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30 de mars de 2020 Twitter Faceboock

International
L’Inde et ses 1,3 milliard d’habitants face à un confinement impossible
Hélène Angelou

En Inde, le confinement total mis en place par le premier ministre depuis le 25 mars accélère les contradictions d’un régime aux tendances autoritaires. Surtout, ce choix politique se fait au péril de la vie de millions d’habitants fragilisés par des conditions de vie précaires.

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C’est dans une allocution télévisée mardi 24 mars au soir que le premier ministre Narendra Modi (BJP, parti nationaliste hindou) a annoncé un confinement total, prenant effet le soir même à minuit, soit à peine 4 heures plus tard. Cette mesure drastique est la plus sévère adoptée jusque-là par un gouvernement pour faire face à la pandémie. Tout déplacement est interdit : « Vous devez oublier ce que sortir veut dire. La seule manière de nous protéger c’est de ne pas sortir de chez nous quoi qu’il arrive », a déclaré le premier ministre, conservant le plus grand flou quant aux sorties nécessaires pour les besoins vitaux.

Une rigidité d’autant plus inquiétante que le pays n’est pas du tout préparé à répondre aux besoins vitaux qu’exige cette décision. Ainsi, l’allocution s’est suivie d’un mouvement de panique et d’une ruée vers les commerces d’alimentation, obligeant le premier ministre à préciser dans un tweet que les commerces de première nécessité et les infrastructures de santé resteraient disponibles, sans toutefois en préciser les modalités d’accès, nourrissant ainsi l’incertitude.

L’inquiétude liée à cette impréparation devant l’urgence de la situation est décuplée par l’insuffisance structurelle des infrastructures de santé en Inde.

Un immense défi pour des conditions sanitaires désastreuses

Si l’Inde a un nombre de cas d’infections au coronavirus relativement limité (ils étaient estimés officiellement à 469 malades et 10 morts lors de l’annonce du confinement) et avait déjà pris des mesures pour limiter la propagation du virus, la situation sanitaire du pays est particulièrement inquiétante.

Les infrastructures sanitaires sont très peu développées : le pays compte seulement 40 000 respirateurs, un lit d’isolation pour 84 000 personnes et un docteur pour 11 600 personnes, et le matériel est déjà largement insuffisant alors que le pic de l’épidémie est attendu pour début mai. Un docteur de Calcutta témoignait pour The Guardian que dans un hôpital où étaient traités des patients atteints du Covid-19 « 4 docteurs ont été forcé de travailler sans le matériel de protection personnel spécifique recommandé par l’OMS parce que les autorités ne les avaient pas encore commandées ». Les mesures d’urgence et un plan sanitaire à la hauteur sont loin d’avoir été prises, or elles représentent un défi colossal au vu de cette faiblesse structurelle.

A cela s’ajoutent des conditions d’hygiène souvent déplorables pour les millions d’Indiens vivant sous le seuil de pauvreté. Surpopulation, logements précaires et conditions insalubres sont le lot quotidien pour nombre d’entre eux, favorisant le développement de maladies telle la tuberculose. D’après les chiffres officiels, au moins 25 à 30% des Indiens urbains vivent dans des bidonvilles. Ces conditions rendent impossible l’application des « mesures barrières » (lavage des main et respect d’une distance sanitaire) augmentant la vulnérabilité des populations.

Face à cette situation, l’OMS a récemment souligné la vulnérabilité des « pays les plus pauvres » face à la pandémie et en a appelé à une « aide » de la part des pays riches. Si une solidarité internationale est en effet nécessaire devant la crise sanitaire, cet appel lancé par l’agence de l’ONU pour la santé est particulièrement hypocrite. Les conditions sanitaires désastreuses et le manque chronique d’infrastructures dans les pays dépendants sont le fruit des politiques impérialistes, spoliant les richesses de ces pays et construisant leur dépendance économique. Or, l’ONU est l’une des superstructures internationales traduisant cette domination. Loin d’une nouvelle « aide » impérialiste c’est au contraire le caractère profondément criminel de la gestion impérialiste que cette crise sanitaire contribue à révéler. On voit d’ailleurs combien la crise s’accompagne d’un repli nationaliste partout : les frontières se ferment et chaque pays se réserve ses ressources médicales aux dépens de vies humaines. L’Italie par exemple s’est ainsi vu refuser l’aide européenne qu’elle sollicitait.

Des conséquences dramatiques pour une population en situation de précarité

Au-delà de l’aspect sanitaire en effet, le prix du confinement risque d’être très lourd pour les 300 millions d’Indiens vivant sous le seuil de pauvreté et dans des situations de précarité terrible. On voit déjà en France combien le coût du confinement et de la crise sanitaire s’abat sur les travailleurs. En Inde, où l’économie informelle est considérable (jusqu’à 90% des emplois) et où les salaires journaliers au lance-pierre sont la norme pour près d’un demi-million de travailleurs, c’est la survie même de ces travailleurs précaires qui est en jeu.

Le cas particulier des migrants de l’intérieur, représentant environ 30% de la population, est particulièrement inquiétant. Il s’agit d’hommes seuls ou de familles ayant quitté leur campagne pour un travail précaire en ville, dans des conditions particulièrement difficiles. Or, l’annonce du confinement et la fermeture des frontières des différents Etats au sein de l’Inde signifie pour eux un confinement loin de leur proche et la perte de leur travail, se retrouvant sans le sou. Nombre d’entre eux tentent en conséquence de rejoindre leur village d’origine, fuyant sur les routes depuis l’annonce du confinement dans un grand dénuement.

