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La Izquierda Diario
4 de juin de 2020 Twitter Faceboock

De Minneapolis à Paris
Rassemblement historique contre les violences policières : un tournant pour les luttes à venir
Anasse Kazib

À l’appel du Comité Justice et Vérité pour Adama, ainsi que de tous ses soutiens, le rassemblement devant le tribunal de grande instance de Paris à la porte de Clichy, restera sans aucun doute dans l’histoire de la lutte contre les violences policières et le racisme en France. 20 000 manifestants selon la police 40 000 selon les organisateurs : qu’importe les chiffres, tant les images de cette foule compacte vue d’en haut sont spectaculaires.

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Crédit photo : O Phil des Contrastes

Un rassemblement historique contre les violences policières

19h10 : après plus d’une heure de bouchons autour de la porte de Clichy, me voilà arrivé. Le parvis devant le tribunal est saturé de monde, les trottoirs sont pleins de cette jeunesse venue des quatre coins de la banlieue parisienne pour ce rassemblement. Tous ont fait le choix conscient, n’en déplaise au gouvernement et à la fachosphère, de braver les interdits. Parce que oui, les interdits étaient nombreux. Tout d’abord celui du rassemblement interdit à la dernière minute par le Préfet Lallement, empêchant tout recours en référé pour lever l’interdiction. Il y a eu également les intimidations contre Assa et la famille Traoré pour appeler à l’annulation du rassemblement. Le tout dans une période de crise sanitaire du Covid-19 loin d’être terminée. Mais ni le Covid ni le gouvernement n’auraient pu arrêter ce rassemblement, comme l’écrivait très justement un manifestant sur une pancarte « Si nous pouvons nous serrer dans le RER pour le patronat, nous pouvons nous serrer contre les violences policières ».

Cette jeunesse n’est plus la même depuis la crise sanitaire. Elle a changé, elle a évolué ou en tous les cas elle est en train d’évoluer. Elle est venue masquée, car consciente du danger qu’est le Covid-19. Beaucoup l’ont vécu de près cette crise, avec des proches morts durant ce printemps, à devoir continuer de travailler sans pouvoir se protéger, certains encore faisant la queue pour récupérer des colis alimentaires, et d’autres les distribuant. Moi le premier, je fais partie de cette jeunesse. Ayant perdu mon beau-père des suites du Covid, il m’en a coûté de braver ma crainte de contaminer ou d’être contaminé. Mais que voulez-vous il y’a des causes pour lesquels on est prêt à braver les dangers et cet appel du 2 Juin 2020, pour dénoncer l’injustice que vit la famille Traoré comme le vit en ce moment la famille de George Floyd, ainsi que toutes les familles des victimes de racisme et de violences policières, méritait qu’on soit là.

Voilà donc après seulement cinq jours d’agitation sur les réseaux sociaux, la réussite d’un rassemblement immense autant quantitativement que qualitativement. La jeunesse des banlieues a répondu présente. Ces dernières années, pourtant consciente du racisme ou encore des morts et des violences de la police, jamais elle ne s’était aussi massivement déplacée. Mais la jeunesse n’était pas seule, de nombreux militants syndicaux, politiques et associatifs étaient également là, de nombreux gilets jaunes aussi, et cela m’a frappé de voir autant de personnalités présentes, parfois cachées derrière un masque dans la foule. J’ai pu apercevoir ici et là, des chanteur-e-s, des comédien-e-s, des acteurs et actrices de cinéma. Ces derniers ont mis un point d’honneur à venir, cette fois-ci, après avoir souvent été attendus, en vain, par les quartiers populaires et les familles des victimes qui ne comprenaient pas la raison de leurs silences.

On voit que cette jeunesse a été touchée par ce qui se passe aux Etats-Unis, mais il est clair que la massivité de ce rassemblement ne s’explique pas seulement par la situation déclenchée là-bas, comme voudraient le faire croire les éditorialistes bourgeois. Il s’agit plutôt d’un véritable réveil, au sortir d’une crise sanitaire internationale, et plus particulièrement en France où nous avons connu de nombreux morts et un tournant autoritaire et répressif dans les quartiers populaires qui ont payé un lourd tribut. Le 93 a été par exemple le département le plus touché par la mortalité, mais également par la répression avec 10% des contraventions de tout le territoire effectuées dans le seul département de Seine-Saint-Denis la première semaine.

