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11 de avril de 2020 Twitter Faceboock

Saint-Etienne
Infirmière, « J’ai demandé à être réquisitionnée mais l’ARS préfère des étudiants qui coûtent moins cher »
Cécile Manchette

Emilie, infirmière depuis plus de vingt ans, responsable de structure petit enfance, est l’une des seules infirmières de sa commune proche de Saint-Etienne. Depuis quatre semaines, elle accueille les enfants des soignants dans sa crèche. Prête à être réquisitionnée dans un hôpital ou un Ehpad sur le temps qu’il lui reste, l’ARS a refusé préférant selon elle "embaucher des étudiants qui coûtent moins cher. Tout est une question de budget".

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Crédits photo : AFP

RP : Vous êtes infirmière, responsable d’une crèche, dans une commune proche de Saint-Etienne, et votre crèche est mobilisée pour accueillir des enfants de soignants de votre commune. Comment cela se passe-t-il depuis le début de la crise du Coronavirus ?

Avant je travaillais à l’hôpital de Givors, j’ai fait beaucoup de soins en médecine et après je suis partie et suis devenue adjointe à la crèche dans la commune où je suis actuellement. D’abord je travaillais à mi-temps et je complétais en travaillant en tant qu’intérimaire dans un service de réanimation aux urgences. Aujourd’hui je travaille seulement pour la crèche et nous sommes deux infirmiers (fonctionnaires territoriaux) au niveau de toute la commune.

On est une grosse crèche initialement on peut accueillir entre 62-72 enfants par jour. Actuellement on tourne et on a 5 enfants qui sont des enfants de soignants qui sont accueillis. Il y a surtout la crainte au quotidien d’être contaminée mais on a des masques, même si pas beaucoup. On avait anticipé pour la question des masques et j’avais commandé des masques mi-février. On en a donné beaucoup aux infirmières libérales et aux hospitaliers du coin. On a un stock de quelques boites pour nous. Ce qui est déroutant ce sont les directives de la PMI (protection maternelle infantile) qui sont toujours de ne pas porter de masques parce que selon eux ce n’est pas nécessaire. Nous on dit aux collègues d’en porter si elles veulent.

RP : Le Président va faire une nouvelle allocution ce lundi, qu’en attendez-vous ? Qu’est-ce qui se discute dans votre travail ?

On se pose plusieurs questions sur ce que va dire le président lundi. On a eu quelques échos et il serait question de fermer nos structures et que les seules crèches qui restent ouvertes soient celles qui sont à proximité des hôpitaux c’est-à-dire les crèches hospitalières. Je suis complétement opposée pour plusieurs raisons. D’un point de vue de l’enfant, qui sont déjà angoissés et inquiets pour leurs parents et ont un quotidien totalement chamboulé, ça veut dire qu’ils vont se retrouver avec des personnes qu’ils ne connaissent pas et plus loin de chez eux. Ici nous on les accueille au fur et à mesure, petit à petit, pour accompagner la famille, qu’ils prennent leurs marques. Là ça voudrait dire qu’ils atterrissent dans des crèches qu’ils ne connaissent pas et ça met en difficulté tout le monde, les enfants, les parents, les soignants. Au plus proche des hôpitaux c’est bien mais si on est médecin de ville et qu’on fait garder son enfant sur sa commune… Je suis favorable à ce qu’on garde les structures ouvertes et qu’on ne procède pas à des regroupements d’enfants car qui dit regroupement dit propagation plus rapide du virus.

RP : Vous avez été infirmière pendant de nombreuses années. Vous vous êtes proposées pour aider les weekends dans les structures hospitalières mais cela vous a été refusé par l’ARS (l’Agence Régionale de Santé). Pouvez-vous nous raconter votre démarche ?

Je fais plus de 35h par semaine, mais j’étais d’accord pour aller dans les Ehpad ou à l’hôpital les weekends. Mon mari est parti à la campagne avec mes quatre enfants. Le fait de ne pas voir les enfants est douloureux mais je suis toute seule depuis le 13 mars et je suis disponible vu que je n’ai pas de charge de famille.

Ils ont refusé parce qu’ils estiment que comme je suis la seule infirmière de ma collectivité ce ne serait pas cohérent de déshabiller Paul pour habiller Jacques. Ce qui les dérange en réalité c’est que les étudiantes infirmières coûtent moins cher et ils préfèrent les faire travailler elle. Tout est une question de budget. L’enveloppe va exploser de toute façon. Autant envoyer dans les Ehpad, dans services, les personnes qui ont de l’expérience. Envoyer ceux qui pourront se remettre plutôt que d’envoyer des étudiants qui n’ont pas fini leur formation et qui n’ont pas souvent encore la distance nécessaire.

On bousille des promotions entières de soignants à les mettre comme ça en difficulté. Si ces étudiants ils se plantent, qu’ils se trompent, et que le patient décède qui prendra la responsabilité ? J’espère que ce sera les directions d’hôpitaux.

Selon le dernier décret qui est sorti pendant la crise, une infirmière réquisitionnée est payée 24 euros de l’heure entre 8h et 20h. Un étudiant en 2ème année de médecine est payé aussi 24 euros de l’heure et un étudiant en 3ème année 50 euros. Les étudiants infirmiers qui sont sous-considérés sont payés entre 10 à 12 euros de l’heure pour faire le même travail qu’un infirmier normal. Un exemple pour montrer le caractère illogique et dangereux de tout ça c’est que quand on est en réanimation on a besoin d’installer une sonde à demeure (pour les besoins), un étudiant infirmier a appris à faire ça pas un étudiant de 2ème année de médecine.

RP : Au même titre que de nombreux soignants vous êtes très critique de la gestion du gouvernement. Qu’est-ce qui vous inquiète aujourd’hui et pour la suite ? Que faudrait-il faire ?

Ma sœur est infirmière depuis 20 ans également, normalement dans ce qu’on appelle un service de jour puisqu’elle s’occupe de tout ce qui est endoscopie mais là elle est obligée d’aller faire du remplacement en médecin en ce qu’elle n’a pas fait depuis des années. La réquisition là depuis des semaines ça veut dire pas de vacances et sa dernière semaine de vacances c’était au mois d’août dernier. Quand elle a voulu poser une semaine pour bientôt on lui a dit que ce ne serait pas possible. Les soignants sont d’accord pour donner tout ce qu’ils ont dans la période mais il faudra bien poser des vacances.

On a des comptes d’heure aussi qui sont déjà plein, on est censé récupérer les heures mais ça n’arrive jamais. On va clairement donner un mois et demi de travail gracieusement. Comment vont-ils faire ? Je pense qu’il y aura des heures de payer mais pas la globalité et on ne se rendra pas compte de la valeur de notre travail. Est-ce que la solidarité qui s’exprime maintenant va s’exprimer après ? On ouvre les portes de l’hôpital à plein de nouveaux postes, on embauche des infirmières intérimaires, mais après la crise qu’est-ce qu’ils vont faire ?

 
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