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La Izquierda Diario
1er de avril de 2020 Twitter Faceboock

Témoignage
Infirmier en psychiatrie : « On a été mis en danger par l’État et par notre employeur »
Mica Torres

Un infirmier, travaillant en unité psychiatrique, en arrêt maladie aujourd’hui, revient sur la gestion catastrophique du virus dans son unité, responsable de la contamination ou présumée contamination de la quasi-totalité des personnels de son service : manque de masques et de matériel de protection, tests tardifs. Aujourd’hui, alors que 21 agents sur 22 sont en arrêt maladie, des étudiants et vacataires les remplacent sans plus de garanties de protection.

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Crédits : AFP - Christophe ARCHAMBAULT

Quelle est la situation dans votre hôpital aujourd’hui ?

Aujourd’hui, seule une infirmière sur un total de 22 agents ne présente pas de symptômes évidents du Covid-19. Tous les autres ont des symptômes et sont aujourd’hui en arrêt maladie. Ainsi, pour combler le trou, sont mobilisées des personnes d’autres unités, des étudiants en soin infirmiers, leur école étant fermée, ou encore des vacataires. Or ces personnes-là ne connaissent pas forcément les spécificités de l’hôpital psychiatrique, ils ne sont ni habitués à nos patients, ni à nos prises en charge etc.

Quand vous travailliez encore, comment cela se passait au niveau du matériel ?

Au départ, on ne donnait des masques chirurgicaux qu’aux seuls patients suspectés d’être infectés ou encore ceux fragilisés. Dans le second cas, cela ne servait à rien puisque les masques fournis, ne protègent pas la personne qui le porte. Pour le personnel, il n’y avait aucun masque de disponible. Nous on se servait dans la réserve pour les patients. Le problème est qu’on devait les garder jusqu’à 8 h de travail alors qu’ils ne protègent que quelques heures. Cela a dû favoriser la transmission.

Nous ne savons pas qui a contracté le virus en premier. Il y aurait eu une patiente, qui sur le lieu de travail était au contact de cas et a commencé elle-même à présenter les symptômes. Un patient d’un autre service, transféré au sein de notre unité pour faute de place ailleurs, avait également été mis en isolement pour avoir été en présence de cas ; ceci avant que le médecin ne juge plus cela nécessaire, car il ne présentait pas de symptômes apparents. On nous a expliqué qu’au stade 3, ne sont pas isolées les personnes qui ne présentent pas de symptômes. Le problème est que nous ne pouvions pas savoir qui été réellement contaminé puisque les tests ne sont arrivés que vendredi. Nous étions alors complètement exposés. Nous avons été encouragés à maintenir des distances de sécurité avec les patients. Nous avons vraiment fait de notre mieux, dans un contexte où il n’est pas toujours évident de le faire comprendre à nos patients. Aujourd’hui, sur les 16 patients présents dans le service, 4 présentent les symptômes, 2 sont hospitalisés, et une personne est en état critique.

Y a-t-il eu des réactions ? Des changements par la suite ?

Dernièrement, nous avons été livrés en matériel, quelques masques chirurgicaux, quelques solutions hydro-alcooliques, quelques sur-blouses. Encore une fois ces masques ne protègent pas la personne qui les porte. Aujourd’hui, je doute fort qu’il y ait assez de masques pour pouvoir les changer régulièrement. Avant mon arrêt maladie, leur nombre était dérisoire. Et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, la même situation se présente aussi pour les maisons de retraites, les maisons médicalisées, les foyers de vie médicalisés … selon même, un hôpital même s’il est psychiatrique doit avoir le matériel pour protéger le personnel et les patients.

La France n’a pas anticipé les commandes alors qu’elle avait de bons exemples à l’étranger de la crise qui allait arriver. Voilà pourquoi aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un service totalement décimé par la maladie.
Or, aujourd’hui toujours aucun masque FFP2 alors qu’il en faudrait pour l’ensemble des soignants et patients. Nous avons conscience que cela représenterait un stock assez conséquent, mais si nous voulons vraiment protéger tout le monde, il faut déployer ces moyens.

Je voulais revenir sur la situation des personnes qui vous remplacent actuellement et notamment les étudiants, comment cela se passe pour eux ?

Je pense qu’il ne sont pas beaucoup payés voire pas du tout. Je n’ai pas idée du statut sous lequel ils exercent, s’il s’agira d’une expérience qui sera comptée comme un stage. Je pense que chaque hôpital gère cela à sa manière. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont exploités. Je pense que pour l’instant, cela se fait sur la base du volontariat. Mais quand les besoins augmenteront, il faudra réquisitionner.

Les étudiants ne sont pas dans une posture facile, ils prennent les mêmes risques que nous et n’ont même pas de reconnaissance. On a réellement été mis en danger par l’État, notre employeur et le système de santé.

J’ai moi-même perdu mon oncle du covid-19, aujourd’hui je risque de contaminer ma mère qui a elle-même perdu son frère, parce que je suis exposé à mon travail. C’est très angoissant pour les personnes qui viennent travailler dans ces conditions.

Il est impératif que ceci ne se reproduise pas, il faudrait que l’État prenne conscience de la gravité dans laquelle il a mis l’hôpital public, du manque de moyen, du manque de personnel. Il faudrait que les moyens soient ré évalués, que les salaires soient réévalués, qu’ils comprennent que l’hôpital ne se gère pas comme une entreprise. Nous avons besoin de moyens concrets humains et matériels, pour faire notre travail correctement. Que l’on arrête de nous pondre des protocoles et des démarches administratives qui nous retirent du temps au lit du patient. Que soit opérée une refonte, ce n’est plus possible. Avec la situation que l’on a aujourd’hui, on se rend compte des failles qui existent déjà depuis des années au niveau de l’hôpital public.

Nous avons besoin de plus de temps de soin, de personnel, de moyens financiers pour pouvoir prodiguer des soins cohérents et adaptés aux besoins de chacun. En psychiatrie, nous travaillons beaucoup sur la réinsertion. Or, nous n’avons même pas les moyens financiers pour amener nos patients à l’extérieur, ni de véhicules ou d’argent pour faire des sorties. Nous ne pouvons pas faire notre travail dans ces conditions. Des fois nous avons l’impression de faire du gardiennage, nous ne sortons pas, nous ne faisons rien, nous passons notre temps à leur dire non, parfois nous nous demandons si nous ne sommes pas un peu gardien de prison.

 
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