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La Izquierda Diario
6 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Marché de la mort : Airbus se prépare à gagner des parts de marché de Boeing sur la santé des travailleurs
Georges Camac

Alors que la direction d’Airbus a ordonné la reprise du travail à marche forcée depuis deux semaines, de nouveaux éclairages viennent mettre en lumière le duel mortifère que se livrent les deux géants de l’aéronautique sur fond de coronavirus, et sur le dos des travailleurs de l’entreprise.

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Chez Airbus et ses sous-traitants, le travail a bien repris depuis le démarrage de la production initié le 23 mars, et des salariés de plus en plus nombreux reviennent dans les usines sous couvert de « volontariat ». Il s’agit d’une politique criminelle de la part de la direction du groupe aéronautique qui menace la vie des presque 200.000 milles employés de l’aéronautique en France, mais plus largement de toute la population car cela a pour effet de maintenir les chaînes de contamination du virus. Un constat d’autant plus vrai que la direction d’Airbus a réquisitionné une partie des masques d’un soi-disant « convoi humanitaire » qu’elle avait organisé pour continuer la production dans ses usines, alors que le besoin de masques dans les hôpitaux est une nécessité absolue.

De nouveaux éclairages économiques publiés ces derniers jours viennent éclairer l’un des ressorts de cette reprise à marche forcée : en plus de garantir à tout prix les profits des capitalistes, il s’agirait pour la direction d’Airbus de tenter de gagner des parts de marché de Boeing.

La fin des carnets de commande trop pleins ?

Janvier 2020. Les dirigeants et les actionnaires d’Airbus sont aux anges. Ils viennent de conclure une année pleine de contrats, après avoir vendu près de 800 avions en 2019. Résultat : ils s’apprêtent à verser 1,8 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, soit une somme de 1,8 €/action, en hausse de 9% comparé à l’exercice 2018. Côté Boeing, principal concurrent, on n’est pas en reste. Malgré le scandale du 737 MAX, l’action du groupe américain continue d’afficher un cours solide en bourse. Tous les voyants sont au vert pour les deux groupes aéronautiques, en raison de la hausse programmée du trafic aérien : l’IATA prévoit un doublement du trafic d’ici 20 ans. Le problème alors n’est pas tant les commandes, mais la manière de les honorer. Il faut alors en moyenne entre 4 et 5, et jusqu’à 7 ans, ans entre la commande et la livraison d’un avion.

Mais ça c’était hier, avant que la réalité du coronavirus ne vienne s’imposer face au déni du grand patronat européen et américain. Depuis la fin du mois de mars, les actions des deux groupes s’effondrent en bourse, au point d’évoquer la possibilité d’une nationalisation de Boeing outre-Atlantique. La raison ne tient pas tant à l’arrêt momentané du trafic aérien mais aux prévisions de trafic futures qui ont été d’un seul coup revues à la baisse. En effet, en l’absence de vaccin ou de remède, il est probable que les frontières restent fermées ou restreintes entre les différents pays durant de nombreux mois.

Selon Alexandre de Juniac, directeur général de l’association internationale du transport aérien (IATA), « aucune compagnie aérienne ne va acheter d’avions au cours des six ou neufs prochains mois », soit jusqu’à la fin de l’année et selon DZ Bank, un courtier, le trafic mondial ne reprendra pas normalement avant la mi-2021. De plus, la grave crise économique qui se profile risque d’impacter fortement la demande mondiale, en restreignant les capacités financières des particuliers pour voyager, et ce sans compter les faillites probables de certaines compagnies aériennes. D’ores et déjà, des premières annulations de commande se font jour, à l’image du loueur d’avions Avolon qui a annulé une commande de 75 Boeing 737 MAX ou les pressions du fondateur d’Easyjet met la pression pour annuler une commande de 107 avions auprès d’Airbus.

Si cette tendance venait à se confirmer, ce que de plus en plus d’analystes tendent à penser, cette situation pourrait impacter fortement le changement de l’aéronautique et bousculer le statu-quo qui existait entre Airbus et Boeing. Les deux géants de l’aéronautique sont les deux seuls constructeurs à l’échelle mondiale d’avions commerciaux de plus de 150 places pour quelque 180 compagnies aériennes, avec des parts de marché en commandes ou livraisons variant dans le temps, mais très proches l’une de l’autre. Cette situation de duopole, avec des carnets de commande remplis, empêchaient jusqu’ici la possibilité d’une concurrence entre les deux groupes, car si le carnet de commandes d’une des compagnies se remplissaient trop, le délai d’attente deviendrait encore plus important, jusqu’à devenir rédhibitoire. De ce point de vue, une baisse des carnets de commandes pourrait ouvrir une nouvelle situation où un concurrent pourrait commencer à reprendre des acheteurs à l’autre.

