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La Izquierda Diario
27 de mars de 2020 Twitter Faceboock

#NosViesPasLeursProfits
Covid-19 : Ils risquent leur vie aujourd’hui pour des cacahuètes
Anasse Kazib

Depuis le début de cette épidémie, les médias et le gouvernement faisaient mine de ne pas les voir. Mais ils sont, depuis peu, contraints de les mentionner dans leurs discours.

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Crédit photo : AFP

Ce sont bien sûr les infirmiers, ou encore les aide-soignants, mais aussi toutes ces petites mains invisibles. Elles et ils sont plusieurs millions aujourd’hui à continuer à travailler. Ils et elles sont caissiers, éboueurs, coursiers, postiers, cheminots, traminots, égoutiers, agriculteurs, gaziers, agents de nettoyage, électriciens, routiers, ouvriers, etc.

Une deuxième ligne oubliée

 
Dans sa dernière allocution, le 25 mars, Emmanuel Macron, a rendu hommage à ces travailleurs de la « deuxième ligne ». Un hommage teinté de cynisme et d’hypocrisie, car dans le même temps, avec sa loi d’urgence sanitaire, le gouvernement attaque durement les droits et les acquis de cette même deuxième ligne, sans qui la situation serait chaotique pour la population. Lors de son allocution du 16 mars, il n’avait guère parlé de cette population contrainte de travailler, ne mettant en avant que les mesures de confinement et l’arrêt de travail pour garde d’enfant.

Pourtant, les choses ont changé, comme le note le sociologue Camille Peugny dans le journal Libération : « cette crise rend visibles ceux qui sont d’ordinaire invisibles ». Ils sont souvent au plus bas de l’échelle dans les entreprises, parfois intérimaires, en CDD ou encore à temps partiel. Des travailleurs avec des déroulements de carrière quasi nuls et des salaires de misère. Si le président est obligé de rendre hommage aujourd’hui à cette 2ème ligne, ce n’est que pour espérer contenir la colère sourde qui monte dans cette période. 
 
Une colère juste et légitime, car beaucoup travaillent depuis le départ sans aucune reconnaissance, souvent délaissés par la hiérarchie partie dès le départ se confiner en sécurité chez eux, pendant qu’eux risquent d’attraper le Covid-19 ou de le transmettre à un membre de leur famille. Ce qu’ils réclament par dessus tout, ce sont des moyens pour se protéger et protéger leurs familles, comme en témoigne Gilles Demoulin, agent de maintenance bus à la RATP : « Je suis obligé de mettre un chiffon dans mon cache cou pour filtrer un peu, car nous n’avons ni masque, ni gants, ni gel  ». Il ajoute : « nous venons tous au travail depuis le début avec la boule au ventre  ». 
 
S’il semble impossible, pour le gouvernement après cette crise, de maintenir son processus de casse de l’hôpital public, il n’entend pas réagir de la même manière concernant les métiers qui aujourd’hui sont indispensables pour tous. Depuis des années, chaque gouvernement n’a cessé de précariser ces secteurs de la grande distribution, de la logistique ou encore de la métallurgie. Des métiers dans lesquels les emplois en CDI sont remplacés de plus en plus par des robots ou par des contrats précaires ; pourtant cette crise du coronavirus vient démontrer à ceux qui ont tant cherché à les invisibiliser et nier leur rôle, qu’ils sont indispensables pour la population. 
 
Pas sûr pour autant que l’hommage de Macron suffise à les endormir, car si tous travaillent de manière dévouée pour nourrir, livrer ou encore transporter, l’heure des comptes risque d’arriver pour le gouvernement. 
 

Restez chez vous, mais continuez à travailler !

 
Cette deuxième ligne révèle pourtant toutes les contradictions de la politique du gouvernement en matière de gestion de la crise sanitaire, qui n’arrive toujours pas à ralentir la courbe mortifère du nombre de cas et de morts du coronavirus. Comme pour le personnel hospitalier, il y a une absence totale de moyens mis en place pour ces travailleurs qui ne sont en fait pas en deuxième ligne, mais bien en première ligne du risque de contamination et de contagion. Elle révèle aussi le deux poids - deux mesures entre le discours qui intime l’ordre de restez chez soi et la réalité du terrain, où des milliers de travailleurs sont encore contraints de travailler. Car cette deuxième ligne est en réalité divisée en deux catégories : d’une part celles et ceux qui sont indispensables pour la population, et d’autre part ceux qu’on pourrait qualifier d’indispensable pour les profits du patronat. Ils sont nombreux à aller travailler dans des entreprises pourtant inutiles dans cette période, sous la pression du patron, qui ne leur donne aucun moyen pour se protéger et refuse les droits de retrait, menaçant de sanctions disciplinaires voire de licenciements les salariés qui se rebellent. 

