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La Izquierda Diario
4 de juin de 2020 Twitter Faceboock

Trump menace d’envoyer l’armée fédérale réprimer le mouvement : communication ou vrai danger ?
Paul Morao

Alors que Trump multiplie les déclarations provocatrices concernant la gestion de la crise, appelant les gouverneurs à « dominer » menaçant de reprendre en main le maintien de l’ordre. Une question secoue le débat public aux Etats-Unis. Le Président, aussi imprévisible soit-il, va-t-il vraiment mettre ses menaces à exécution ?

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Face aux révoltes, un discours répressif violent

Depuis le début de la crise, Trump n’a cessé de jeter de l’huile sur le feu par ses déclarations provocantes. Après être resté silencieux les premiers jours, il a pris position brutalement sur le mouvement en désignant les « antifas », militants antifascistes, comme responsables des émeutes et en menaçant de considérer leurs organisations comme terroristes. Un moyen commode de transformer la mobilisation massive en produit de l’action d’une poignée d’agitateurs radicaux.

Par la suite, Trump n’a cessé d’invectiver les gouverneurs et responsables démocrates, en affirmant que leur gestion de la crise serait trop molle. Lundi, lors d’une réunion virtuelle avec les gouverneurs, il a suggéré de déployer plus de militaires de la Garde Nationale et exhorté les gouverneurs à « dominer » les manifestants. Dans un discours le même jour, le Président des Etats-Unis n’a pas hésité à affirmer que « si une ville ou un Etat refuse de prendre les mesures nécessaires pour défendre la vie et la propriété de leurs résidents, je déploierai l’armée américaine et résoudrait le problème à leur place. »

Des ordres et une menace que les gouverneurs ont repoussé, tout en fustigeant l’attitude du Président. Suite à la réunion virtuelle lundi, le gouverneur démocrate Tim Walz a ainsi expliqué que les recommandations du Président étaient « insoutenables militairement et insoutenables socialement ». Mardi, lors d’un discours à Philadelphie, Joe Biden, candidat démocrate aux présidentielles a dénoncé Trump pour avoir fait des Etats-Unis un « champ de bataille » et alimenté les divisions. Face aux outrances de Trump, les Démocrates cherchent ainsi à apparaître dans une position plus conciliante avec le mouvement, qu’ils prétendent soutenir, mais mènent dans la réalité une politique toute aussi répressive que les gouverneurs Républicains. Andrew Cuomo, gouverneur de New-York, qui reconnaît le caractère systémique des violences racistes de la police tout en menaçant de faire appel à la Garde Nationale, en envoyant la NYPD gazer les manifestants et en imposant un couvre-feu, en est un exemple flagrant.

Malgré tout, les menaces de Trump continuent d’agiter le débat public avec une question récurrente : Trump pourrait-il vraiment décider de reprendre en main le maintien de l’ordre pour écraser le mouvement en envoyant les militaires des troupes fédérales ?

L’envoi de troupes fédérales, une possibilité risquée pour Trump

Tout d’abord, il convient de rappeler que le Président dispose effectivement du pouvoir de reprendre en main le maintien de l’ordre, contre l’avis des gouverneurs, au travers de l’Insurrection Act, une loi datant de 1807. Comme le rappelle CNN, celle-ci a été utilisée pour la dernière fois en 1992 lors des émeutes de Los Angeles. Si certains notent que l’Insurrection Act implique théoriquement un appel à l’aide de la part de l’Etat où il est appliqué, dans les faits il est possible de passer outre. Ce fut notamment le cas à Little Rock en 1957, lorsqu’Eisenhower envoya la Garde Nationale imposer le respect des mesures mettant fin à la ségrégation pour neuf lycéens noirs.

Ainsi, si le gouverneur démocrate de l’Illinois a pu affirmer, en réponse à Trump, qu’il rejetait l’idée « que le gouvernement fédéral puisse envoyer des troupes dans l’Etat de l’Illinois », cette possibilité reste en réalité ouverte. Pour autant, cette décision constituerait un véritable saut. De fait, il convient ici de noter qu’une grande partie du discours à propos de l’envoi de troupes fédérales s’inscrit dans les outrances auxquelles Trump nous a habitué. Agitant un discours virulent, il tente surtout de pointer les prétendues limites de la gestion démocrate pour mieux rasséréner sa base sociale. Hier il a ainsi insisté sur la situation dans l’Etat de New-York, gouverné par le démocrate A. Cuomo en pointant un Etat « hors de contrôle » et en se demandant « Quand le Gouverneur Cuomo va-t-il demander l’aide du gouvernement fédéral ? ».

