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La Izquierda Diario
13 de mai de 2020 Twitter Faceboock

Homophobie. Pourquoi l’affiche de la CGT Info’Com pose problème
Adrien Balestrini

La CGT Info’Com a publié une affiche le 10 mai dénonçant la collaboration entre la direction de la CFDT et le Medef. L’affiche a été jugée homophobe par plusieurs personnes. Depuis, la CGT Info’Com l’a retirée, mais elle est sous les coups d’une offensive de la bourgeoisie qui veut se racheter une image progressiste à peu de frais. Contre la récupération par le patronat de cette affaire, nous pensons néanmoins qu’il faut ouvrir une discussion avec ce syndicat au sujet de l’homophobie présente dans cette affiche.

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Hier, le syndicat Info’Com-CGT, réputé critique de la direction de la centrale de Montreuil et pour ses prises de positions contre les violences policières, a provoqué une polémique après la publication sur son compte Twitter d’une affiche. Avec un titre évocateur, « Sado et Maso », on pouvait voir Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef, et Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, tous les deux en habits fétichistes en cuir, représentant une relation homosexuelle sado-masochiste. Même si l’affiche a depuis été retirée, et un communiqué d’excuse a été publié par le syndicat, ce genre de contenu a des conséquences politiques. Pourquoi les militant.e.s de l’Info’Com-CGT n’ont pas vu l’aspect problématique de l’affiche ? Et, plus généralement, pourquoi le mouvement français a autant de mal à lutter contre l’homophobie ?

Au-delà des stéréotypes bien ancrés révélés par l’affiche (on y reviendra plus tard), la polémique ouverte par l’Info’Com-CGT a créé une brèche pour la droite pour les attaquer et pour attaquer l’ensemble du mouvement ouvrier. Les patrons, comme le représentant et porte-parole du Medef, s’y engouffrent pour porter un coup aux syndicats et par leur intermédiaire, aux travailleurs. Ce n’est pas la première fois que le mouvement ouvrier est accusé d’homophobie. Cette tactique du patronat est semblable à celle utilisés lors de l’affaire des « suceurs de bite » au moment du mouvement de grève en décembre dernier pour discréditer les grévistes de la RATP.

Loin d’être le fruit d’une conviction anti-homophobe, cette attaque est un moyen pour éviter de parler d’autres affaires, notamment du fait queles patrons signent avec les directions syndicales, dont la CFDT, une reprise du travail forcée alors même que la crise du Covid-19 n’est pas finie. Ils mettent en danger la santé des travailleurs et des précaires, dont de nombreuses personnes gays, les lesbiennes ainsi que des personnes transgenres. Il est donc inconcevable de prendre comme valable les critiques des représentants du patronat, défenseurs d’un soi-disant « progressisme » totalement artificiel.

La vieille pratique de l’instrumentalisation de l’homosexualité pour détruire ses opposants politiques

Plusieurs réactions à la suite de la publication de cette affiche ont déclaré ne pas y voir d’homophobie, simplement la représentation de la soumission d’un homme, Laurent Berger, à un autre homme, Roux de Bézieux, montrant la soumission de la CFDT au Medef. Si c’est l’intention de la caricature, ce n’en est pas le message. « Déguiser » ses opposants politiques en homosexuels pour leur nuire, ça ne date pas d’hier.

Ici, on va principalement parler d’homosexualité masculine. Dans les caricatures du début du siècle, on pouvait retrouver l’homosexualité utilisée de manière à discréditer ses adversaires en les associant à ce que la société considérait à l’époque comme une perversion sexuelle, une pratique « hors-norme » et « contre nature ». On peut retrouver des dessins homophobes et misogynes des membres du Front Populaire hyper-féminisés, répondant à la norme médicale de l’époque qui voulait qu’un homosexuel soit « une âme de femme prisonnière dans un corps d’homme », selon les mots du sexologue allemand Magnus Hirschfeld.

