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La Izquierda Diario
4 de avril de 2020 Twitter Faceboock

#StopProductionNonEssentielle
Amazon. Des masques pour les colis, toujours pas pour les soignants
Joachim Bertin

Partout, les soignants manquent cruellement de masques et les révélations se succèdent sur les manquements graves des Etats dans leur approvisionnement. Mais Amazon, entreprise non-essentielle, a quand même les moyens d’équiper tous ses salariés, plutôt que de fermer ses entrepôts.

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Crédit-photo : LP/Nolwenn Cosson

De nombreuses entreprises s’illustrent depuis le début de la pandémie par leur mépris de la vie de leurs salariés et leur attachement, à la vie à la mort (celle des autres), pour leurs bénéfices. Certains comme Airbus jouent la carte de l’hypocrisie philanthropique en offrant gracieusement quelques millions de masques (rappelons que les besoins hebdomadaires en France sont de plus de 40 millions de masques) aux hôpitaux des pays où ils obligent les travailleurs à aller se faire contaminer sur les chaînes de montage. D’autres capitalistes, plus à l’aise avec leur inhumanité, sont plus francs avec leurs salariés, à l’image du patron de Derichebourg : « Les gens vont devoir choisir s’ils veulent mourir de faim ou du virus ». Chez PSA, on profite de l’assentiment présidentiel pour produire quelques poignées de respirateurs et continuer à sortir des voitures. Il est enfin un autre type d’entreprises, tout autant non-essentielles que les précédentes dans la période, qui développent d’autres méthodes pour tourner à plein ! Amazon fait partie de celles-ci et, dernière trouvaille en date : donner des masques à tous ses salariés dans le monde entier à partir du 3 avril, après les en avoir privé. L’entreprise va aussi effectuer des tests de température pour que les salariés qui ont de la fièvre ne viennent pas travailler (peu importe si la plupart des personnes contaminées sont des porteurs sains). Amazon nous montre encore une fois que des masques il y en a, pour tout le monde d’Airbus à Amazon mais pas pour les soignants.

A l’international, notamment aux États-Unis et en Italie, les luttes pour la santé des travailleurs se sont amplifiées depuis le début de la pandémie chez le géant de l’e-commerce qui emploie autour de 800.000 personnes sur toute la planète. Alors que les gouvernements fermaient les uns après les autres les écoles, les commerces non-essentiels et certaines usines, Amazon s’est senti investi d’une mission sacrée : faire tourner les entrepôts, vastes espaces où des milliers de travailleurs s’entassent, coûte que coûte pour… venir en aide aux personnes confinées, vous vous en doutiez. Ne lésinant pas sur les moyens, l’entreprise a même annoncé l’embauche, temporaire pour faire face à l’explosion de la demande des commandes en ligne, de 100.000 personnes supplémentaires. Pour autant, chez Amazon, on ne perd pas les bonnes habitudes. Le 30 janvier, Chris Small, un employé new-yorkais, a organisé un arrêt du travail. La sentence n’a pas traîné : licencié. L’entreprise prétexte que cet ouvrier était mis en quarantaine et s’est rendu sur son lieu de travail risquant de contaminer les autres. Ingénieux de la part d’une entreprise qui continue à faire tourner à plein son activité, qui déclare au compte-gouttes le nombre de cas, alors qu’il est certain que cela concerne, a minima, des dizaines d’employés sur chaque site.

Dans cette interview, un salarié new-yorkais, revendiquant la fermeture de son entrepôt, affirme que malgré les déclarations de la direction qui reconnaît un cas, il y en a au moins 10 !

En France, la CGT a révélé qu’un ouvrier de Brétigny-sur-Orge (91) était en réanimation, au moins trois autres personnes sont porteuses du virus sur le site. Quatre autres à Saran (45) et un à Montélimar (26).

