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Nos vies par leurs profits
Infirmière en psychiatrie : « Il faut que les travailleurs imposent leurs règles d’hygiène »
Homa de la Bahía

Interview avec une infirmière en psychiatrie en Bretagne qui nous raconte la situation dans son secteur de travail. Elle dénonce le manque de préparation de la part du gouvernement et l’accuse de mettre des vies en péril, pour elle, "cela prouve que les intérêts économiques passent bien avant la vie des gens".

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Environ 300 médecins, infirmiers ou patients ont manifesté ce jeudi à Paris pour réclamer un « renouveau » de la psychiatrie, jeudi 21 mars 2019. AFP JACQUES DEMARTHON

Propos recueillis par Homa de la Bahía

Je suis infirmière dans un hôpital psychiatrique en Bretagne, aujourd’hui je suis en télétravail pour prendre des nouvelles des patients qui sont confinés chez eux, sinon j’aide dans les services.

Pour les patients c’est compliqué en ce moment, on a dû hospitaliser une patiente il y a quelques jours parce qu’elle vivait très mal le fait d’être confinée toute seule, et il est difficile pour elle de comprendre les attestations de sortie. Certains ont une addiction à l’alcool, et augmentent leur consommation, pour d’autres, ils n’ont aucune conscience des risques de contagion, dans le service, ils s’échangent les bouteilles d’eau entre eux.

Les patients de psychiatrie hospitalisés sont confinés, que ce soit avec ou sans le coronavirus, certains sont dans un service fermé, donc leur quotidien n’a pas changé, ils ne comprennent pas forcément ce qu’il se passe.

Je me dis qu’ils seront parmi les premiers à partir. Lorsqu’on manquera de respirateurs et qu’on devra faire le choix, entre un patient de 70 ans qui a besoin d’un respirateur et un patient de psychiatrie de 50 ans, je sais que le choix sera vite fait.

En psychiatrie c’est là où on a le moins de moyens pour se protéger, donc lorsque la vague arrivera [en Bretagne], on va être très touchés et il y en a beaucoup qui vont y rester, et tout ça parce qu’on n’aura pas eu les moyens de se protéger.

On a reçu un ordre de la direction de ne pas mettre des masques dans notre lieu de travail tant qu’on n’a pas de symptômes. Je lutte tous les jours contre la direction de l’Hôpital pour qu’on puisse être protégés dans notre lieu de travail. Face à la pénurie, ils préfèrent laisser les soignants sans masques, plutôt que de déclarer ouvertement qu’il y a une pénurie et d’être obligés de prendre des mesures adaptées.

Révolution Permanente : Est-ce qu’à l’Hôpital ils vous ont dit comment ils allaient faire en cas de pénurie ?

Infirmière : Non, ils ne nous ont rien dit parce qu’ils ne nous parlent pas de pénurie, on entend ça à la radio, mais eux ils nous disent qu’ils veulent garder les masques parce qu’ils ne veulent pas faire de gaspillage, mais c’est sûr qu’on va en manquer.

RP : Quelle est la politique de la direction par rapport aux masques ? Il parait que dans des centres, les directeurs incitent à ne pas en porter...

I : Oui. On a des directives dans ce sens. Les seuls qui peuvent mettre des masques sont ceux qui sont suivis par la médecine du travail, ou qui ont des antécédents médicaux ou ceux qui ont des membres de leurs foyers atteints de Covid-19 ou suspects, les autres n’ont pas le droit de mettre de masque. Moi je ne rentre pas dans ces critères là, même si j’avais dit que ma fille venait de rentrer de Paris et qu’elle était potentiellement contaminée.

RP : Est-ce que vous avez des tests à disposition pour savoir s’il y a des personnes contaminées ?

I : Moi j’ai décidé d’aller me faire dépister, je toussais, et mon médecin traitant m’a prescrit un test de dépistage. Dans les CAMP (centre d’aide médico psychologique) ils ne font pas de tests, c’est un centre uniquement à visée psychiatrique, avec des entretiens infirmiers par téléphone en raison du confinement, et des visites à domicile.

RP : L’année dernière, lors du mouvement des Gilets Jaunes, de nombreux infirmiers, urgentistes et personnel soignants s’étaient mobilisés pour dénoncer le manque de moyens à l’hôpital et la casse du service de santé publique. Ils ont fait face à une énorme répression de la part de l’état et de sa police, alors qu’aujourd’hui on parle d’eux comme les héros de la nation. Est-ce que toi tu as fait partie de ces mouvements ?

I : J’ai fait des grèves à mon hôpital pour dénoncer, effectivement, le manque de moyens et pour défendre nos conditions de travail. Je suis syndiquée à Sud et dès que je peux, je me mobilise, même si, en étant infirmière, c’est toujours un peu compliqué, parce qu’on est partagé par la lutte et par les besoins des patients, si je fais grève je pénalise les patients.

RP : Est-ce que tu penses qu’il y a un lien entre le nombre de morts par le Covid-19 qui augmente exponentiellement en France, mais aussi en Italie ou dans l’État Espagnol et le manque de moyens dans l’Hôpital provoqué par des années de coupures budgétaires, de réduction du personnel ou de mesures d’austérité de la part des gouvernements ?

I : Il y a un lien évident. Je suis très en colère par ce qu’il se passe, surtout par le fait qu’il y a un déni, un refus de dire la vérité. Je sens qu’on obéit aux ordres venus d’en haut sans avoir aucun esprit critique. Ça me met très en colère, essentiellement parce qu’il y a des vies derrière. Surtout qu’on a la Chine en exemple, on a l’Italie, on a l’Espagne, pourquoi ça serait différent ici ?

