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La Izquierda Diario
10 de avril de 2020 Twitter Faceboock

#StopProductionNonEssentielle
Déconfinement, immunité collective : des éditorialistes prêts à « accepter les morts qui vont avec »
Mahdi Adi

Avec 12.210 morts et 86.334 cas de coronavirus détecté, le bilan provisoire de l’épidémie est dramatique. Mais il se double également d’un risque de dépression économique, face auquel éditorialistes et économistes n’ont qu’un mot à la bouche : « le déconfinement » pour relancer l’économie, en jouant au passage avec la vie des travailleurs et de tout une partie de la population.

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Des personnes traversent une rue de Paris, le 26 mars 2020, pendant le confinement instauré en France pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Crédit Photo : AFP/ARCHIVES - STEPHANE DE SAKUTIN

Faute de place dans les hôpitaux et de moyens dans la recherche, le gouvernement avait dû mettre en place des mesures de confinement depuis le 17 mars dernier. Depuis, l’INSEE rapporte une chute de l’activité économique estimée à 35%, qui ouvre la voie à la crise économique la plus importante depuis 1945. Pour continuer à accumuler des profits, dans les entreprises comme à PSA, Airbus, ou Amazon, le patronat veut maintenir la production pourtant non essentielle à la lutte contre la pandémie, en faisant pression sur les ouvriers pour les obliger à retourner au travail quitte à les exposer, eux et la population, à la propagation de l’épidémie. Non sans avoir eu le feu vert du gouvernement, avec la mise en place une prime défiscalisée à hauteur de 2.000€ pour inciter les salariés à reprendre le travail.

Dans le sillage de la loi d’urgence sanitaire et des ordonnances qui ont suivi, le gouvernement a ainsi mis en place plusieurs dispositions pour amortir les pertes du grand patronat, à l’image de la possibilité émise par Bruno Lemaire de nationaliser temporairement et avec rachat les grandes entreprises impactées par la baisse de leur carnet de commande, ou du dispositif de chômage partiel qui concerne aujourd’hui « près de 6 millions de salariés » et « a un coût collectif considérable » selon les dires d’Edouard Philippe qui a prévenu que « l’impact économique est massif, très négatif, brutal. Et il va susciter en France et partout dans le monde un choc économique que chacun imagine mais dont personne ne connaît encore la totalité de l’impact. »

Tous les spécialistes s’entendent donc pour dire que c’est vers une crise économique d’une ampleur nettement supérieur à celle de 2008, se rapprochant plus de celle qui avait succédé à la Grande dépression de 1929, que nous nous dirigeons.

Déconfiner pour « reprendre l’activité », la préoccupation première du grand patronat...

Après avoir introduit la semaine dernière en plein pic de l’épidémie, la question du « déconfinement général et absolu », le Premier Ministre a rétropédalé ce mardi à l’Assemblée Nationale,en affirmant que ce ne sera « pas pour demain » et que « l’impératif c’est de faire en sorte que le confinement fonctionne, que le virus circule suffisamment lentement pour que le nombre de cas sévères qui justifie l’admission dans les services de réanimation ne soit pas supérieur à la capacité globale de notre système hospitalier. »

En réalité, ce recul dans le discours, bien plus qu’une erreur de discours du gouvernement illustre les contradictions que traversent les classes dominantes face aux conséquences encore inconnues de la crise sanitaire dont la longévité actuelle fait planer des risques systémiques pour l’économie française, notamment les intérêts stratégiques du grand capital français. En ce sens, rien de plus illustratif que les débats ouverts par des éditorialistes, chercheurs, dont les écrits dévoilent, de manière crue et sans le verbiage politique auquel est contraint la classe politique, les préoccupations profondes que partagent en définitive le gouvernement au service du grand patronat.

Dans un article publié par Les Echos, Eric Le Boucher, qui publie dans un article titré « Il faut sortir la France du confinement » dans lequel il affirme : « La médecine n’a pas de magie contre les épidémies, faute d’avoir investi assez. La préservation de la vie est un principe sacré, mais le retour au travail et la défense des libertés individuelles, qui fit tant de morts, représentent aussi une valeur humaine. » Commençant par faire le bilan du montant colossal des plans de sauvetage mis en place par les Etats, « grosso modo dix fois ce qui a été dépensé lors de la crise financière de 2008 : plus de 20 % du PIB en Italie et en Allemagne, 17 % en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, 14 % en France, 10 % au Japon », l’éditorialiste conclut sur la nécessité, en l’absence de vaccin, d’en passer par la stratégie de « l’immunité collective, c’est-à-dire l’extinction naturelle du virus quand il n’a plus assez de victimes à infester, ce qui arrive dès que 60 ou 70 % d’une population l’a eu et a développé des anticorps. »

… Avec des conséquences sanitaires désastreuses pour la majorité de la population

