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La Izquierda Diario
26 de mai de 2020 Twitter Faceboock

Le Poing Levé : « La lutte sur les partiels pose des questions profondes sur l’Université que nous voulons »
Le Poing Levé Paris 1

Aux côtés d’autres organisations étudiantes, Le Poing Levé a lutté ces dernières semaines pour obtenir des modalités de partiels justes, qui prennent en compte la situation exceptionnelle à laquelle sont confrontés les étudiants. Un combat qui s’est soldé par une victoire, toujours contestée, sur laquelle nous avons voulu revenir avec eux.

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 Révolution Permanente : Salut, vous êtes une organisation étudiante à Paris 1, composée en partie de militants de Révolution Permanente, pourriez-vous revenir sur la bataille autour des partiels qui s’est nouée dans cette fac ?
 
LPL : Avant de revenir sur la bataille des partiels, je pense qu’il faut donner quelques éléments sur le contexte général à Paris 1 et dans le mouvement étudiant. De fait, l’année a été marquée par plusieurs événements très importants. Le mois de novembre a été marqué par la tentative d’immolation d’un étudiant stéphanois, qui a déclenché un début de mobilisation autour des questions de précarité, et a brisé un tabou concernant la situation de nombreux étudiants : boulots précaires, pression scolaire, angoisse de la sélection, conditions de vie et de logement difficiles, accès à la santé, etc…
 
Cette séquence a été interrompue par le début de la grève contre la réforme des retraites qui a paralysé Paris à partir du 5 décembre. De nombreuses facs de la région ont fermé pendant la grève, tout en profitant de ce prétexte pour empêcher les assemblées générales de se réunir comme ça a été le cas à Paris 1 où Tolbiac a subi un lock-out le 4 décembre, jour de l’AG. A la rentrée, la mobilisation a un peu repris, aux côtés des travailleurs de la RATP et de la SNCF que nous avions fréquenté pendant quasiment deux mois sur les piquets et qui ont investi nos AGs et nos blocages en solidarité. Rapidement, la situation sur la fac a été marquée par la mobilisation des professeurs contre la LPPR que nous avons tenté de faire converger avec la lutte contre la réforme des retraites, et qui a permis de mobiliser les étudiants dans certains UFR sans jamais prendre une dimension massive.
 
La dynamique sur les facs a culminé avec la manifestation du 5 mars qui a été une vraie réussite, mais de notre côté ces semaines ont également été marquée par une forte répression de l’administration : CRS qui ont gazé des étudiants à l’entrée de la fac, manifestation contre la précarité nassée au départ de Tolbiac ou encore fichage des étudiants mobilisés, empêchés d’entrer dans la fac. Toute cette ébullition été interrompue par l’irruption du coronavirus, avec la fermeture de Tolbiac le 12 mars
 
Cela peut paraître long, mais il est important d’avoir en tête ces éléments pour comprendre que l’épidémie de coronavirus, le confinement, et la bataille des partiels n’ont pas été un éclair dans un ciel serein, mais la continuité de frictions ininterrompues à l’intérieur de l’université, et dans l’ensemble de la société, depuis 2016.
 
Révolution Permanente : D’accord, justement, pour ce qui est de la bataille autour des partiels, quand et comment a-t-elle débuté ?
 
LPL : A la mi-avril, à l’occasion de la préparation de la CFVU qui devait se tenir le 16, les élus étudiants de différentes organisations (Le Poing Levé, UNEF, Solidaires, Fédé, FEDER, …) se sont réunis pour plancher sur une proposition autour des partiels. Nous savions que la présidence allait proposer un cadre très large permettant aux professeurs d’appliquer les modalités qu’ils souhaitaient.
 
Du côté du Poing Levé, il nous semblait fondamental de prendre en compte le caractère exceptionnel de la période. Depuis le début du confinement, nous avions recueilli sur Révolution Permanente des témoignages d’étudiants contraints à travailler encore plus dans les secteurs essentiels, frappés par la précarité après avoir perdu leurs emplois, ou confinés dans des conditions difficiles, rendant tout espoir de « continuité pédagogique » totalement illusoire. En ce sens, et alors qu’un contexte tel que celui que nous connaissons aggrave les inégalités qui existent à la fac, il nous paraissait essentiel de s’organiser pour refuser que les étudiants, et en particulier les étudiants précaires, ne « paient la crise ».
 