Avec Boeing en grande difficulté, la direction d’Airbus force pour reprendre le travail

De ce point de vue, l’avantage est pour l’instant clairement en faveur d’Airbus. En effet, outre-Atlantique, Boeing est en train d’être très durement frappé par la crise du coronavirus. Le groupe est « au bord du précipice », selon le milliardaire américain Bill Ackman, une des voix les plus influentes de la finance américaine, et les possibilités d’un renflouement massif voire d’une nationalisation de la firme sont de plus en plus probables. Cela d’autant plus que le géant de l’aéronautique avait déjà pris du plomb dans l’aile avec l’affaire du 737 MAX. Les défauts de conception de ce modèle avaient causé 86 incidents et la mort de 257 personnes, un scandale digne du DieselGate de Wolkswagen qui a fortement entaché la crédibilité du groupe, et qui est loin d’être finie.

C’est dans ce contexte qu’Airbus a ordonné la reprise du travail dans ses usines et chez ses sous-traitants, et le nombre de « volontaires » est en augmentation constante, notamment parce que ceux-ci ne sont indemnisés qu’à 84% du salaire net en période de chômage partiel. La direction du groupe espère par cette continuité de la production donner le signal qu’elle est toujours capable de produire pour limiter les pertes, mais aussi prévenir toute annulation de commande en forçant les livraisons et en espérant pouvoir devancer le concurrent américain. D’autant plus que la direction de Boeing a été forcée d’arrêter ses activités dans l’État de Washington, en raison des mesures de confinement prises par les autorités, depuis le 23 mars et a reconduit cet arrêt de la production « jusqu’à nouvel ordre » ce dimanche. Selon le Seattle Times=, l’entreprise compterait 70 000 employés dans cet État, dont environ 36 000 à l’usine d’Everett en banlieue de Seattle. En France, le gouvernement a donné son aval –et même insisté- pour faire reprendre la production, au mépris de la vie des travailleurs, de leur famille et de l’ensemble de la population.

La vie des ouvriers ne peut être sacrifiée au profit de la compétition entre capitalistes

Ces nouvelles données viennent mettre en lumière la rapacité des grands groupes industriels ainsi que l’absurdité du système capitaliste qui sert leurs profits. Alors que l’humanité est confrontée à une très grave crise sanitaire, la direction d’Airbus ne cherche qu’à ménager ses profits, et même à préparer la conquête d’éventuels nouveaux futurs marchés, au mépris de la santé et de la vie de millions de travailleurs. D’autant plus que les mesures sanitaires mises en place par Airbus, qui sont déjà limitées, risquent de devenir totalement dérisoires si la reprise du travail se généralise dans les semaines à venir.

Cette politique de compétition entre les capitalistes se fait, une fois n’est pas coutume, sur le dos des travailleurs, sur leur santé mais aussi sur leurs salaires et leurs emplois. Et on aurait tort de croire que l’apparente meilleure santé d’Airbus relativement à Boeing épargnera les travailleurs du groupe. Selon Reuters, la direction du groupe européen pourrait décider en avril de réduire drastiquement la production de l’A320 en prévision de la réduction de commandes à venir et selon le Financial Times, que l’avionneur européen pourrait également décider de réduire la cadence de production de l’A350 et de l’A330.

Pour que la vie des ouvriers ne soient pas sacrifiés sur les profits et la compétition des capitalistes, il faudra une mobilisation forte des travailleurs. Courant mars déjà, c’est sous pression des salariés d’Airbus et de certains syndicats que l’entreprise avait dû fermer les usines, et avait dû aménager la reprise du travail à marche forcée pour limiter les risques de contamination. Une mobilisation qui doit continuer, pour mettre un coup d’arrêt à la réouverture des usines car, comme le disait la coordination des syndicats qui se mobilisaient fin mars contre le redémarrage des usines voulu par Airbus : « quand tout va bien, on ne peut pas partager les richesses ; quand tout va mal, il faut produire ces richesses  ».

Photo de couverture : Aérodrome d’une usine Boeing à Renton, Washington.

 
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