Un réveil dans lequel les révoltes massives, parties de Minneapolis, ont joué un rôle de déclencheur. « On sait depuis un moment que les répressions sociales que chacun peut subir à différents niveaux, à différents degrés, ont atteint un trop-plein. Les gens se contenaient, mais à travers l’appel du comité Adama ils ont vu un espoir en termes de réponses politiques. L’énorme mouvement de solidarité pour George Floyd a joué, bien sûr, mais aussi la situation d’après confinement et l’énième réponse de la justice pour nier encore l’implication de la police dans la mort d’Adama. » note en ce sens Almamy Kanouté, militant associatif.

Pour Youcef Brakni, un des piliers du comité Adama, il y avait justement dans ce rassemblement massif la volonté de dénoncer le silence assourdissant et la négation des crimes racistes par l’Etat français : « C’est important ce qu’il se passe aux Etats-Unis, mais j’ai senti que beaucoup de gens avaient envie aussi de dénoncer ce qu’il se passe ici, la plupart des pancartes avaient des slogans autour d’Adama Traoré, un peu comme si les gens avaient envie de dire que le racisme, les morts entre les mains de la police n’existe pas qu’aux Etats-Unis, qu’en France aussi et notamment le cas d’Adama Traoré fait écho avec la mort de George Floyd. »

Si ce rassemblement a pu exister, c’est aussi en grande partie grâce à la force politique que représente aujourd’hui dans la lutte contre les violences policières, mais pas uniquement, le comité Adama avec sa porte-parole Assa Traoré, qui n’est plus simplement la sœur d’Adama Traoré, mais est devenue un symbole pour toute cette jeunesse, et notamment ces jeunes femmes, des quartiers populaires. Pour Youcef Brakni le succès du rassemblement est le fruit d’un travail militant depuis plus de 4 ans : « Politiquement ce rassemblement est un tournant, mais c’est aussi le résultat de 4 ans de lutte que nous menons. Assa Traoré est devenue une personnalité importante aujourd’hui dans les quartiers populaires, hier c’était impressionnant de voir comment elle a été acclamée par la foule à plusieurs reprises. Mais tout cela c’est une politique pensée et consciente que nous avons depuis 4 ans, afin de se lier et de s’entraider avec les victimes de violences policières. »

Une étape majeure dans les luttes à venir qui doit mener à la contestation du système dans son ensemble

La journée d’hier marque un tournant considérable dans la période politique. Après le succès de la manifestation de soutien aux sans-papiers du 30 mai, ce qui se confirme c’est que le monde d’après a le visage de la contestation. Le rassemblement devant le Tribunal de Paris est le plus massif depuis que le Comité Adama mène bataille, et s’inscrit dans le contexte d’une révolte massive aux Etats-Unis, qui a suscité des mouvements de solidarité partout dans le monde contre les violences policières. Produit de l’accumulation des contradictions liées à une gestion autoritaire du confinement, d’une précarité grandissante et de la brutalité du racisme d’Etat dans les pays impérialistes, cette manifestation déterminée et ultra-contestataire témoigne du potentiel de la prochaine séquence politique. Elle intègre, à une échelle de masse, de nouveaux secteurs de la population, après plusieurs années marquées par des phénomènes intenses de lutte de classes, de la réforme des retraites à la révolte des Gilets Jaunes.

Si ce rassemblement est une victoire pour le comité Adama, il est une victoire pour tous ceux qui luttent contre les violences policières, pour toutes les victimes de racisme, et plus largement contre tous ceux qui défendent une autre société. Hier cela se voyait tant il y avait d’émotion, de joie, de colère et de rage, contre ce système qui nous opprime. Cela se voyait également dans les réactions des politiques et du gouvernement avec un Christophe Castaner qui, au lendemain des violences, a été obligées de faire quelques concessions dans le discours en affirmant que « chaque faute, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes » ferait « l’objet d’une enquête, d’une décision, d’une sanction ». Mais il est à plus large échelle une étape importante qui va sans nul doute permettre demain de lutter encore plus massivement contre les conséquences de la crise en France.

