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La Izquierda Diario
8 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Piraterie des états impérialistes
Derrière la « guerre des masques », des millions de vies directement menacées
Cécile Manchette

Pris de la peur d’une pénurie de matériel médical liée à leur impréparation totale et à la destruction systématique du service public de santé, les principales puissances mondiales se sont jetées dans une "guerre des masques" qui ne fait que commencer.

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Aujourd’hui c’est dans l’urgence, l’anarchie la plus complète et une concurrence acharnée que chaque Etat cherche à se procurer à tout prix ce matériel quitte à emprunter des méthodes de « pirates ». Cette « guerre » pour du matériel médical à l’échelle internationale, mais aussi à l’intérieur des frontières de chaque Etat, met à jour la véritable nature du système capitaliste.

Une ruée mondiale vers le matériel médical, l’exacerbation de la concurrence entre les Etats

Le scandale des masques en France est l’un des exemples qui révèle comment la logique du profit propre au système capitaliste a conduit le gouvernement à se « désarmer », à désarmer l’ensemble de la population, pour faire face à une pandémie comme le Covid 19 sur laquelle les scientifiques ont alerté depuis plus d’une décennie.

Aujourd’hui, la France et l’ensemble des Etats impérialistes touchés par le virus, sont donc confrontés à un manque criant de matériel médical (masques, respirateurs, gants, blouses) qui est pourtant central pour affronter l’épidémie. Des pénuries de matériels et de stocks qui ont conduit les principales puissances mondiales à compenser ce manque par des mesures de confinement, la fermeture des frontières ou encore une politique répressive de contrôle des déplacements.

Alors que l’épidémie continue de se répandre et qu’une deuxième vague est de plus en plus probable, les pays « centraux » en Europe, réfléchissent activement, sans l’avouer, au « déconfinement » qu’ils espèrent pouvoir mettre en place le plus rapidement possible pour relancer l’économie. Or, pour pouvoir faire cela tout en montrant qu’ils garantissent la sécurité sanitaire, les gouvernements envisagent d’équiper toute la population de masques. Pour cela, encore faut-il en avoir.

Telle est l’origine de la guerre des masques (et du matériel médical) actuelle que se mènent les Etats impérialistes entre eux, tous étant largement dépendants de la Chine, principal producteur de masques. La Chine a exporté jusqu’à aujourd’hui 4 milliards de masques et vend au plus offrant. Comme la demande est largement supérieure à l’offre, les prix des masques en provenance de Chine a explosé et le contrôle de la qualité des masques devient difficile à garantir.

Une bataille s’est donc ouverte entre les Etats pour bénéficier prioritairement des masques. A la tête de l’entreprise de piraterie moderne, il y aurait les Etats-Unis accusés de consort par d’autres pays dont la France, l’Allemagne et le Canada, de détourner des cargaisons moyennant une offre plus élevée. Du côté de l’outre Rhin, le ministre de l’intérieur de Berlin, Andreas Geisel accuse ainsi les Etats Unis d’avoir détourné à Bangkok un stock de 200 000 masques destiné initialement à la police de Berlin. Mais les Etats-Unis ne sont pas les seuls à se livrer à de tels actes d’escroquerie. La France n’est pas en reste et s’est retrouvée au cœur d’un litige avec la Suède après avoir réquisitionné le 5 mars un stock de 4 millions de masques d’une entreprise suédoise dont une partie devait être redistribuée à l’Italie et à l’Espagne. Dans ce cadre, il est également important de souligner que si les principales puissances mondiales se livrent une guerre à mort, la situation est d’autant plus dramatique pour les pays « semi-coloniaux », qui ne peuvent ne serait-ce que tirer leur épingle du jeu dans ce jeu de concurrence. L’exemple équatorien, où les cadavres s’entassent dans les rues des villes alors que nous ne sommes qu’aux prémisses de la crise sanitaire en Amérique Latine, est en soi illustratif de l’horreur qui guette les pays semi-coloniaux.

Au niveau national aussi, le règne de l’anarchie et des marchés parallèles

Le manque de matériel médical à l’échelle de chaque nation exacerbe la guerre sans pitié que chaque pays, et surtout les pays « centraux », sont prêts à mener contre les autres. Afin de « sauver leur peau » économiquement et politiquement, les gouvernements recourent à ces techniques évoquées précédemment qui, orchestrées par d’autres seraient directement assimilées à du grand banditisme, ainsi qu’à des politiques protectionnistes et nationalistes.

Le dernier exemple en date est la décision de Trump d’interdire 3M, un conglomérat américain qui a des sites de production à l’échelle internationale, d’exporter des respirateurs et des masques vers le Canada et l’Amérique latine. Après que la décision unilatérale de Trump ait provoquée un certain nombre de remous, le président américain a obtenu de 3M la livraison de 166,5 millions de masques en échange de la levée des sanctions.

Cette « guerre » menée à l’échelle internationale a une traduction au niveau des Etats au sein desquels se développent, face au manque de matériel, l’anarchie, la concurrence ou encore le développement de marchés parallèles et frauduleux.
En France, des tensions commencent à émerger au niveau des régions qui ne voient pas les stocks commandés arrivés, accusent l’Etat de réquisitionner les stocks de masques qui arrivent de la Chine et de ne pas les répartir équitablement entre les régions. Une situation qui favorise le développement de recours à des marchés parallèles ou à des vols comme on a pu le voir à plusieurs reprises. La situation aux Etats-Unis est encore plus parlante de l’état de crise que rencontre les puissances mondiales à l’intérieur de leurs frontières. Etant donné que le stock du gouvernement fédéral est limité, les états américains sont livrés à eux-mêmes. Un article d’Associated Press décrit la guerre concurrentielle qui s’est ouverte entre les états qui cherchent de l’aide du côté des entreprises privées et de « bienfaiteurs » milliardaires. En plus de la concurrence entre le gouvernement fédéral et les états, celle entre les états eux-mêmes, vient s’ajouter aussi celles des états avec leurs établissements hospitaliers qui essaient de s’approvisionner via leurs propres canaux.

