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7 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Bac 2020
« Le moins pire serait de donner le bac à tous », témoignage d’une lycéenne

Oriane, en terminale au lycée Vaugelas de Chambéry, exprime son avis autour du maintien du baccalauréat, sous les modalités du contrôle continu. Elle témoigne également autour de son quotidien d’élève confinée, les difficultés à l’égard de la « continuité pédagogique », et plus généralement de sa vision du système scolaire.

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Crédits photos : Crédit : MARTIN BUREAU / AFP

Révolution Permanente : Blanquer a annoncé que le bac serait maintenu, mais en contrôle continu. Qu’en penses-tu ?

Oriane : Ce que je pense, c’est que dans les deux cas, qu’on le passe en contrôle terminal ou continu, c’est un peu la merde. Si le contrôle terminal était maintenu, beaucoup d’élèves se seront ramassés. Avec les grèves qu’il y a eu au cours de l’année, aujourd’hui le confinement, nous n’avons pas vu l’ensemble du programme. Cela aurait été donc compliqué de donner les mêmes épreuves à tout le monde puisque nous voyons pas les différentes parties du programme en même temps au cours de l’année selon les lycée. Cela aurait donc été dur d’harmoniser une épreuve nationale dans ce contexte. Puis nous sommes en période de confinement et réviser chez soi c’est très difficile pour beaucoup d’élèves. Ça aurait été inégalitaire.

Mais le maintenir, sous forme de contrôle continu, c’est très compliqué pour nous aussi. On nous annonce du jour au lendemain que le passage du bac change totalement de modalités. Certains élèves misent tout sur la fin de l’année et l’épreuve terminale. Par exemple, je connais pleins de lycéens qui, aujourd’hui, ne devraient techniquement pas avoir leur bac, parce qu’ils 8,9 de moyenne, mais qu’ils l’auront probablement eu lors des épreuves terminales. En révisant beaucoup avant. De plus, ce qui pose problème pour moi avec ce contrôle continu, c’est que notre année a été ponctuée par plusieurs grèves, notamment autour des E3C, contre les retraites... Dans certains lycées il y a donc des élèves qui n’ont pas eu cours pendant deux mois non stop, et qui n’ont pas de moyenne générale dans certaines matières. Ou des moyennes formées avec une seule note... Je ne sais pas comment ça va se passer dans ces cas là.

Pour finir, le problème avec le contrôle continu, c’est que le bac ne vaudra pas le même selon les lycées. C’est en partie ce qu’on dénonce d’ailleurs avec le nouveau bac et les E3C. Par exemple, on dit que les lycées ne notent pas de la même manière. C’est vrai. Mais si un élève de banlieue a 15 de moyenne général au bac continu, contre 14 pour un élève de centre ville ou de lycée impérial. On va prendre l’élève du lycée impérial.

Personnellement, je pense que c’est le système en entier de l’éducation national qui ne fonctionne pas bien. Il faut le remettre en question profondément. On essaye toujours de trouver la solution la « moins pire », alors qu’il y a des inégalités etc... Encore aujourd’hui, en changeant les modalités du bac avec la mise en place du contrôle continu, ils cherchent à trouver la solution la moins pire. Mais ce n’est pas le cas. Selon moi, avec cette année là, la solution la moins pire c’est de donner le bac à tout le monde.

RP : Comment vis-tu cette situation de double stress, d’un côté une pandémie mondiale et de l’autre, une volonté de maintenir quasi à l’identique une normalité côté éducation ?

Oriane : C’est une expérience inédite. Nous n’avons jamais été confronté à ça auparavant. Dans cette période particulière, au lieu de nous laisser profiter de notre famille, ou bien lire, on nous fait suivre des cours par vidéo, on nous demande de rattraper les cours que nous ne pouvons avoir en présentiel, on nous donne des devoirs à rendre... Mais ce n’est pas du tout adapté. Je pense que les profs ne se rendent pas compte de la charge travail, entre les cours par visio conférence, les heures qu’on doit passer sur les devoirs à rendre. Je crois que des fois ils pensent que ça va nous prendre 2h à faire tel devoir, alors que ça nous prends au moins le double. Pour nous, les terminales, nous avions aussi le dossier pour l’oral du bac à préparer, qui prend beaucoup de temps. On sait pas trop si nous devons encore le faire du coup. Peut être qu’ils vont quand même nous noter dessus pour le contrôle continu du 3ème semestre.