RP : En France, la veille de l’application du confinement, se tenaient les élections municipales et quatre jours avant, Macron était au théâtre et appelait les français à ne pas arrêter la vie sociale, est-ce que tu penses que ce déni dont tu parles a été provoqué par le gouvernement ?

I : Évidemment. La preuve, les élections municipales c’était un fiasco. Ça a fait que la chaîne de contamination continue et que le déni aussi, c’est dangereux et irresponsable.

RP : Sur la question des masques. Tu disais que la pénurie est en quelque sorte cachée, alors qu’en même temps on vous interdit d’en mettre. En Argentine, par exemple, il y a une usine sous gestion ouvrière, qui a reconverti sa production pour produire des masques et du matériel de protection hygiénique et sanitaire pour faire face à cette possible pénurie. Est-ce que tu penses que ça peut être une solution en cas de manque de masques en France ?

I : Oui, c’est une très bonne initiative. J’ai une amie qui connaît des gens en Chine qui étaient prêts à nous envoyer des masques. J’ai passé les coordonnées à mon cadre sup (c’est lui qui doit donner l’accord), mais je n’ai jamais eu de nouvelles. Pourquoi ? Parce qu’accepter les masques ça veut dire admettre qu’ici on a un problème. Il y a tellement d’intérêts et d’enjeux économiques et géopolitiques derrière…. C’est révoltant parce que ça joue sur la santé et la vie des gens. Ça prouve que les intérêts économiques passent bien avant la vie des gens, là ça devient clair et on y assiste.

RP : Par rapport au manque de respirateurs, tu penses que ça serait possible de restructurer la production pour permettre que des usines de haute technologie, par exemple, produisent des respirateurs et que les travailleurs organisent cela pour continuer à travailler mais pour résoudre la crise et non pas pour fabriquer des produits non essentiels comme des voitures ou des avions.

I : Oui ! (Sa fille qui participe à la discussion prend la parole) En Italie par exemple, ils sont en train d’en fabriquer en réutilisant des masques de plongée de Décathlon !

(L’infirmière reprend la parole) Oui évidement, ça serait possible de changer plein de choses qu’on ne fait pas, il faudrait reconfigurer la production et les capitalistes ne vont pas faire ça (en rigolant) ce qui fait qu’on assiste à une sacrée merde.

RP : Lorsqu’on parle aujourd’hui du confinement, à la télé, on entend souvent dire que c’est la faute des gens qui ne respectent pas le confinement et qui sortent de chez eux, alors qu’on sait très bien qu’il y a beaucoup de travailleurs qui ne peuvent pas rester confinés chez eux, tout simplement parce qu’ils sont obligés d’aller travailler, même s’ils travaillent dans des secteurs non-essentiels.

I : Oui, ça fait aussi partie de l’attitude irresponsable du gouvernement, surtout parce qu’ils sont obligés de travailler souvent sans aucune protection. Lorsqu’on regarde les images de Wuhan, même si c’est différent puisque c’est un régime autoritaire et que le confinement s’applique différemment (je suis très critique vis à vis du régime chinois), on voit que toute l’industrie a été arrêtée. L’autre jour j’ai entendu dire par une infirmière, qu’à Paris il y avait plus de cas que ce qu’on annonçait mais qu’ils ne veulent pas le dire parce qu’ils seraient obligés de mettre en place des tests massifs, et qu’on verrait que presque tout le monde l’a.

Je me demande pourquoi est-ce qu’on ne s’est pas préparés depuis janvier ? Pourquoi il n’y a pas eu d’anticipation ? Qu’est-ce qui a fait qu’on ne sait pas senti concernés parce qu’il se passait en Chine ?

RP : En France, en plus, il y avait déjà eu des recherches sur le coronavirus qui ont été arrêtées par un manque de moyens dans la recherche, mais les chercheurs savaient qu’une épidémie de la sorte pourrait arriver.

I : C’est vrai, parce que ça n’apportait pas de profit économique. On parle d’une société qui de fait, n’est pas très belle à voir.

RP : Par rapport à ce que tu disais tout à l’heure sur le sentiment de révolte et de l’ambition de vouloir lutter pour que les choses se passent autrement, en Italie, il y a quelques jours, il y a une grève générale pour exiger l’arrêt de la production, qui a été très soutenue par un collectif d’infirmières. En France, dans la même ligne, il y a des usines qui sont fermées par les travailleurs, comme par exemple dans l’aéronautique, pour exiger l’arrêt de la production d’avions.

I : Je n’étais pas au courant de la grève en Italie, c’est bien, ça fera bouger les choses. L’autre jour je discutais avec une collègue, assistante sociale, elle porte le masque, et en même temps, me disait que ses collègues travaillent sans protection, alors qu’ils ont le matériel nécessaire. Elle s’est dit qu’elle n’irait pas travailler tant que ses collègues ne sont pas protégées. Face à l’attitude irresponsable du gouvernement il faut que les travailleurs imposent leurs règles d’hygiène.

Pour appuyer celles et ceux qui se battent pour la fermeture de leur entreprise, non essentielle, rejoins la grande campagne pour imposer le #StopProductionNonEssentielle parmi les principales tendances sur Twitter et les autres réseaux sociaux. Cette action massive aura lieu le jeudi 2 avril à 18h : chaque personne compte !

 
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