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La Izquierda Diario
31 de mars de 2020 Twitter Faceboock

Pandémie et crise mondiale
Coronavirus au Liban : entre soulèvement populaire, crise économique et crise sanitaire
Camille Laurent

Alors que le début du mois de mars semblait voir un regain d’actions de protestations, la lutte contre propagation de l’épidémie sert de prétexte pour le régime à la mise en place de mesures répressives contre le mouvement populaire. 

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« Thawra » (« Révolution ») La Place des Martyrs à Beyrouth, le 28 mars 2020. Crédit Photo : Hassan Ammar/AP

Le début du mois de mars a été marqué par une intervention du Premier Ministre, Hassan Diab, qui, dans son discours du 2 mars, avait annoncé que « dans la situation actuelle, l’État libanais n’est pas en mesure de protéger les Libanais ». Alors que la crise économique galopante a déjà entraîné le licenciement de plus de 200.000 personnes depuis le mois d’août, la fermeture de plus de 2.500 bars et restaurants en quelques mois, la dévaluation de la livre libanaise menant à une inflation galopante, des coupes de salaires sans notice préalable voire simplement un non-paiement des salaires, cette annonce a participé à relancer les actions protestataires. À l’hôpital Rafiq el Hariri, premier hôpital à traiter les cas de coronavirus, les travailleurs et travailleuses de l’hôpital ont manifesté le 4 mars contre le manque de moyens dans l’hôpital public, contre le non-paiement de leurs salaires, et contre l’absence de matériel de protection face au coronavirus, demandant au moins des masques et des gants pour le personnel médical. Alors que le premier cas de coronavirus au pays du cèdre a été détecté le 21 février, le Liban compte désormais 438 cas confirmés et au moins 10 décès dus au covid-19.

La vague de mécontentement qui a suivi le discours du Premier Ministre a également amené les manifestants à couper les routes dans plusieurs villes en ce mercredi 4 mars. Le lendemain, des manifestations ont eu lieu à Nabatiyeh, Tripoli, Saïda, Antélias et devant la banque centrale à Beyrouth pour dénoncer la détérioration de la situation économique et les politiques financières prises par le gouvernement. Si ces manifestations restaient relativement faibles numériquement, elles ont toutefois mobilisé plus de manifestants et manifestantes que les semaines précédentes.

Cette semaine de mobilisation s’est terminée par la manifestation pour la journée internationale des droits de la femme. Malgré l’annulation de la marche par les organisatrices la veille du 8 mars suite à la demande des autorités libanaises, un certain nombre de manifestants et manifestantes se sont retrouvées à l’un des points de rendez-vous et ont décidé de maintenir la manifestation. Si cette après-midi a sans doute rassemblé moins de personnes qu’attendues, cela a également donné une note radicale à la protestation, puisque ce sont majoritairement des manifestantes féministes, anti-racistes et pro-LGBT qui se sont retrouvées, et surtout, qui ont pris la direction de la manifestation. Dans le quartier Badaro à Beyrouth, cette journée de mobilisation s’est ponctuée par la fermeture des bars par les forces de sécurité, anticipant l’annonce officielle du Premier Ministre quant à la fermeture des bars et des boîtes de nuit, ainsi que l’annulation des concerts et événements artistiques.

Une gestion chaotique de la crise sanitaire qui approfondit la colère populaire contre le régime

