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La Izquierda Diario
4 de mai de 2020 Twitter Faceboock

Témoignage d’un professeur des écoles
Réouverture des écoles. « On demande de très gros efforts, avec des risques très élevés, pour un résultat négligeable »

Suite à l’annonce de la réouverture des écoles maternelles et primaires dès le 11 mai, Caius, professeur des écoles, titulaire remplaçant dans l’académie de Toulouse et volontaire pour l’accueil des enfants de soignants, a accepté de répondre à nos questions.

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Révolution Permanente : Tu t’es porté volontaire pour l’accueil des enfants des soignants. Quelles ont été tes motivations ?
 
Caius : C’était un choix collectif fait avec les collègues de mon école de rattachement. Nous avons tous souhaité prendre notre part du travail. Dans tous les cas, cela paraît normal et naturel, d’autant plus pour moi qui n’avait pas de classe à charge au moment du confinement et donc pas d’élèves à suivre en distanciel. En tout cas pour moi, pas de sentiment d’obligation, d’appel patriotique ou héroïque, mais une simple évidence.
 
RP : Quelle a été l’organisation et quelles ont été les conditions pour l’accueil des enfants des soignants ? Comment as-tu vécu cette situation ?
 
C : L’organisation a été d’abord chaotique. Quand les syndicats ont réclamé des masques et du gel hydroalcoolique, la réaction des services municipaux a été un « pourquoi faire ? » étonné. Cela montre aussi que nous n’avions pas pris la mesure de ce qu’était cette épidémie au mois de mars. Les élèves étaient peu nombreux au début et leur nombre a légèrement augmenté au fil du temps.
 
Nous avons maintenant les masques, le gel, des enfants présents avec régularité, des locaux désinfectés régulièrement. Dans une grande école, nous n’utilisons que deux salles et deux toilettes, ce qui facilite le travail des agents municipaux qui n’ont d’ailleurs à intervenir que dans très peu d’établissements, seulement 4% des écoles de la commune. Le taux d’encadrement oscille entre un adulte pour 2 à 4 élèves. Les conditions sont donc plutôt bonnes, voire optimales, et pourtant il est déjà presque impossible de faire respecter la distanciation physique, que ce soit en maternelle ou en élémentaire.
 
Pour ma part, je ne suis pas arrivé au tout début, donc je n’ai pas essuyé les plâtres des premières semaines. Au niveau du travail, c’est étrange, certes, mais assez confortable. C’est assez étonnant de voir qu’il faut cette situation pour avoir en face de soi un tout petit nombre d’élève et d’avoir l’impression de pouvoir enfin faire son travail, c’est à dire aider à avancer tous les élèves. Évidemment il y a une limite à cela, nous ne décidons pas des contenus et suivons les programmes des enseignants référents qui donnent le travail à faire à la maison. Cela n’impacte pas vraiment ma vie personnelle, nous tournons généralement par demi-journée et ne sommes pas à l’école tous les jours. Cela étant on pense évidemment aux 12 % de collègues volontaires qui sont tombés malades en Haute-Garonne https://rapportsdeforce.fr/breves/en-haute-garonne-12-des-enseignants-qui-ont-accueilli-des-enfants-de-soignants-ont-presente-les-symptomes-du-covid-19-04296956, vraisemblablement du COVID, enfin, on en serait sûr si nous avions des tests ! Malgré le peu d’élèves et les mesures drastiques en place, cela laisse augurer du pire pour la reprise…
 
RP : Quelle a été ta réaction suite à l’annonce de la réouverture des crèches et des établissements scolaires à partir du 11 mai ?
 
C : Colère, incompréhension… En fait non, pas d’incompréhension, la colère de voir qu’un choix politicien nous impose une situation où le ratio bénéfice-risque est plus que douteux. Je m’explique : le bénéfice pédagogique sera quasi nul, nous allons passer des journées entières à enseigner les gestes barrière et les nouvelles habitudes de travail, quand elles commenceront à être un peu intégrées, ce sera le temps des vacances scolaires. Le risque est que l’hypothèse retenue par le gouvernement : les enfants ne transmettent que peu ou pas le virus, se révèle erronée. Dans ce dernier cas, la situation pourrait très vite dégénérer. En somme, on demande à tous de très gros effort, avec des risques très élevés, pour un résultat négligeable. Je comprends donc tout-à-fait les maires qui refusent d’ouvrir dans ces mauvaises conditions.
 
 
RP : Que penses-tu du plan de réouverture des écoles décidé par E. Philippe ?
 
C. : Sur le plan de la réouverture lui-même, il me semble y avoir trois dimensions majeures pour nous : une dimension politique, une dimension sanitaire et une dimension pédagogique et sociale.
 
Sur la dimension politique, j’ai la forte impression que le gouvernement tente de flatter le cœur de son électorat et de maintenir une doctrine libérale qui est la sienne depuis le début. L’annonce de la réouverture des écoles se veut un signe pour montrer que le travail peut reprendre. Seulement, les consignes données, que les équipes (pas les directeurs, n’en déplaise à notre ministre) et les mairies vont devoir appliquer, ne permettent que de rouvrir un tout petit nombre de places. Par exemple à Toulouse, la plus grosse commune de mon académie, seuls 10% des élèves vont retrouver le chemin de l’école le 11 mai, selon les critères de priorité suivants : les enfants de soignants, d’enseignants, de personnels municipaux, puis les CP et les CM2 s’il reste des places avec une préférence donnée aux élèves décrocheurs. Autant dire que, de toute façon, les enfants de cadres ou d’employés ne retourneront pas à l’école le 11 mai. Si nous accueillons plus, nous ne pourrons respecter les règles sanitaires, la reprise générale annoncée est donc une illusion.
 