Avec les autres élus étudiants nous avons donc planché sur une proposition qui permette de prendre en compte cette situation, en demandant l’annulation des partiels du second semestre, l’utilisation de la note du 1er semestre en lieu et place de nouveaux partiels, et la validation automatique, au 10 minimum améliorable, pour tous. De façon inattendue pour la Présidence, nous avons réussi à faire passer notre motion lors de la CFVU suscitant la colère de George Haddad et de nombreux représentants, surpris de voir, pour une fois, la « démocratie universitaire » se retourner contre eux, au profit des étudiants.
 

 
A ce moment-là, la Présidence a décidé que le Conseil d’Administration trancherait, ce que nous avons réussi par la suite à empêcher en démontrant, dans une note juridique réalisée par des étudiants en droit notamment, que fixer les modalités d’examen était une attribution propre à la CFVU.
 
Révolution Permanente : Les étudiants soutenaient cette initiative ?
 
LPL : Dès le départ on a cherché à obtenir le maximum de soutien des étudiants. D’abord, en twittant en direct depuis la CFVU pour rendre « transparent » le combat qui était entrain d’y être mené, une initiative qui, à notre connaissance, n’avait jamais été lancée. Ces live-tweets ont eu beaucoup de succès, nous avons également communiqué systématiquement sur l’évolution de la situation et lancé dès le soir de la CFVU une pétition aux côtés des autres élus pour recueillir les soutiens des étudiants, qui a reçu plus de 2000 signatures en 24h. Enfin, on a multiplié les vidéos pour raconter la situation.
 
Dans une mobilisation « confinée » telle que celle-ci, l’information est évidemment une bataille centrale. Par ailleurs il s’agissait pour nous de mettre en avant l’idée que ce combat dépassait largement la simple question « technique » de l’organisation des partiels, mais posait des questions plus profondes, en subvertissant la logique d’évaluation à l’université. C’est ce qu’on a essayé de refléter dans la campagne sur Twitter qu’on a lancé avec Le Poing Levé autour du hashtag #HonteUnivParis1 en visibilisant la colère des étudiants, mais aussi leurs témoignages sur leurs conditions de confinement, etc…
 
On a également cherché à mener un travail du côté des professeurs, pour qu’ils se positionnent face aux attaques très virulentes que nous subissions de la part de certains professeurs, notamment de droit. Après avoir tenté de pousser au lancement d’une tribune, nous leur avons adressé une lettre ouverte autour de l’importance de prendre une position claire en défense de notre cadrage. Malheureusement, ces appels du pied ont reçu peu de réponses, en dehors des syndicats, avec peu de prises de position publique des professeurs pour soutenir notre démarche.
 
Révolution Permanente : Après la tentative de passer en force au CA de la Présidence, une nouvelle CFVU a eu lieu. Quelles évolutions ont eu lieu entre temps ?
 
LPL : D’abord il faut voir que la bataille des partiels a généré une polarisation à l’intérieur de l’Université très révélatrice de ce qui s’y joue. Les secteurs de profs les plus élitistes, notamment en Droit, ont très vite pris une position très violente contre la motion, attaquant les élus étudiants et fustigeant un cadrage au nom de la « valeur du diplôme ». Une position en phase d’ailleurs avec les propos de Frédérique Vidal.
 
Le débat autour du « diplôme » est une constante à Paris 1, fac qui se considère comme une institution « d’élite » et qui aime à s’opposer à tout ce qui pourrait affecter cette image. Or, face à ces attaques, nombre d’étudiants ont affirmé haut et fort qu’ils refusaient les règles de l’Université mises en avant par nos détracteurs. Evoquant leurs conditions de vie, d’études, le caractère exceptionnel de la situation, ils ont montré que les grands discours sur la « valeur des diplômes » ne les convainquaient pas, ou plus. C’est une donnée importante pour la suite, parce que cela remet en cause toute une mythologie méritocratique très présente à l’Université, qui fait croire que si on est le meilleur, qu’on travaille bien (et mieux que les autres) on aura un bon diplôme et on gagnera le droit de s’en sortir. On voit bien le fossé qui sépare cette « normalité » du fonctionnement de l’université de notre proposition.
 
De fait, avant la deuxième CFVU, et sous la pression des professeurs et de la Présidence, il y a eu des doutes qui ont émergé, avec des élus qui considéraient qu’il fallait revoir à la baisse nos ambitions pour s’éviter une potentielle défaite. On a considéré qu’il fallait tenir bon, et finalement nous avons fini par tomber d’accord tout en remodelant le cadrage pour s’assurer qu’il soit recevable juridiquement. Les revendications ont été affinées, en demandant notamment une dispense des notes en dessous de 10, l’annulation de la défaillance, et des modalités de rattrapages du 1er semestre sous forme de DM. C’est après ce nouveau vote remporté que l’Ecole de Droit de la Sorbonne, aux côtés de professeurs de différents UFRs, a décidé de lancer un référé-suspension pour tenter d’empêcher l’application de notre cadrage.
 