Dans une impréparation totale, le gouvernement fédéral a finalement annoncé jeudi 26 mars un plan d’urgence de 20,6 milliards d’euros : « Nous voulons que personne n’ait faim ou ne se retrouve sans argent. Nous nous efforçons de tendre la main aux femmes, aux travailleurs migrants et aux couches défavorisées de la société, avec un ensemble de mesures qui vont répondre aux préoccupations de ces personnes », a précisé la ministre des finances. Selon un article du Monde, il s’agit de la mise en place d’un plan d’approvisionnement en nourriture des 800 millions de personnes les plus pauvres du pays, donnant droit à 5 kg de riz ou de blé et à 1 kg de lentilles par mois. Pourtant, la chaîne d’approvisionnement des produits alimentaires n’est plus assurée, suite aux bouleversements causés par la fermeture des frontières intérieures et la mise en pratique de ce dispositif est donc loin d’être assurée. Or, il est déjà bien dérisoire par rapport aux nécessités et représente vraisemblablement moins d’1% du PIB. D’autant plus que « pour toucher ces aides publiques, il faut être enregistré dans l’Etat où l’on travaille, ce qui n’est pas le cas de millions d’ouvriers agricoles, de manœuvres du BTP, de barbiers ou de livreurs de "lunch boxes" » souligne l’article du Monde.

Cette situation économique et sociale s’inscrit par ailleurs dans le contexte d’une économie indienne en décélération. Les mesures néolibérales prises par le gouvernement de Narendra Modi pesaient déjà lourdement sur les travailleurs. Cette année, une vague de contestation a d’ailleurs soulevé le pays. Déclenchée initialement sur des questions démocratiques (plus précisément sur la refonte discriminatoire de l’accès à la citoyenneté indienne dont le Citizenship Amendment Act représentait le premier volet dans le cadre du projet nationaliste du gouvernement), elle s’est rapidement étendue à la question de la cherté de la vie et de la précarité économique.

La crise économique mondiale dans laquelle nous sommes entrés risque d’appauvrir et précariser encore davantage les travailleurs et petits paysans. La vague de contestation qu’a connu le pays traduit pourtant un autre horizon. A travers le monde une vague de soulèvements (on peut penser à l’Algérie, au Soudan, au Chili etc.) laisse entrevoir le passage d’une colère grandissante contre les attaques néolibérales suite à la crise de 2008, à un retour de la lutte des classes à échelle mondiale. La crise sanitaire peut à cet égard constituer un nouvel événement déclencheur.

Le confinement, un accélérateur du caractère autoritaire du régime

Du côté de la bourgeoisie, l’accélération de la situation se traduit par une tendance à la bonapartisation, c’est-à-dire au recours croissant à des mesures autoritaires et à un mode de gouvernement qui s’appuie sur la répression et les forces répressives. En Inde, celle-ci est déjà bien avancée et les tendances autoritaires risquent de s’accélérer encore davantage avec les mesures répressives de confinement.

En effet, depuis la réélection de Modi et du BJP aux élections de mai 2019, les traits autoritaires sur des bases nationalistes se succèdent. C’est notamment la minorité musulmane du pays qui fait les frais de cette politique. En Août, le gouvernement a abrogé le statut constitutionnel semi-autonome de l’Etat du Cachemire, seul Etat à majorité musulmane, plaçant la région sous son contrôle et l’occupant militairement. L’état des infrastructures, notamment sanitaire, y est en conséquence particulièrement déplorable du fait du chaos provoqué par cette occupation. De même le Citizenchip Amendment Act prévoit de faciliter l’accès à la citoyenneté indienne des migrants des pays voisins, exceptés pour les musulmans.

La mobilisation populaire qui s’en est suivie a été réprimée brutalement. Ce climat de violence a atteint son paroxysme avec le développement de bandes fascisantes agressant et tuant la population musulmane, sous l’œil conciliant de la police voire avec sa participation.

C’est donc dans ce contexte répressif que le confinement a été instauré. Dans la situation, il légalise de fait le tournant autoritaire qui s’amorce depuis fin 2019. Un autoritarisme lié comme on l’a vu à un nationalisme hindou qui fait craindre le pire pour les minorités musulmanes du pays. Alors que de nombreux barrages policiers ont été mis en place, la police en ville se livre à la répression violente et aux humiliations pour faire respecter par la matraque le confinement.

Dans l’Etat de Télangana, au Sud du pays, le ministre en chef est allé jusqu’à menacer de tirer à vue sur ceux ne respectant pas le confinement. « L’administration ne peut pas arrêter tout le monde et je vais devoir appeler l’armée ou donner l’ordre de tirer à vue. S’il vous plait, restez à la maison », a-t-il déclaré.

Alors que ce « confinement impossible », au vu des conditions de vie et des mesures prises, livre des millions d’Indiens à la faim, la militarisation du pays prépare les forces de répression à intervenir dans un contexte où la colère et l’inquiétude des classes populaires grandissent face au saut autoritaire du gouvernement.

 
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