Amazon refuse systématiquement le droit de retrait en le requalifiant en absence non-justifiée et donc non payée ce qui équivaut à mettre le couteau sous la gorge aux salariés : soit refuser de se contaminer et de transmettre le virus à ses proches, soit ne pas pouvoir payer les factures et le loyer qui ne sont pas suspendues pour les travailleurs à l’inverse des entreprises. Une véritable bataille de chiffres s’engage entre les syndicats et Amazon pour connaître l’étendue du refus de travailler. 50 % sur certains sites selon les syndicats, tout juste 20, en prenant en compte les arrêts pour garde d’enfants, selon la direction. Peu importe les chiffres, les témoignages sont unanimes et les mots les mêmes, peu importe le pays : la peur au ventre, chaque matin en allant travailler.

Quand les salariés refusent de mettre leur santé en danger pour envoyer par la poste des lunettes de toilette clignotantes, Amazon a recours massivement aux travailleurs intérimaires, ceux qui sont tellement précarisés qu’ils ne peuvent se permettre de refuser des offres d’emploi peu importe les conditions. Et quelles conditions ! Jusqu’à son retournement sous la pression médiatique, alors que le pic épidémique approche, que les hôpitaux d’Ile-de-France et du Grand-Est sont déjà saturés et que le pouvoir a de plus en plus de mal à faire entendre que ce sont les joggeurs et pas les patrons qui sont les meilleurs propagateurs du virus, Amazon ne mettait rien en place, hormis des bandes jaunes pour indiquer (pas respecter nous insistons) les distances entre les salariés.

« Manque de gel hydroalcoolique, pas de masques, pas de gants » tel est le tableau que dépeignait au Monde il y a encore quelques jours Tatiana Campagne, élue Sud-Solidaires à Lauwin-Planque (59). Les annonces en grande pompe de la fourniture de masque, alors que le pays est confiné depuis près de 20 jours, viennent simplement souligner leur absence auparavant. Face à un tel manquement aux règles de sécurité les plus élémentaires là où le virus peut être transmis par rapprochement entre les salariés mais aussi sur les supports physiques portés et déplacés toute la journée, la direction du travail a dû mettre l’entreprise en demeure. « "Absence de mesures d’organisation permettant de garantir le respect de règles de distanciation lors de la prise de poste, au niveau de la badgeuse", impossibilité de respecter les mesures barrières au "local de restauration", lors "de la manipulation des armoires-vestiaires", et sur "les lignes de production, en raison de l’absence de la désinfection régulière des postes de travail » peut-on lire dans la presse. Même pouvoir se laver les mains régulièrement est un combat chez Amazon. Une mise en demeure bien longue à venir. Le droit d’alerte posé par le CSE date du 17 mars. Combien de personnes ont pu être contaminées et en contaminer d’autres depuis ?

« Les autorités ne nous demandent pas de travailler aujourd’hui avec des masques et pourtant à partir d’aujourd’hui, dans tous les bâtiments Amazon France, les salariés seront équipés de masques à leur demande » a déclaré hier matin Frédéric Duval, directeur général d’Amazon France sur l’antenne de RTL. Amazon ajoute le scandale au scandale. En refusant de fermer ses sites, la direction du groupe assume le risque de créer des clusters à partir des entrepôts. Désormais, alors que les soignants de tout le pays réclame des masques et que le gouvernement semble bien incapable d’en trouver, Amazon va équiper ses 13.000 salariés ! « A leur demande » se permet d’ajouter le directeur, bien confiné chez lui. Non, les travailleurs ne veulent pas prendre des masques qui pourraient revenir aux soignants, c’est la ruée vers l’or d’Amazon qui les condamne à en mettre pour ne pas contaminer leurs proches.