Parfois à l’inverse, comme chez Airbus, la direction préfère distribuer des dizaines de milliers de masques pour faire reprendre le travail, comme en témoigne Gaëtan Gracia, délégué syndical CGT dans l’aéronautique : « Airbus est prêt à distribuer des milliers de masques pour faire reprendre le travail aux ouvriers car ils avaient fermé depuis une semaine sous la pression des salariés. Par la même occasion, ils mettent la pression à toutes les entreprises de sous-traitance de l’aéronautique pour faire reprendre le travail de manière coordonnée  ». Les militants de ce secteur sont en train de s’organiser notamment pour lutter collectivement afin de maintenir la production à l’arrêt, sinon d’ouvrir pour fabriquer des choses utiles pour contrer l’épidémie et non pas pour les profits des patrons. Ils réclament dans leur communiqué intersyndical que « se pose la question de réorienter la production, par exemple pour fabriquer des respirateurs artificiels ». 
 
Une situation montrant toute l’hypocrisie du discours martial d’Emmanuel Macron, entre confinement et jeu de la roulette russe avec des millions de prolétaires qu’il méprise depuis toujours. 

« Le meilleur moyen de s’acheter un costard c’est de travailler »

C’était en 2016 durant le mouvement contre la loi travail : souvenez-vous de cette phrase qu’avait lancée Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, à un ouvrier qui l’interpellait sur la loi El Khomri. Cette phrase aujourd’hui vaudrait sûrement à Emmanuel Macron des scènes de révolte dans le pays, et pourtant elle montre l’ADN du macronisme, d’une politique en faveur des riches, priorisant les cols blancs aux cols bleus.

Si dans l’esprit de Macron en 2017, dans une gare « on croise des gens qui sont tout et des gens qui ne sont rien », nous pourrions lui répondre dans cette période de crise que dans une gare aujourd’hui, il n’y a que des prolétaires qui croisent d’autres prolétaires, car ceux qui sont tout ne servent à rien.

À ne pas en douter, cette crise révèle de manière accélérée toutes les dérives des politiques néolibérales de ces dernières décennies, et notamment cette inégalité de plus en plus importante entre des travailleurs précaires pourtant indispensables aujourd’hui, et ces dirigeants et ingénieurs qui gagnent des dizaines de milliers d’euros par an. Des travailleuses et travailleurs qui gagnent à peine le Smic et qui sont pourtant indispensables, c’est une image à en donner de l’urticaire aux capitalistes. Ce n’est pas anodin que beaucoup de sociologues se penchent sur le sujet, car oui, la crise sanitaire du coronavirus apporte une période d’instabilité importante pour la bourgeoisie, non pas seulement en France mais aussi internationalement, déstabilisant toutes les politiques néolibérales, mais également accélérant une crise économique déjà inévitable avant la pandémie de CoVid-19.

Pour l’heure, si la crise est encore à un rythme permettant au gouvernement de maintenir la carte de l’unité nationale, plus le temps va passer, plus le nombre de morts va augmenter, et plus les antagonismes de classe risquent de se transformer en lutte de classe ouverte. Comme le pointe la sociologue Dominique Méda dans un article pour le site pourleco.com, « soudainement, les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent bien inutiles et leur rémunération exorbitante » : telle est donc la crainte dans cette période pour la bourgeoisie, qui porte également sur les conséquences politiques qui suivront la crise.

La bourgeoisie française le sait très bien, après deux années de quinquennat, avec coup sur coup crise des Gilets jaunes et grève historique dans les transports publics contre la réforme des retraites : le gouvernement peut s’attendre à une explosion de classe sans précédent dans cette crise sanitaire. L’ensemble des politologues garde un œil rivé sur les mouvements de mobilisation et de contestation de la classe ouvrière dans cette période, parce que tout peut basculer rapidement, notamment si le confinement et l’épidémie mettent du temps à se résorber. La preuve en Italie, avec un appel de plus en plus important à la grève générale à partir du 29 mars prochain dans toutes les entreprises dites non essentielles à la population, pourtant maintenues ouvertes.

« Des héros à qui on va voler des repos et des congés »

La situation italienne, qui ressemble à ce que nous vivons en France en matière de courbe sanitaire, peut trouver un écho important dans la classe ouvrière française aujourd’hui, en première ligne dans de nombreux métiers indispensables, mais également dans des entreprises non essentielles pour la survie de la population. Malgré les alertes, le gouvernement continue à faire le pari d’un capitalisme d’Etat, sur le dos des millions de travailleur aujourd’hui en première ligne, ou en chômage partiel. Le gouvernement remercie les héros qui travaillent aujourd’hui pour la population entière, des héros à qui on va voler des repos et des congés avec la nouvelle loi d’urgence votée par le parlement, qui permet au patronat de pouvoir décider unilatéralement de l’utilisation du salarié, et d’imposer de nouvelles cadences ou des congés forcés sans autorisation. Le gouvernement espère que la carte de l’unité nationale va anesthésier la classe ouvrière face à cette nouvelle attaque d’ampleur qui vient toucher à un des acquis les plus emblématique du mouvement ouvrier à savoir les congés payés.