Face au début de propagation du coronavirus au Liban en cette deuxième semaine de mars, de nombreux et nombreuses activistes, groupes militants, et médias alternatifs/militants, ont appelé au confinement pour faire face à l’épidémie, n’ayant pas confiance en la capacité du gouvernement à protéger la population et à prendre les mesures nécessaires pour éviter la propagation du virus. Les mesures contradictoires prises par le gouvernement libanais pour lutter contre l’épidémie n’ont fait qu’attiser la peur et le manque de confiance envers la classe dirigeante. Alors que la fermeture des écoles et universités avait été annoncée dès fin février, et fut rapidement suivie par celle des bars, boites de nuit, restaurants et lieux publics, des vols en provenance de l’Iran et de l’Italie continuaient à atterrir à l’aéroport de Beyrouth. Malgré ces appels à l’auto-confinement, des actions collectives ont eu lieu dans plusieurs villes, notamment pour critiquer la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. Le personnel de l’hôpital Rafiq El Hariri – en dehors de ceux et celles qui traitent les cas de coronavirus, de cancer, de dialyse et les urgences – s’est mis en grève depuis le 12 mars. Le 14 mars, des manifestants et manifestantes ont coupé une route à Taalabaya (Bekaa) pour protester contre les mesures prises par le ministère de la Santé, qui a fermé les magasins sans garantir le maintien du salaire des travailleurs et travailleuses, alors même que l’aéroport et les frontières étaient restées ouvertes. Le 18 mars à Halba, des activistes du mouvement révolutionnaire sont allé·es manifester devant l’hôpital gouvernemental, pour dénoncer le manque de ressources pour lutter contre la propagation du virus et demander au gouvernement d’agir. Ce sont également les détenus qui sont entrés dans la contestation depuis une semaine face à la peur de la propagation du virus dans les prisons insalubres et surpeuplées du pays.

Comme dans de nombreux pays, la situation de détention dans les prisons libanaises fait craindre une propagation rapide du virus. Les détenu·es et leurs familles se mobilisent déjà depuis plus de dix jours. Les prisonnier·es de Roumieh ont d’ailleurs diffusé un communiqué dimanche 15 mars, en soulignant que nombre d’entre eux sont atteints de maladies pulmonaires chroniques et de diabètes. De plus, la pharmacie de la prison ne distribue ni de masque, ni de stérilisateurs ; elle ne met pas non plus de thermomètres à disposition des prisonniers. Pour ces raisons, la mise en place d’une loi d’amnistie générale, permettant la relaxe des personnes ayant purgé leur peine sans avoir pu payer leurs amendes ou leurs indemnités, a été demandée. À travers ce communiqué, il a également été annoncé que les détenu·es se mettraient en grève de la fin dès le lendemain si leurs demandes n’étaient pas écoutées. Des actions collectives ont également eu lieu dans d’autres prisons, que celle de Tripoli ou de Zahlé, où les détenu·es ont manifesté et chanté des slogans faisant part de leur peur face au coronavirus et demandant leur libération. Reprenant les demandes des prisonniers et prisonnières, des manifestations demandant l’amnistie générale ont été organisées par les familles des détenu·es et d’autres activistes devant plusieurs prisons ainsi que sur la route du palais présidentiel à Baabda.

Ce lundi 16 mars, alors que les prisonniers et prisonnières se mobilisent pour demander l’amnistie générale ou la remise en liberté temporaire, le Tribunal militaire a pris la décision de remettre Amer Fakhoury en liberté. Cette décision a renforcé le sentiment d’injustice chez les prisonniers et prisonnières, et nourri les actions collectives et affrontements qui ont émergé entre prisonniers et forces de sécurité. Amer Fakhoury, milicien de l’Armée du Liban Sud qui a collaboré avec Israël pendant la guerre civile libanaise et jusqu’au retrait israélien en 2000, a dirigé la prison de Khiam et torturé, voire mis à morts, des prisonniers et prisonnières, ce qui lui a valu d’être surnommé le « le boucher de Khiam ». Les charges de collaboration avec l’ennemi avaient été abandonnées par l’État libanais avant son retour au Liban en septembre. Mais les victimes et familles de victimes ont individuellement porté plainte contre lui, notamment pour torture et kidnapping, ainsi que meurtre et tentative de meurtre. C’est donc malgré ces charges que sa relaxe a été décidée. Suite à cette décision, Fakhoury s’est réfugié dans l’ambassade états-unienne d’où il a quitté le pays malgré une interdiction de voyager. À cette occasion, Trump s’est d’ailleurs félicité de la collaboration avec les autorités libanaises pour la relaxe de Amer Fakhoury...

