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La Izquierda Diario
1er de avril de 2020 Twitter Faceboock

Continuité Pédagogique
5% d’élèves "perdus" : Blanquer minimise le bilan réel de sa continuité pédagogique
Simon Derrerof

Hier, le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer, se rendait enfin compte que le risque était grand que la continuité pédagogique « creuse les inégalités ». Pourtant selon lui seul 5% des élèves seraient perdus par leurs professeurs, minimisant ainsi son bilan de gestion de la situation et son injonction à une continuité pédagogique aussi scandaleuse sur la forme que sur le fond.

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Jean Michel Blanquer a estimé mardi qu’entre « 5 et 8% des élèves » ont été perdus par les professeurs, ne pouvant plus les joindre pour assurer la continuité pédagogique souhaitée. Le ministre n’est en à pas à son coup d’essai, tant il a montré depuis sa prise de fonction, qu’il préférait tourner les chiffres dans le sens qui lui convenait le mieux, plutôt que de se plier à la rigueur scientifique. Lorsqu’il imposait la réforme des E3C sur le baccalauréat c’est selon ses dires « seulement 0,1% » des professeurs qui s’opposaient à son projet de loi. De même, lorsque les professeurs entraient en branle contre la réforme des retraites, Blanquer donnait un pourcentage de grévistes sur un panel d’établissements , rendant alors impossible de savoir le nombre de grévistes dans l’éducation pendant la mobilisation, pourtant il s’agissait bel et bien d’un des secteurs les plus massivement mobilisés contre la réforme. Encore une fois lors des fortes mobilisations lycéennes contre les E3C, il mettait les chiffres à sa sauce, faisant tout pour minimiser l’énorme contestation qu’il avait provoquée.

Ce mardi, c’est donc une nouvelle fois, que le ministre magicien Blanquer a opéré, n’hésitant pas à nouveau, à sortir des chiffres de son chapeau. D’une part, ces chiffres ne s’appuient sur aucune rigueur scientifique, mais ils sont également particulièrement contestables. Les témoignages de nombreux de professeurs depuis le début du confinement révèlent une réalité bien différente de celle défendue par le ministre de l’éducation. Ils révèlent une continuité pédagogique imposée au mépris des multiples réalités sociales des familles. Cette sacro-sainte continuité pédagogique exacerbe en effet les inégalités de classe au sein de notre système éducatif, elle ferme les yeux sur les inégalités entre les élèves. Comment la continuité pédagogique pourrait elle ne pas les nourrir ? Suivre un cours avec un téléphone portable, ou avec une connexion wifi défaillante, relève d’une logique absurde, quand disposer d’un ordinateur à soi, d’une imprimante, ou même d’une chambre individuelle sont des biens très inégalement partagées. Les outils informatiques et ENTs buggent régulièrement, les professeurs d’écoles et directeurs sont abandonnés et font ce qu’ils peuvent et repose également beaucoup sur les parents … quand ils ne travaillent pas !

De plus, dans un système éducatif qui reproduit les inégalités, ce sont souvent les enfants de précaires qui connaissent le plus de difficultés scolaires alors ils sont d’autant plus défavorisés par cette continuité pédagogique. Car non, Mr Blanquer, les conditions d’accès à internet ou à un ordinateur personnel, ne sont pas les mêmes pour tous, l’aide que peut donner un parent à un enfant pour son travail change en fonction des familles et des réalités sociales. Selon le ministre de l’éducation, Pierre Bourdieu aurait enfermé les élèves des quartiers populaires en statut de victimes, les persuadant qu’ils ne peuvent réussir, niant l’évidence et faisant croire que la précarité s’arrête aux portes de l’école. Comment Blanquer explique-t-il encore une fois, que les difficultés de l’accès de la plateforme « l’école à la maison » viennent des familles les plus précaires ?

Sur internet les témoignages d’éducateurs ont en effet fleuri, ou ceux de parents complètement perdus : « Personne ne savait comment procéder. Pour les familles exilées, c’est compliqué. Parfois, elles ne parlent pas français. S’il y a un grand frère ou une grande sœur adolescente qui parle français, il ou elle va expliquer ce que les petits doivent faire. S’il n’y a pas de grands, cela signifie que les petits ne vont pas faire de devoir tout le temps du confinement ? Vont-ils redoubler ? »,exprime Nordy Nanger, responsable d’une association. Ou encore : « Je n’arrive pas à lui expliquer les cours. Je me sens impuissante de ne pas pouvoir faire d’autres exercices. J’ai du mal à avoir les devoirs aussi, car je n’ai pas le matériel. Comme je suis arrivée tard du Maroc, je n’ai pas le niveau et je ne sais pas quoi faire. Mon fils ne se sent pas bien, il se dit qu’il est nul » raconte Milouda, mère de famille dans l’Ariège. (interview tirés de Médiapart).

De plus au delà même des inégalités évidentes que renforce la continuité pédagogique, l’enseignement à distance est compromis par l’absence de formation donnée aux enseignants et aux élèves aux outils et modalités du travail à distance. Il a été demandé à des professeurs du jour au lendemain de pondre une continuité pédagogique et d’adapter les programmes, le rythme, la forme à l’inadaptable. Par ailleurs, il est illusoire de penser que des professeurs puissent assurer la même chose derrière leurs ordinateurs, qu’au contact de leurs classes. Aussi, en cette période de crise sanitaire qui s’accentue encore, il est fort probable que chacun doive affronter la maladie ou la maladie d’un proche. Dans ces conditions, il n’est pas possible pour un enseignant ou pour ses élèves, parents et enfants d’assurer normalement le suivi scolaire.

La continuité pédagogique c’est en réalité continuer à imposer un système de performance, à l’opposé ce dont nous avons besoin dans la période. Il serait absurde d’entrer dans une course à celui qui donnera un maximum de cours, ou à l’élève qui rendra tout ses devoirs. A la crainte de la fin du mois, de la maladie, de l’isolement, aux inégalités de confinement, ne rajoutons pas de l’inquiétude par rapport à l’apprentissage scolaire pour lequel l’inégalité est renforcée dès lors qu’il s’agit de travailler à la maison. Une politique juste serait alors d’exiger l’annulation de tous les examens, l’annulation d’une école à deux vitesses, l’annulation des notes et de la pression scolaire.

Ce que nous affirme Blanquer en minimisant l’échecs de la continuité pédagogique en réalité c’est sa volonté de maintenir une société de classe et d’inégalités. C’est son gouvernement qui a multiplié les cadeaux aux patronats, qui a forcé les salariés à se rendre au travail, malgré les risques qu’ils prenaient pour leur santé. C’est son ministère qui a imposé aux enfants de ces travailleurs précaires, de continuer les cours, de continuer à rendre des devoirs, à être évaluer, parce que pour eux dès leurs plus jeunes âges, il faut continuer à noter, à être mis en concurrence, pour aller dans des lycées, pour passer le bac ou pour aller à la fac.

Donc non, Monsieur Blanquer, ce n’est pas uniquement 5 ou 8% des vos élèves qui sont perdus par la continuité pédagogique que vous leur avait imposée, ce sont des millions de jeunes qui ne peuvent pas être aidé par leurs parents et qui n’ont pas accès aux mêmes chances ce sont des dizaines de milliers de professeurs à qui l’on demande de mal faire leur métier, de continuer à noter, évaluer et mettre en concurrence, parce qu’on leur rabâche des discours sur l’importance des diplômes et sur l’importance de continuer à faire comme si de rien n’était.

 
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