S’il est difficile d’évaluer ce qui dans le discours de Trump tient de l’effet de manche, et ce dont il est capable, on peut souligner que le lancement d’une telle mesure serait beaucoup plus difficile à faire accepter politiquement que ce que Trump prétend. Le positionnement récent du Secrétaire à la Défense, Mark Esper, le montre assez bien. « L’option d’utiliser des forces régulières pour du maintien de l’ordre devrait être prise uniquement en dernier recours, et seulement dans les situations les plus dangereuses. Nous ne sommes pas dans une telle situation. Je ne soutiens pas l’utilisation de l’Insurrection Act » a ainsi déclaré ce dernier lors d’une conférence de presse au Pentagone mercredi, en contradiction nette avec les rodomontades du Président. Une déclaration qui fait suite à l’opposition qu’auraient déjà exprimé, en coulisse, le Procureur Général des Etats-Unis et le chef du Comité des chefs d’état-major interarmées face aux propositions de Trump.

Suite à cette déclaration, l’ex-Ministre de la Défense, Jim Mattis, a également publié un réquisitoire contre Trump, s’inquiétant des propos de ce dernier, comme le rapporte le Figaro. « Nous ne devons utiliser nos forces armées sur notre territoire qu’en de très rares occasions, et à la requête des gouverneurs. (...) La militarisation de notre réaction, comme nous l’avons vu à Washington, D.C., entraîne un conflit - un faux conflit - entre la société civile et militaire. Il érode le lien moral qui garantit la confiance entre les hommes et les femmes qui servent sous l’uniforme et la société civile qu’ils ont juré de protéger et dont ils font eux-mêmes partie. » a expliqué l’ancien haut-responsable. De même, l’ancien chef d’Etat-major, Mike Mullen s’est empressé de déclarer qu’il ne pouvait « rester silencieux », dénonçant l’utilisation politique des forces militaires. Autant de prises de position qui, même si elle s’exprime publiquement au travers d’anciens responsables militaires, laissent supposer que l’attitude Trump irrite au sein des forces armées et préoccupe les militaires qui prennent au sérieux les menaces de Trump et entendent exprimer leur opposition. En parallèle, elles esquissent la crise que pourrait générer une tentative de passage en force de la part du Président sur ce terrain.

De même, l’attitude de Trump provoque également des remous chez différents sénateurs républicains. L’utilisation de gaz lacrymogènes pour disperser une foule afin de pouvoir prendre une photo devant une chapelle avec une Bible a notamment fait un tollé. « Il y a un droit fondamental – constitutionnel – de manifester, et je suis contre le fait de disperser une manifestation pacifique pour une opération de communication qui utilise un texte sacré à des fins politiques », a ainsi affirmé Ben Sasse, sénateur républicain du Nebraska mardi, comme le rapporte le New-York Times. A l’heure où une majorité de la population soutient le mouvement de protestation, une telle décision serait d’autant plus risquée et il y a fort à parier qu’elle ne ferait pas l’unanimité, y compris parmi les électeurs républicains qui sont eux aussi choqués par la mort violente de G. Floyd même lorsqu’ils condamnent les manifestations. C’est donc à une opposition très large que Trump devrait faire face s’il tentait d’imposer une reprise en main militaire du maintien de l’ordre.

En ce sens, le discours de Trump est à relativiser, sans pour autant écarter la possibilité d’un saut dans la répression. De fait, avec une crise économique massive, 40 millions de chômeurs, et une répression structurelle que la résolution du cas George Floyd ne saurait faire disparaître, il est fort probable que la polarisation soit vouée à s’approfondir, et avec elle la répression. Derrière la lutte politique, dans une perspective électorale, Républicains et Démocrates partagent une même crainte face à un mouvement d’une radicalité nouvelle aux Etats-Unis, échappant aux institutions.

 
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