’accès aux universités pour les étrangers.

La classe bourgeoise a forgé les institutions éducatives dans leurs contenus, dans les valeurs qu’elles transmettent, pour les mettre au service de ses besoins et de ses intérêts. Ces différentes lois participant à un phénomène de fermeture progressif de l’université, les capitalistes n’ont aucun intérêt à former des professionnels qui n’ont pas de place sur le marché du travail, et ce d’autant plus pour un capitalisme toujours plus monopolistique et parasitaire, où l’éducation devient de marché, et où des filières entières, comme les sciences humaines, sont toujours plus inutiles. La conséquence étant l’accroissement de la concurrence et de la pression scolaire. C’est ce qui s’exprime aujourd’hui, en pleine pandémie, les cours doivent continuer, parce qu’il faut continuer à noter, à évaluer pour un futur marché du travail très concurrentiel, pour faire passer en master.

 
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