Le journal scientifique Science et Vie Avenir explique ainsi le principe de l’immunité de groupe :

« Le principe de l’immunité de groupe est que le nombre d’immunisés dans la population va ralentir la diffusion du virus au point de pouvoir offrir une protection "de groupe" à d’autres non immunisés. En effet, il n’est pas nécessaire d’avoir 100% d’une population vaccinée contre une maladie pour empêcher la circulation de cette maladie. C’est plus sûr bien entendu, mais en santé publique, un seuil d’immunité de groupe est calculé en fonction du R0 d’une maladie, soit le nombre moyen qu’une personne infectée contamine. Plus le R0 est élevé plus il est nécessaire d’avoir un grand nombre de personnes immunisées. Pour la rougeole (R0 = 15 à 17), ce seuil est d’environ 90%, mais pour la grippe (R0 = 2 à 3, similaire à Covid), il serait plutôt de 75%. »

La stratégie de l’immunité collective suppose donc qu’entre 60 et 75% de la population ait été contaminé au moins une fois. Or selon une enquête menée par le syndicat des médecins généralistes MG France cité par Le Figaro, le nombre de personnes touchées par le Covid-19 représente aujourd’hui entre 10 et 15% de la population dans toute la France, mais l’hexagone compte déjà près de 13.000 morts, et les capacités d’accueil des hôpitaux, limités à 10.000 lits de réanimation, sont déjà dépassées dans les départements les plus touchés. Un déconfinement même sélectif, comme prôné par David Sraer dans un autre article publié dans Les Echos, pour déconfiner « les jeunes et les personnes guéries » afin « d’accélérer la reprise d’activité », expose à une explosion des risques de contamination, de cas grave et de décès. Une perspective assumée par Eric Le Boucher pour qui « il faut économiquement, psychologiquement, politiquement, sortir du confinement. Cela signifie qu’on doit en revenir à la stratégie de l’immunité collective et accepter les morts qui vont avec. » Il s’agit même de « distribuer des masques, mais pas trop » pour laisser le virus se répandre. Des recommandations complètement contraire à l’avis même du Conseil des Médecins qui recommande notamment de rendre obligatoire le port du masque pour tous dans l’espace public.

En somme, les éditorialistes n’expriment que de manière crue et froide ce qu’une partie des classes dominantes pense tout bas. De sorte que les journaux comme Le Figaro analysent ce qui peut être mis au compte de l’impréparation du gouvernement à savoir un confinement trop tardif comme une stratégie consciente. Dans un article du Figaro, le journaliste évoque le pari de l’immunité de groupe : « parier sur l’immunité de groupe implique de disposer de ressources suffisantes pour prendre en charge les malades, ce qui s’avère rapidement impossible lorsque le nombre de formes graves, en particulier requérant de la ventilation artificielle, croît trop vite ». Il continue « d’un autre côté, briser top tôt la dynamique épidémique, notamment par un confinement trop précoce, peut exposer la population à un rebond des contaminations au moment du déconfinement », avant de préciser : « C’est pourquoi la France a attendu autant que possible avant de mettre en place un confinement national ». Pour le journaliste du Figaro, loin de toute impréparation, c’est bien en toute conscience que le confinement national a été décalé au plus tard pour permettre une meilleure circulation du virus en vue d’atteindre l’immunité de groupe le plus tôt possible.

En définitive, pour gouvernement et patronat, la priorité consiste bien à obtenir au plus vite l’immunité de groupe. Comme l’explique la logique des éditorialistes, après le confinement tardif, il s’agirait de poser une stratégie de déconfinement le plus tôt possible pour redémarrer l’économie, alors même que l’épidémie fait encore rage dans le pays. Cela montre de manière toujours plus crue le cynisme des classes dominantes qui n’hésitent pas à sacrifier les travailleurs et une partie de la population pour continuer à accumuler des profits. De même que le maintien de la production non essentielle à la lutte contre l’épidémie contribue à développer des clusters (foyers de contamination) dans les usines non essentielles et les entreprises où les salariés se côtoient et risquent de contaminer leurs familles et leurs proches, comme l’a démontré la propagation de l’épidémie dans les zones industrielles de l’Italie du Nord.

Encore une fois, face à ces plans macabres, seule une réponse du monde du travail, en toute indépendance de l’union nationale, peut offrir une autre issue à la crise. C’est ce qu’ont illustré les nombreux droits de retrait pour la fermeture des secteurs non essentiels dans l’industrie, de la colère des personnels soignants dans les hôpitaux qui font les frais des politiques néolibérales de casse du système de santé public, de même qu’aux grèves dans les secteurs essentiels comme la grande distribution ce mercredi à l’appel de la CGT Commerce, ou des éboueurs ce jeudi à Poitiers, qui revendiquent des protections sanitaires pour tous ceux qui continuent de faire tourner la société.

 
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