Face à cette injustice, les protestations dans la prison de Roumieh se sont intensifiées. Des personnes ont essayé d’utiliser des objets ou des portes cassées pour lancer un feu et s’échapper de leurs cellules. Des affrontements ont également eu lieu avec les forces de sécurité qui ont tiré des balles de défense, blessant au moins deux détenus. Suite à ce regain de tensions, le Cabinet ministériel a annoncé le 18 mars avoir rédigé un projet de loi d’amnistie. La pression exercée par les activistes, et notamment le Comité des avocats pour la défense des manifestants, a également permis l’adoption le 23 mars de deux circulaires par le procureur général Ghassan Oueidat. Visant à faciliter la remise en liberté des détenu·es et à limiter les nouvelles mises en détention, les mesures actuelles sont toutefois loin d’être suffisantes pour gérer la situation de surpeuplement dans ce système carcéral où le taux d’occupation avoisinait 186% en 2016, et 300% pour la prison de Roumieh en 2017.

Réprimer le soulèvement populaire pendant la crise sanitaire : l’évacuation de « la place de la révolution » de Beyrouth

Par ailleurs, ces mesures n’ont pas mis fin aux mesures répressives à l’œuvre contre les protestataires. Dans la nuit de vendredi à samedi, les forces de sécurité ont commencé à attaquer les campements de la Place des Martyrs –la place de la révolution de Beyrouth– et de la rue adjacente, Riad al Solh, profitant de la crise sanitaire pour réprimer le soulèvement populaire.

Largement détruit au cours de la guerre civile qui a tiraillé le pays de 1975 à 1990, le centre-ville est devenu le point de fixation de la stratégie de reconstruction du pays : faire de Beyrouth un centre régional pour le secteur des affaires, de la finance et du tourisme de luxe. En octroyant le projet de reconstruction à la société foncière Solidere – propriété du Premier Ministre Rafiq el Hariri – en 1991, les élites politiques et économiques assoient les bases d’une économie fondée sur l’investissement privé et la maximisation des profits. Au cours des années, ce projet de reconstruction a accumulé les scandales : spoliation des ayants droits, défiguration du centre historique, coûts de construction exorbitants, privatisation des espaces publics. L’entreprise Solidere et le centre-ville tel que reconstruit sont ainsi devenus des preuves matérielles de la corruption rampante et de la marginalisation des classes moyennes et populaires à coup de politiques néolibérales. Lieu d’implantation des souks populaires et marqué par la mixité sociale, le centre ville devient un secteur de bureau et de centre commerciaux. Tout en étant un des rares endroits majoritairement piéton de la capitale, tout y est fait pour en exclure la population : les prix exorbitants, les boutiques de luxes, les postes de contrôle des forces de sécurité… Le symbole est d’autant plus fort que c’est aussi au cœur de ces rues que se trouve le Parlement, protégé par une police de plus de 800 hommes aux mains du Président du parlement, Nabih Berry.

Pour ces multiples raisons, l’installation d’activistes du mouvement social qui traverse le pays depuis plusieurs mois dans le centre-ville de Beyrouth est un symbole fort de la volonté de réappropriation de l’espace publique et de la politique par le peuple libanais. De nombreuses tentes ont ainsi été érigées pour organiser des débats, des discussions, des rencontres ; d’autres ont mis en place des cuisines populaires. Des campements dans lesquels se sont installé·es des manifestants et manifestantes ont également été créés. Critique en acte de la gestion du pays par la classe politico-économique, ce moyen de contestation a évidemment fait les frais d’une répression forte. Depuis le début des manifestations le 17 octobre, les forces de sécurité ont tenté à plusieurs reprises de rouvrir les routes du centre ville en retirant les barrières qui empêchaient la circulation des voitures. Le 18 janvier, suite à des affrontements avec les manifestant·es, les forces de sécurité ont fini par incendier des tentes.

C’est dans cette série de tentatives d’éviction des protestataires que s’inscrit l’attaque de vendredi contre les campements du centre ville. Le déroulement de cette soirée est d’ailleurs marqué par une suite d’événements contradictoires qui souligne les pratiques discrétionnaires des forces de sécurité.