C’est également une victoire pour l’internationalisme, comme le mouvement des Gilets jaunes a eu un impact sur toute la séquence internationale que nous avons connu, que cela soit en Algérie, en Equateur, au Liban, au Chili ou ailleurs, la mort de George Floyd, et la révolte que cela a suscité aux Etats-Unis a un impact indéniable sur la lutte à l’international et notamment en France. Comme on ne peut ignorer les conséquences de la crise en France et le lien avec le rassemblement hier devant le TGI de Paris, on ne peut ignorer également le désastre aux États-Unis qui a connu des milliers de morts, plus de 40 millions de chômeurs, et la révolte dans les villes importantes des États-Unis et notamment chez une large frange de cette population qui vit entre racisme, violences policières et chômage de masse.

Certains voient dans la période une instabilité de plus en plus grandissante et espèrent minimiser le lien entre inégalités sociales et inégalités raciales : il n’y a qu’à voir comment les personnes racisées de la bourgeoisie répondent à la période, parlant de bavures, de faits divers, plutôt que d’un système dans son ensemble. Nous n’avons que faire des Obama, des Sibeth Ndiaye ou autres qui prennent le parti d’une classe contre la nôtre, qu’a fait le premier en tant que président aux Etats-Unis pendant deux mandats ? Que fait la seconde en tant que porte-parole du gouvernement, elle qui a aujourd’hui parlé de rassemblement « interdit » et balayé du revers de la main toute « violence d’état » ? De même, nous n’avons que faire de policiers qui posent un genou à terre pour endormir les foules, car c’est cette même police qui réprime notre classe, une police pilier de l’état bourgeois, qui est une institution coercitive à son service. Lorsque ce ne sont pas dans les quartiers populaires qu’ils tuent ou répriment, c’est dans les manifestations ou sur les piquets de grève.

Face à la crise que nous connaissons et qui ira en s’approfondissant, l’exemple du comité Adama et du rassemblement d’hier doivent nous appeler à réfléchir politiquement et à voir la nécessité de nous organiser durablement au service d’une stratégie pour en finir avec le capitalisme, le racisme et toute forme d’oppression. Le caractère massif, la détermination de la jeunesse, des grévistes des derniers mouvements, des Gilets jaunes ouvrent la possibilité de gagner contre ce système et de refuser que l’on nous fasse payer la crise. Mais pour cela il faut s’organiser et surtout commencer à poser définitivement la question de la prise du pouvoir, d’une lutte ultime, pour en finir avec l’exploitation et les oppressions racistes et sexistes. Lutter pour une transformation sociale, non pour des unions électoralistes, ou des « réformettes ». Nous ne pourrons rien attendre d’une justice de classe, ni de gouvernements bourgeois ou réformistes, qui sautent sur la première occasion pour dédouaner l’institution policière, cherchant à aveugler les masses de plus en plus conscientes du rôle social et structurel de cette dernière, celui de « maintenir l’ordre » dans lequel nous vivons, c’est-à-dire un ordre social d’exploitation et d’oppression.

Nous avons la nécessité de lutter ensemble, de taper sur le même clou, face à ce gouvernement, le même qui nous a envoyé à la morgue durant cette pandémie, sans masques, ni tests, ni moyens de nous protéger, le même qui donne des milliards à Renault qui annonce des fermetures de site et des licenciements, le même qui donne 7 milliards à Air France, dont le patron annonce la même semaine qu’il gagnera 800.000€ en 2020. Hier j’étais fier d’être présent dans ce rassemblement, pour demander justice pour Adama, Georges Floyd et toutes les victimes de racisme et de violences policières. Mais j’étais là également conscient que les responsables sont toujours les mêmes, voyant encore une fois à quel point les directions du mouvement ouvrier ont brillé par leur absence. Pourquoi n’ont-elles pas appelé massivement, dans cette période, à rejoindre le rassemblement qui dépasse politiquement les questions de racisme et de violence ?

C’est pourtant cette force, celle du mouvement ouvrier organisé, en alliance avec celle des milliers de jeunes mobilisés contre les violences policières, celle des Gilets jaunes, celle des milliers de collégiens en lutte pour l’écologie, etc. qui seule pourra permettre de dessiner une issue. Mais si l’on est conscient de cet état de fait, il s’agit d’y travailler et de trouver les modalités pour construire cette alliance. C’est ce débat qu’il faut aujourd’hui ouvrir, au lendemain d’une magnifique démonstration qui en appelle d’autres.

 
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