Je pense également que lorsque l’on va retourner au lycée, nous aurons pleins de contrôles. Personnellement je ne suis pas de nature stressée, mais pleins de lycéens ne comprennent pas comment ça va se passer concrètement ce bac en contrôle continu. Est ce qu’ils doivent continuer à faire des fiches et réviser ? Typiquement, ils disent que les 3 trimestres seront comptés, mais nous devrions pas être notés sur ce qu’on a vu pendant le confinement. Mais là on est notés par les profs. En plus, lors du retour au lycée je me dis que c’est possible qu’on ait des contrôles sur ce qu’on a vu en période de confinement.Or ils ne prennent pas du tout en compte les élèves qui ont un seul ordi à se partager à 5 chez eux ; avec des parents en télétravail etc... Les conditions ne sont pas les mêmes selon les élèves. Certains stressent et bossent deux fois plus. Ils se lèvent à 8h et travaillent 8h par jour...

RP : Blanquer parle d’évaluer l’assiduité, qu’est ce que tu en penses ?

Oriane Ce n’est pas juste du tout. D’autant plus parce que cette période d’assiduité inclus le moment du confinement. Et on ne prends donc pas du tout en compte le fait que les élèves n’ont pas la même réalité. On ne prends pas en compte les élèves en difficulté. On dit souvent qu’on doit aider les élèves en difficulté, que du fait de certains contextes familiaux c’est plus difficile d’apprendre, mais en réalité on ne les prends pas en compte. Quand on n’a pas vécu de situation de précarité, on ne se rend pas compte. Il y a des contextes très compliqués. Ma mère est prof et a beaucoup de mal à maintenir la continuité pédagogique. Elle ne peut pas car elle a pleins d’élèves qui ont pas ou peu d’ordinateurs, avec des parents qui télé travaillent...

RP : Ton quotidien de « continuité pédagogique », il ressemble à quoi ?

Oriane J’ai du mal à travailler. Donc je ne travaille pas. Si j’ai pas les profs derrière moi, je n’ai aucune motivation. Puis je ne suis pas dans un environnement de travail avec ma petite sœur. Et l’ENT beug tout le temps. Du coup je me décourage. Car quand on se motive un peu, ça beug...

RP : Selon toi il est possible d’arriver armé pour un hypothétique troisième semestre ?

Oriane Non, bien sûr que non. Comme je te disais, tous les élèves n’ont pas les moyens de bosser chez eux. Pour eux ça va être donc horrible de reprendre et de bosser directement.

RP : Comment vis-tu ton rapport à l’apprentissage ? Est ce que tu aimes apprendre ?

Oriane : Nous avons la chance d’être dans un pays où l’école, l’université sont techniquement "gratuites" pour tous, mais il n’y a selon moi pas assez de moyens qui sont mis dedans. On n’investit pas du tout dedans. Les universités sont dans des conditions déplorables, au lycée on est 35 par classe, et donc les profs ne peuvent pas prendre le temps de s’occuper de nous individuellement.

On dit forger les esprits de demain mais on laisse plus de 60% des étudiants, selon certains sondages cela monte jusqu’à 73%, dans la précarité et on trouve ça normal que les étudiants doivent avoir un travail en parallèle pour avoir la chance de manger des pâtes tous les soirs.

Sinon, concernant ma propre situation, j’apprécie énormément aller en cours, les thèmes abordés en classe sont souvent très intéressant et si on a la chance de tomber sur un prof investis, qui fait son métier par passion alors c’est génial.

J’aime beaucoup apprendre. Mais le problème, c’est que plus de 50% des choses que je connais ou apprend et bien c’est en dehors des cours. On devrait avoir la possibilité de se cultiver dans plusieurs thèmes différents et pas que la littérature, les sciences ou l’économie.

RP :Comment aimerais-tu le vivre ?

Oriane : Différemment, ça c’est sûr. Il faudrait que le nombre d’élèves par classe soit moins important, qu’on ait des profs mieux payés, qui travaillent moins et auraient davantage le temps de préparer leurs cours, de corriger nos copies et aussi de tout simplement profiter de la vie. Pour avoir une maman prof chez moi, je peux vous dire qu’elle travaille tout le temps entre les corrections et les cours à préparer.. Elle ne s’arrête jamais !

De plus, ça peut sembler utopique, mais je ne comprends pas le principe de chaises et de tables. On reste assis à écouter quelqu’un parler de 8h à 18h, on se construit en retenant des choses et en notant au lieu d’aller dans la cours quand il fait beau, dans un musée quand on parle d’un artiste, à la bibliothèque quand on cherche les artistes d’une époque. On a pas cette chance de pouvoir « vivre » nos cours à fond. On est enfermé toute la journée et je trouve ça totalement absurde. L’éducation c’est important oui mais on passe la majeure partie de notre temps dans une salle sombre à écouter quelqu’un parler. On aimerait plus apprendre si on pensait l’éducation autrement je pense, on pourrait développer un esprit critique, notre imagination et on exploiterait bien plus notre immense et passionnant cerveau.

 
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