Florence Tamagne, maîtresse de conférence en histoire contemporaine ayant étudié la satire politique du début du siècle en Allemagne et en France, divise en deux grandes catégories l’instrumentalisation de l’homosexualité dans la caricature. D’un côté la satire sociale, et de l’autre, la critique politique. Elle nous explique : « Dans le cas de la critique politique, l’accusation homophobe est souvent un moyen autant qu’une fin. Un moyen, car il n’est pas nécessaire que telle personnalité soit homosexuelle pour que le soupçon plane sur elle ; une fin, lorsque l’actualité révèle au grand jour un scandale qui sert ensuite de point d’appui à une campagne de dénigrement ».

Si l’imaginaire autour de la sexualité gay a évolué depuis le début du siècle, la pratique de grimer un adversaire avec des stéréotypes associés à l’homosexualité est toujours en vigueur. Au moment de l’affaire Benalla, plusieurs montages du barbouze et de Macron représentés en couple ont été publié sur les réseaux sociaux, Macron toujours dans la position de « la femme », c’est à dire du passif, du pénétré, de « l’enculé ». Cet imaginaire renvoie à l’idée qu’être pénétré est dégradant pour un homme. La pénétration est réservée aux femmes, et celui qui reçoit ne peut être qu’un faible ou un lâche. En effet, l’homophobie a toujours des relents de sexisme.

Une fois qu’on sait tout ça, lorsqu’on revient à l’affiche, on voit Roux de Bézieux en tenue de cuir, stéréotype de l’homosexualité des années 1960-1970, dominant, et Berger, le sourire au lèvre, « l’enculé heureux », le dominé. Représenter deux hommes en couple n’est pas homophobe lorsque l’intention n’est pas de leur nuire, seulement ici la volonté de dénoncer la collaboration de classe se transforme en une attaque homophobe.

Qui sont nos ennemis ?

L’Info’Com-CGT a, à raison, retiré son affiche devant le tollé qu’elle a provoqué puis s’est excusée via un communiqué publié dans la journée de dimanche. Si nous saluons la prise de conscience, nous ne pouvons que déplorer les conséquences que cela aura en interne de la CGT, et plus largement, du mouvement ouvrier, où les LGBTI ne sont pas absents. Les réactions de la part des militants ouvriers ne se sont d’ailleurs pas fait attendre.

L’homophobie qui s’exprime parfois au sein du mouvement ouvrier n’a rien de naturel. Elle n’est consubstantielle ni au syndicalisme ni aux partis ouvriers. D’une part, elle est le produit des préjugés inculqués par la classe dominante. De plus, l’homophobie des directions du mouvement ouvrier est un des résultats du stalinisme, qui plutôt que de combattre toutes les oppressions, associait l’homosexualité à une déviation petite-bourgeoise, comme un moyen de réprimer des intellectuels ou de renforcer la famille nucléaire. À titre d’exemple, Pierre Juquin, membre du PCF, déclarait que « la couverture de l’homosexualité n’a jamais rien eu à voir avec le mouvement ouvrier. L’une et l’autre représentent même le contraire du mouvement ouvrier ». Les militants du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), fondé après mai 68, ont dû se battre pour défiler aux côtés des travailleurs lors de la manifestation du 1er mai 1971 alors qu’ils et elles se faisaient insulter par des militants du PCF et de la CGT. Si la volonté de l’Info’Com-CGT n’est clairement pas celle-ci, elle s’inscrit malgré eux dans la suite d’une longue histoire d’événements qui ont opposé le mouvement ouvrier et le mouvement LGBT.

Pourtant, cette opposition n’a pas toujours existé. La révolution russe a fait tomber les lois qui condamnaient les gays et les lesbiennes dès 1917 en éradiquant le code pénal tsariste. Cette suppression n’est pas le fruit du hasard mais d’une conviction consciente qu’être révolutionnaire, c’est s’attaquer à toute les formes d’oppressions et d’exploitation, y compris l’homophobie ! C’est pour cela que toute action qui tend à creuser le fossé entre ouvriers et homosexuels est délétère au moment où nos efforts doivent être tournés contre ceux qui n’hésitent pas à mettre nos vies en jeu pour continuer leurs accumulations de profits.

 
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