Ce qui me conduit à cette dimension sanitaire. Nous avons reçu un document qui n’est pas encore définitif pour commencer à nous organiser. 63 pages de consignes. Je n’ai pas le cœur à les énumérer ici, certaines seront applicables, d’autres non, en tout cas pas sans plus de temps pour s’organiser. Par exemple, un livre lu par un élève ne doit plus être touché à nouveau pendant cinq jours, ou encore, il ne peut plus y avoir d’usage de matériel collectif (comment fait-on en maternelle ou dans les établissements qui font le choix des classes flexibles ou coopératives ?). Faire respecter une distance de plus d’1 mètre entre les élèves toute la journée est quasiment impossible pour nous actuellement, avec une vingtaine d’élèves dans l’école, alors à 60, 100, 150, c’est impossible. Je crois que les gens ne mesurent pas à quel point c’est un changement radical des habitudes de vie et des mentalités. De tels changements dans l’histoire se font habituellement à l’échelle de plusieurs générations, mais là on nous met la pression pour que ce soit à une date fixée arbitrairement par un pouvoir qui navigue à vue. Dans tous les cas il nous faudrait du temps, on nous promet d’ailleurs des formations avant toute reprise, je doute que cela soit possible d’ici dix jours. Sans parler des services municipaux qui vont être totalement débordés avec les mesures de nettoyages, les mairies sont en train de faire appel à leurs services administratifs pour assurer les nettoyages des locaux !
 
Enfin, la dernière dimension est pédagogique et sociale : comment allons-nous assurer les enseignements en classe tout assurant le suivi des élèves restés à la maison ? Sachant qu’en classe nous n’allons pas avancer puisque nous allons passer notre temps à traiter des questions d’hygiène et de respecter des distances. Comment allons-nous gérer les élèves en situation de handicap qui sont déjà habituellement si mal inclus dans nos classes ? Qu’allons-nous vraiment pouvoir leur apprendre en six semaines ? Sans doute pas grand-chose, en tout cas pas suffisamment pour que cela justifie les risques pris en absence de toute certitude médicale. Quant aux élèves décrocheurs qui sont l’argument du gouvernement, pas sûr de les revoir dans nos classes sur la base du volontariat. Il est déjà suffisamment difficile en temps normal de les astreindre à l’obligation de scolarité. Les premiers retours des parents des quartiers difficiles qui veulent remettre leurs enfants à l’école le 11 mai c’est une peur de la pression sociale. En effet, ils sont très mal vus par les autres parents qui ont peur pour leurs enfants et ne comprennent pas pourquoi on devrait remettre les enfants à l’école.
 
RP : Quelles sont, pour toi, les conditions qui seraient nécessaires pour la réouverture des établissements scolaires ? Que comptes-tu faire le 11 mai si elles ne sont pas respectées ?
 
C. : Je n’ai pas de solution miracle, mais il est sûr qu’il faudrait du temps, et faire les choses dans l’urgence parce qu’un démiurge a décidé que ce serait le 11 parce-que-un-point-c’est-tout-c’est-comme-ça-c’est-moi-le-chef est inconscient. Du temps pour se concerter avec les rectorats et les mairies, du temps pour adapter les locaux, du temps pour se former, créer de nouvelles pratiques, du temps pour se concerter en équipe, du temps pour parler aux parents. Les conditions sanitaires peuvent être respectées, mais en repensant tout le système, ce qui ne peut se faire en une semaine, peut-être même pas en un mois. Nous aurions très bien pu nous contenter de groupes de soutiens pour les élèves décrocheurs et s’organiser patiemment pour la rentrée de septembre.
 
Pour le 11 mai je vais attendre les consignes syndicales, on parle de grève, de droit de retrait, nous verrons. Si nous n’allons pas travailler j’espère que les gens se souviendront que nous avons accompagné les enfants de soignants et que ce n’est donc par égoïsme et par corporatisme, mais bien en pensant d’abord aux enfants et aux conditions dans lesquelles nous allons les accueillir.
 
RP : Quel est le bilan que tu tires de la crise que nous vivons actuellement ? Comment tu envisages les prochains mois ?
 
C. : Dur de tirer un bilan… Pour moi cela commence à faire apparaître le mur de béton dans lequel les politiques libérales vont nous faire nous écraser. Nous l’avions déjà aperçu avec le climat, mais là c’est plus concret pour beaucoup de gens. J’espère que cela aidera à une prise de conscience : on ne peut pas continuer, on ne peut pas reprendre comme avant. Le système actuel est biaisé, vicié, des gens qui n’ont aucune idée du terrain décident à notre place et cela doit s’arrêter. Les prochains mois vont rester compliqués, et il va falloir être solidaires, fraternels, pour en sortir grandis.
 
Propos recueillis par Tristane Chalaise.

 
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