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5 de juin de 2020 Twitter Faceboock

Paris 1. Procédure du déféré rectoral : quand les enseignants de droit s’acharnent en justice contre leurs étudiants
Ariane Anemoyannis
Mica Torres

Le déféré rectoral est la procédure par laquelle les directeurs de composante, la direction de l’université et la ministre de l’Enseignement supérieur tentent d’annuler le cadrage relatif aux modalités d’examens à Paris 1. Cette procédure rarissime est la dernière carte à jouer des défenseurs de la sélection sociale et de l’université élitiste.

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 L’arroseur arrosé : le 20 mai le tribunal administratif rejetait la requête en référé-suspension des détracteurs du cadrage

 
Mercredi 3 juin se tenait une audience opposant le recteur de Paris et l’université Paris 1. Ceci dans la continuité d’une longue bataille juridique qui tire son origine dans le vote du cadrage concernant les mobilités d’examens votées en CFVU le 5 mai 2020. Dispenses en dessous de 10/20, annulation de la défaillance et mise en place d’examens asynchrones : autant de lignes directrices auxquelles ne pouvaient se résoudre un certain nombre de directeurs de composante chérissant la sélection sociale à l’université. 

Scandalisés de la victoire de modalités d’examens proposées par les élus étudiants, l’Ecole de droit de la Sorbonne et ses alliés ont donc entrepris de saisir la justice par la procédure d’urgence du référé suspension. Celle-ci, en ce qu’elle permet de suspendre urgemment une décision qui semble manifestement illégale, paraissait adapté à nos détracteurs du cadrage : ces derniers y voyaient un affront telle à la "valeur du diplôme" et à leur réputation qu’ils estimaient qu’il y aurait urgence à suspendre la motion de la CFVU.

Les principes de souveraineté et d’indépendance des jurys d’examens, d’indépendance des enseignants-chercheurs, d’égalité entre les étudiants, et la règle selon laquelle les modalités de contrôle des aptitudes et d’acquisition des connaissances ne peuvent pas être modifiées en cours d’année universitaire, ont été soulevés par les requérants. 

Un avis que ne partageait manifestement pas le juge administratif de Paris, qui a rendu une ordonnance le 20 mai déboutant les requérants sur tous les points.

La ministre Frédérique Vidal a alors apporté son soutien aux professeurs en déclarant que le cadrage voté à la CFVU « remettait en cause et méprisait l’engagement exceptionnel des enseignants chercheurs au service de la continuité pédagogique ». Celle-ci considérant que le cadrage porterait atteinte à la qualité des diplômes.

Le déféré rectoral : la procédure inconnue au bataillon comme dernière carte à jouer des défendeurs de la sélection sociale

N’ayant aucune intention de se conformer au cadrage malgré le désaveu devant les tribunaux, les requérants ont demandé une intervention du recteur le 22 mai.

Celui a exercé son droit de déféré rectoral, une mesure rare qui semble être la dernière carte à jouer de requérants ayant tout misé sur la procédure du référé-suspension, en vain.

Ces pouvoirs sont énoncés à l’article 719-7 du code de l’éducation. Selon l’article, le chancelier peut saisir le tribunal administratif d’une demande tendant à l’annulation des décisions ou délibérations des autorités de ces établissements qui lui paraissent entachées d’illégalité. Le tribunal statue en urgence sur le fond, c’est à dire qu’il tranche de la légalité sur le fond et la forme du cadrage. Au cas où l’exécution de la mesure attaquée serait de nature à « porter gravement atteinte au fonctionnement de l’établissement », le chancelier peut en suspendre l’application pour un délai de trois mois. 

Entre temps, le recteur a décidé de suspendre le cadrage en vigueur pendant un mois le temps que le tribunal statue. La suspension de la motion par le recteur académique jusqu’au rendu de la décision du tribunal administratif vient désormais légaliser la possibilité de non-respect du cadrage. Par une ordonnance rendue le 25 mai 2020, et pour un délai d’1 mois maximum, le recteur a ainsi utilisé ses pouvoirs pour permettre aux directeurs de composante qui le souhaiteraient d’appliquer leurs propres modalités d’examens sans être inquiétés d’être en situation d’illégalité. 