Même si Bruno Lemaire rejoue la carte de Macron face aux Gilets jaunes, avec cette « prime défiscalisée », il n’est pas certain qu’elle trouve beaucoup d’écho. Car si durant l’hiver 2018, la prime avait pour stratégie d’éviter une contagion dans les grands secteurs du mouvement ouvrier, aujourd’hui, avec la crise économique qui va s’ouvrir, il n’est pas sûr que tous les patrons, mis à part dans les grands groupes, jouent le jeu, ni que cela suffise aux travailleurs. Voilà encore la stratégie du néolibéralisme pour essayer de limiter la perte de profits sans mettre en péril le capitalisme. Ils prennent une fois de plus la classe ouvrière pour un âne à qui on tend une carotte pour avancer.

L’éditorialiste Dominique Seux l’a fait remarquer dans son dernier éditorial pour France inter, intitulé « Virus et distance de classe ». Il met ainsi en garde le gouvernement : « On mesure dans ce genre de situation qu’il n’y a pas de cohérence entre utilité du travail et rémunération (…) Carrefour, Auchan, ont annoncé des primes pour ceux qui travaillent, c’est normal, mais il y a un côté dérisoire à cette récompense, c’est une réflexion générale sur les salaires qu’il faut ». Il est clair que si l’heure n’est pas encore à la lutte de classe ouverte dans cette crise sanitaire, les contradictions de plus en plus importantes vont très certainement pousser la classe ouvrière à une forme plus organisée et revendicative dans la prochaine période. Il est temps que les prolétaires relèvent la tête, non pas uniquement pour exiger des hausses de salaire plus que méritées, mais également pour le respect et la dignité, sinon pour renverser définitivement l’ordre établi, après des années de précarisation et de mépris de classe.

Passons à l’offensive !

Dans cette période, il est donc urgent que la classe ouvrière réclame que soient donnés les moyens, aux travailleurs dont la tâche est indispensable, d’avoir le niveau maximum de protection pour éviter d’être contaminés ou d’eux-mêmes contaminer. Il est urgent que les travailleurs qui sont au cœur aujourd’hui de la crise sanitaire soient celles et ceux qui décident et contrôlent l’outil de travail : ce ne sont pas à des financiers, des directeurs ou des chefs planqués à domicile de donner les ordres par téléphone.

Ce sont les travailleurs en première ligne qui doivent décider de ce qui est prioritaire de ce qui ne l’est pas, ainsi qu’avoir un contrôle sur les prix comme dans les métiers de l’agroalimentaire pour éviter le dumping. L’ensemble des salaires des travailleurs doit être revu à la hausse, ainsi que les minimas sociaux. Tous les contrats précaires doivent être requalifiés en CDI et tous les travailleurs en chômage partiel doivent bénéficier du maintien de leur salaire à 100%, primes et éléments variables compris. Ce n’est pas au prolétariat de payer la gestion catastrophique de la crise, obligeant à cette situation moyenâgeuse de confinement, car le gouvernement a banalisé l’épidémie, ne cherchant ni à donner les moyens pour se protéger, ni pour dépister massivement, ni pour soigner.

Celles et ceux qui risquent leurs vies pour nourrir la population n’ont pas à payer pour les transports ou encore l’essence dans cette période. Nous devons aujourd’hui passer à l’offensive, pensée collectivement, dans une période où les prolétaires démontrent au monde entier que c’est eux qui font tourner le système et qu’ils sont les exploités du capitalisme. Comme l’a dit cette biologiste espagnole il y a quelques jours : « vous donnez 1 million d’euros à un footballeur et 1800 euros à une chercheuse en biologie. Vous cherchez maintenant un traitement ? Allez voir Cristiano Ronaldo ou Messi, pour qu’il vous en trouve un.  » S’ils n’acceptent pas nos revendications, demandons-leur, comme cette biologiste, d’exiger des patrons et des politiques, d’apprendre à nettoyer la merde des égouts, vider les poubelles, remplir les rayons de supermarchés, ou encore faire du pain. Car nos vies valent définitivement plus que leurs profits. 

Aujourd’hui, encore un peu plus qu’hier, plus personne ne pourra dire que la classe ouvrière n’existe plus. Après avoir fait son grand retour avec la grève contre la réforme des retraites, démontrant notamment sa capacité à paralyser l’économie pour défendre son avenir et « celui de ses enfants », la classe ouvrière aujourd’hui est en première ligne, désarmée, pour lutter contre l’urgence sanitaire qui met en danger la vie de millions de travailleurs et celle de leurs familles. Dans leur appel à la grève ce mardi 25 mars pour exiger notamment la fermeture de toutes les activités de production non-essentielles, les infirmières italiennes ont écrit :« Tous les droits ont été suspendus, repos, vacances, congé, grève. [Nous sommes des] héros ou des anges lorsque nous souffrons en silence, [et nous sommes] menacés de répression et de licenciement si nous essayons de lever la tête ou de déserter la tranchée. ». En France, et à l’échelle internationale, il est à parier que dans cette période, loin de « l’union sacrée » prônée par les gouvernements, la classe ouvrière après des décennies de néolibéralisme commence à relever la tête à l’image des travailleurs et travailleuses italiennes.

 
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