À 17h, les Forces de Sécurité Intérieure sont venues sur la place pour enjoindre aux manifestants et manifestantes installées dans les campements depuis près de cinq mois, de partir avant 19h en raison du couvre-feu en place depuis le 21 mars. Alors qu’ils et elles n’ont plus d’appartement à Beyrouth ou ne peuvent pas rejoindre leurs régions du fait des mesures de lutte contre le coronavirus, les occupants et occupantes de la place ont négocié avec l’armée et obtenu le droit de rester sur les campements. Quelques heures plus tard alors que le couvre-feu avait déjà commencé, un nouvel officier est venu au campement pour dire aux manifestants qu’ils devaient évacuer le camp immédiatement. Ces derniers ont évidemment rejeté la décision. Suite à cette altercation verbale, la police anti-émeute est arrivée sur place, a frappé les activistes et commencé à détruire les tentes, sans même laisser le temps à leurs occupants de prendre leurs affaires. Certains manifestants ont été menottés et mis de côté sur le pavé pendant une à plusieurs heures, avant d’être relâchés. Mis à la rue, les activistes se sont organisés avec les réseaux militants pour être logés dans la capitale le soir même, certains dans des hôtels, d’autres chez des militants et militantes.

Le Comité des avocats en défense des manifestants a immédiatement dénoncé cette attaque, en soulignant que l’application du couvre-feu visant à interdire « la sortie et l’accès aux routes et aux rues » après 19h ne s’applique pas aux manifestants qui campent sur la place. Qui plus est, les autorités n’ayant pas prévenu les protestataires et ces derniers n’ayant pas de logements, cette décision les exposait à l’incertitude de trouver un logement et aux risques d’arrestations pour non-respect du couvre-feu. Pour ces raisons, le Comité des avocats a demandé au ministère de l’intérieur la suspension immédiate de cette agression contre les protestataires et a dénoncé l’usage disproportionné de la force dans cette attaque du campement.

Cette dénonciation par les avocats et les militant·e·s n’a toutefois pas altéré la décision du ministre de l’Intérieur. Le lendemain, la police est justement venue terminer son travail en enlevant les dernières tentes et en « nettoyant » la place des traces de la révolution. Les manifestants et manifestantes qui le pouvaient sont rentrées dans leurs régions. La situation se révèle plus délicate pour une dizaine d’entre eux qui, venant de régions opposées au soulèvement populaire, pourraient subir des représailles en rentrant chez eux. Des réseaux militants sont depuis à l’œuvre pour leur trouver un lieu dans lequel ils puissent se confiner d’ici la fin de la crise sanitaire.

Cette attaque contre le mouvement social s’ajoute aux multiples critiques faites à l’encontre des mesures prises par le gouvernement pour gérer la crise sanitaire et économique. Alors que le code du travail libanais ne protège pas les travailleurs et travailleuses, qu’une grande partie de la population est employée dans le secteur informel et que beaucoup travaillent comme journaliers, le confinement entraîne la paupérisation rapide de toute une partie de la population. En ce mois de mars, les chiffres sont tombés : 45% de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté. Face à ces situations désespérées, la population est retournée dans la rue ce week-end. Ainsi ce samedi, des activistes de Akkar ont interpellé le député de la région quant à sa gestion de la crise sanitaire et économique. Alors que la situation a dégénéré, l’altercation s’est terminée par une série de coups de feu de la part de la police. Deux activistes ont été arrêtés le lendemain, et remis en liberté lundi, l’un d’entre eux avec la main cassée. Ce dimanche, des libanais et libanaises sont également descendues dans les rues de Tripoli ou de la banlieue sud de Beyrouth scandant « ne nous confinez pas, nourrissez-nous » ou encore « nous voulons manger, nous voulons vivre », pour exiger des mesures contre la crise économique et sanitaire qui frappe de plein fouet les classes populaires.

 
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