Révolution Permanente : On connaît la suite, le référé a été rejeté et votre cadrage validé. Quelles sont les perspectives désormais ?
 
LPL : Mercredi, quelques heures après la décision du Tribunal Administratif, la ministre de l’enseignement supérieur a sorti un communiqué outré de la décision, dénonçant un cadrage qui serait méprisant pour les professeurs de Paris 1, et soutenant ceux d’entre eux qui voudraient se pourvoir en cassation. Par la suite, on a appris hier que François-Guy Trébulle, directeur de l’Ecole de Droit de la Sorbonne avait saisi le rectorat pour qu’il lance une procédure de « déféré rectoral » afin de tenter un nouveau recours contre le cadrage. Une nouvelle attaque que nous allons suivre de près et contre laquelle il faudra à nouveau se défendre.
 
Ces réactions et leur virulence montrent assez bien la fébrilité que génère une décision qui met en question les piliers que constituent l’évaluation et la sélection à l’université. Pour nous, il s’agit évidemment de continuer à défendre le cadrage contre les attaques qu’il pourrait subir, car il peut être un acquis, sur lequel pourront s’appuyer les étudiants des autres universités.
 
Pourtant, si la perspective d’une victoire finale ouvre une brèche, elle ne résout pas la question des inégalités structurelles qui traversent l’Université, parce que celles-ci sont inhérentes à un système intrinsèquement inégalitaire dans lequel l’Université a une fonction précise, former et sélectionner les futurs « travailleurs intellectuels » à destination du marché du travail. Dès lors, on ne peut espérer fonder une Université égalitaire, « alternative », dans un système inégalitaire, et les tentatives en ce sens – on pense évidemment à l’Université de Vincennes après 1968 – nous semblent condamnées d’avance, surtout à l’aube de la crise économique qui se prépare et qui devrait frapper durement la jeunesse.
 
Quelque soit l’issue de la bataille actuelle, pour nous elle ne s’arrêtera pas là. Les mois à venir vont être violents, et la jeunesse va en subir les conséquences avec un accroissement de la précarité, des contrats courts et du chômage. On ne peut pas lutter contre la sélection sans prendre en charge ces questions. Par ailleurs, sur un terrain stratégique, ce constat implique que la lutte autour des problématiques étudiantes doit nécessairement s’élargir car, comme l’affirmait Daniel Bensaid en 1969, « la contradiction de l’université ne se résout pas dans l’université mais par la suppression de la contradiction fondamentale du capitalisme dont elle découle. Le problème de l’enseignement et de la formation ne se résout qu’avec le problème de l’emploi en général. La contradiction dont souffre le mouvement étudiant ne peut donc trouver de solution que dans sa lutte au côté du mouvement ouvrier. » Il est évident que l’Université est une institution largement, et toujours plus, subordonnée aux exigences du marché du travail, et face à la rétraction de celui-ci en période de crise, les problèmes de l’Université vont s’accroître. Or, nous considérons que ce problème ne pourra se résoudre que par une lutte d’ensemble contre ce système, faute de quoi on se condamne à tenter de rafistoler l’Université dans une société en crise.
 
En ce sens, comme militants du NPA et de Révolution Permanente nous suivons de près les dynamiques dans le mouvement ouvrier, des soignants en lutte pour plus de moyens aux travailleurs de l’industrie qui devront batailler contre les licenciements, comme c’est déjà le cas dans l’aéronautique, en passant évidemment par les luttes de précaires à l’image des étudiants-salariés qui bataillent pour obtenir une prime dans différents supermarchés en France. Nos camarades interviennent dans ces combats, et on considère central de construire une unité entre le terrain universitaire et ces luttes. De fait elles concernent de plus en plus d’étudiants-salariés confrontés à la précarité, mais par ailleurs, nous pensons c’est le combat aux côtés du mouvement ouvrier qui est le seul à même d’ouvrir une lutte contre ce système dans son ensemble. Sans ce « pas de côté » par rapport aux dynamiques propres à l’Université, nous sommes condamnés à ne trouver que des solutions partielles aux problèmes qui affectent les étudiants, qui sont pour la plupart de futurs salariés. En ce sens nous sommes déjà en train de mener des campagnes de solidarité avec des syndicalistes réprimés, comme c’est le cas d’Eric Bezou, sur la question des étudiants étrangers confrontés à une misère particulièrement profonde, à Auchan Drive et dans la grande distribution sur la question de la prime 1000€.

 
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