Car une pandémie n’est pas une mauvaise affaire pour tout le monde. « Nous sommes en guerre » a martelé Macron ces dernières semaines. Et dans quelques mesures cela pourrait être vrai. Aujourd’hui comme en temps de guerre, il y a ceux qui s’enrichissent de la mort, de la misère et de la peur. Il y a eu les marchands de canons (Schneider Electrics, présent dans le consortium annoncé par Macron pour produire des respirateurs, fait partie de ces noms illustres) et les profiteurs de guerre, qui se sont remplis les poches avec la production de ce qui vidait le sang des ouvriers et des paysans de l’Europe entière. Il y a aujourd’hui Amazon qui, alors que le monde fait face à une crise multiforme (sanitaire, économique, sociale avec le chômage de masse qui pointe dans de nombreux pays) que les travailleurs et les classes populaires seront sommés de payer, explose ses bénéfices ! Reporterre rapporte que l’action Amazon s’est envolée de 12 % à la mi-mars. Depuis le début de la pandémie, la fortune personnelle de Jeff Bezos, le propriétaire d’Amazon, a augmenté de près de 6 milliards de dollars pour être porté aux alentours de 120 milliards de dollars. Une occasion de faire exploser ses profits à ne manquer sous aucun prétexte et qui justifie la campagne de communication que lance Amazon pour se faire passer pour une entreprise essentielle aux populations confinées. Le groupe prétend avoir limité ou du moins retardé les commandes non-essentielles et se concentrer sur de la livraison de nourriture, de produits d’entretien. L’onglet AmazonBasics se propose même de mettre en avant des objets du quotidien dont on ne pourrait se passer et qui expliquerait l’ouverture des entrepôts. Parmi cette sélection nous relevons notamment la présence de valises pour les voyageurs pressés en ces temps de pandémie mondiale et de fermeture des frontières. Mais au final, on trouve de tout sur Amazon. L’auteur de ces lignes s’est dévoué à faire la recherche, et à aller jusqu’à la phase de commande pour des produits aussi divers qu’un GPS, un nain de jardin, des chaînes à neige pour pneus ou encore un barbecue qui lui auraient été livré sous 14 jours au plus tard… C’est pour cela qu’Amazon oblige ses salariés à venir travailler et monopolise des masques.

Tout cela commençait à faire beaucoup au moment où la tension dans de nombreuses entreprises s’accroît alors que des hauts cadres en télétravail veulent faire retourner les ouvriers au travail. C’est ce que relève, aussi chez Amazon , auprès du Monde un délégué CGT : « En tout cas, certains deviennent plus radicaux : on voit des profils qui faisaient du zèle se mettre à haïr l’entreprise ». Le mépris de classe affiché par la direction d’Amazon qui s’est caché derrière les recommandations officielles du Ministère du Travail quant au port de masque ou aux distances de sécurité : l’entreprise est allé jusqu’à jouer le bon élève en augmentant officiellement la distance de sécurité à deux mètres (contre un officiellement, nous vous renvoyons aux images de France 2 partagées dans cet article pour vous assurer des distances). Là encore la charité patronale a ses limites, l’OMS estime aujourd’hui que le virus peut se transmettre jusqu’à huit mètres de distance ! Pour conserver son image, à l’heure où un mot d’ordre comme #StopProductionNonEssentielle rencontre un écho important, et où les appels au secours des soignants se font plus urgents, Amazon a été obligé de faire un bel écran de fumée avec ses masques et ses thermomètres.

A l’image des transports, la livraison à domicile recouvre des activités très différentes. Utiles pour les personnes âgées et les personnes les plus vulnérables faces au virus et pour quelques biens de première nécessité seulement, cette activité doit être dans sa grande majorité tout simplement stoppée pour enrayer la progression du virus et sauver des vies. Les syndicalistes de l’entreprise alertent depuis plus de quinze jours sur le danger grave qui menace les salariés. Comme nous l’avons revendiqué pour les transports publics, il est urgent que les salariés prennent leur sécurité en main, par le biais de commissions d’hygiène avec droit de regard, de contrôle et de veto sur tout ce qui touche à l’activité dans l’entreprise. Ceci pour le bien de l’ensemble de la population. Un jour peut-être jugerons-nous chaque euro gagné par Amazon, au regard du nombre de vies que cela aura coûté, nous n’oublierons rien.

 
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