Une situation qui favorise l’explosion des prix du matériel, des marchés frauduleux et approfondit les inégalités entre les états les plus riches et les plus pauvres.
Un tel tableau dans les « puissances » mondiales, les pays dits « avancés », laisse entrevoir la situation actuelle ou vers ce quoi elle pourrait s’acheminer dans les pays dits périphériques. Quel pays va pouvoir rivaliser avec les Etats-Unis sur le marché des masques produits en Chine ? Que se passerait-t-il si les Etats-Unis arrêtaient réellement l’exportation de leur matériel vers l’Amérique Latine ? Un incident s’est déjà produit ces derniers jours suite au détournement par les Etats-Unis d’une commande de 600 ventilateurs faite par des états pauvres du nord-est du Brésil à la Chine.

Une « guerre » néfaste pour résoudre la crise sanitaire qui pourrait mener à bien pire encore

Nul doute que la logique concurrentielle et d’accaparement qui régit la course au matériel médical est néfaste pour résoudre la crise sanitaire. Comment est-ce possible qu’avec les capacités de production actuelles un pays comme la France manque de masques ? Comment expliquer que les gouvernements soient en un claquement de doigts capables d’aider et de renflouer les grandes entreprises et les banques mais incapables de réorienter la production rapidement pour produire du matériel sanitaire ? Car ces gouvernements sont arrimés à leur seule boussole, celle de maintenir l’économie capitaliste, et qui plus est leur économie nationale quitte à rentrer en « guerre » avec les alliés de circonstance d’hier et à écraser sans hésitation ceux habituellement dominés.
La « guerre » des masques n’est pas l’unique guerre qui se mène en ce moment mais fait partie d’un ensemble de guerres, actuelles, comme celle déjà en cours pour l’obtention du vaccin, ou à venir si d’autres phénomènes de pénuries éclataient, pour des médicaments, des denrées alimentaires. Des guerres « commerciales » qui pourraient se transformer possiblement en conflits militaires.

« Il est remarquable de constater que la pandémie devient de plus en plus clairement le territoire presque explicite d’une telle hostilité dans lequel le confinement du coronavirus et le sauvetage de vies humaines apparaissent comme une condition de la démonstration de la puissance des États » écrit Paula Bach. Elle poursuit plus loin au sujet de la lutte pour le vaccin contre le CoVid 19 : « la lutte pour la paternité du vaccin qui implique principalement les États-Unis, la Chine et l’Allemagne devient, dans ce contexte, une redéfinition de la bataille pour la technologie de pointe qui a initialement émergé sous la forme déformée de la "guerre commerciale". Comme l’indique un article du New York Times, une course aux armements mondiale pour un vaccin contre le coronavirus est en cours. Le document note que ce qui a commencé comme une question de savoir qui obtiendrait les éloges scientifiques, les brevets et les revenus d’un vaccin efficace devient soudainement une question de sécurité nationale ».

Derrière la question de l’obtenteur du vaccin, il y a donc celle de qui se retrouvera dans une position avantageuse pour affronter les conséquences économiques, avec une récession mondiale déjà amorcée, et géostratégiques de la crise. Les Etats comme la France ou les Etats-Unis pour faire face à leurs difficultés internes tant économiques que politiques et sociales, accompagnent donc leur repli national et leurs opérations de « piraterie », d’opérations militaires vers l’extérieur et principalement vers les pays et les zones qu’ils dominent et colonisent encore aujourd’hui. A ce titre, l’opération résilience annoncée par le gouvernement lui permet ainsi, au prétexte de la lutte contre le CoVid 19, de redéployer l’armée en Outre-Mer, qui pourtant, comme l’a souligné Elie Domota, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), dans une interview donnée à Révolution Permanente, n’a pas besoin d’un «  bateau de guerre  » mais « de masques, de respirateurs, de médecins, d’infirmiers, de tests et de médicaments ! ».

Dans ce paysage complexe et incertain, une chose est sûre, « ceux d’en bas » découvrent à la lumière de la crise les multiples facettes de leur propre gouvernement et ceux des autres, leur impréparation, irresponsabilité, et amateurisme dans la gestion de la crise, mais aussi leurs mensonges, magouilles, violences, et in fine leur visage inhumain et barbare.

Contre la concurrence irraisonnée entre les bourgeoisies nationales, un nationalisme égoïste et vil, le sacrifice de la vie de milliers de personnes au nom du maintien de l’économie, l’exploitation accélérée de milliers de personnes dans des conditions de travail dégradées, il est possible que « ceux d’en bas » y opposent leur internationalisme, une solidarité de classe, et démontrent que la classe ouvrière, pour le bien de la majorité de l’humanité, est la véritable classe « avancée », quel que soit leur pays, à même de porter un plan d’urgence pour lutter contre la crise sanitaire et plus largement pour poser la question de la remise en cause du système capitaliste.

 
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