Seulement voilà : le « déféré rectoral » est une procédure tout à fait inconnue, mise en œuvre à de rares occasions à un point tel qu’il est très difficile de trouver des précédents. Les seules jurisprudences en matière de déféré rectoral datent ainsi de 1999 et 2007. Un domaine encore peu exploité du droit qui laisse donc toute liberté d’imagination au recteur, que le flou juridique tend plutot à favoriser. Ainsi, il s’agit d’un recours qui permet de refaire juger devant le même tribunal des faits similaires. Par ailleurs, elle ne permet pas aux élus étudiants de véritablement faire valoir leur défense l’instance oppose formellement le recteur et le Président de l’université, qui soutient en réalité la démarche des enseignants de droit.

C’est en ce sens qu’il n’a pas souhaité construire une défense vis à vis du cadrage dont il est pourtant tributaire en tant que représentant des instances de l’université, et qu’il n’a pas pris part à l’audience de ce mercredi. Ceux qui défendent le cadrage, organisations étudiantes et professionnelles, sont condamnées au statut « d’intervenants à l’instance » et non de parties à part entière, ce qui les prive de tout recours contre la décision. Une situation profondément déséquilibrée et attentatoire au « droit au procès équitable », valeur cardinale du droit commun.

L’usage de cette procédure montre donc à quel point certains savent utiliser le droit comme il l’arrange, aux dépens des étudiants qui subissent en période de pandémie un acharnement inédit.

Où sont les « atteintes au fonctionnement de l’établissement » ?

Le recteur peur exercer son droit de déféré et de suspension de la décision en cas « d’atteinte grave au fonctionnement de l’établissement ».

Mais où étaient les directeurs d’UFR pour contester les conditions de travail indignes des vacataires, assurant plus de 70% des enseignements en licence, parfois pour 5 euros de l’heure ?

Pourquoi ne mettent -ils pas la même énergie folle à s’assurer que les personnes qui contribuent à la bonne qualité de l’enseignement aient des bonnes conditions de vie, à faire en sorte que l’ensemble des étudiants puissent assister aux cours, quand des milliers d’entre eux à cause du manque de moyens et de professeurs ne peuvent disposer, par exemple, de cours de langue à Paris 1.

Enfin pourquoi n’a-t-on pas entendu le recteur s’indigner, et l’ensemble des directeurs d’UFR avec lui, lorsque des étudiants étaient interdits d’entrée à Tolbiac, vraisemblablement fichés parce que militants, ou encore lorsque la police y bloquait l’ensemble des sorties pour fouiller les étudiants. Ne s’agissait-il pas d’ « atteintes » autrement plus grave « au fonctionnement de l’établissement ? »

Derrière le déféré rectoral, deux visions de l’université s’affrontent

 
L’acharnement des professeurs de droit, meneurs de la fronde contre le cadrage porté par les élus étudiants, est l’expression de ce que cette bataille fait entrer en jeu. La détermination particulière des professeurs de droit (beaucoup de leurs alliés ont fait marche arrière après l’ordonnance de rejet du juge administratif) tient au fait que les filières juridiques gardent encore le monopole de la délivrance des diplômes en droit par rapport aux grandes écoles. Ces directeurs ont ainsi la prétention d’y faire concurrence, et luttent pour la sélection la plus rude à l’entrée de l’université mais aussi en son sein par la mise en place d’un système de notation extrêmement sévère digne des grands concours

Les professeurs de droits ne s’arrêteront pas, car s’ils s’arrêtent, c’est leur monde qui s’effondre. Celui d’une pression constante des jeunes et des salariés, d’abord dans leur études puis dans leur vie professionnelle, celui d’un accès au savoir réservé à une minorité.

Ils ne peuvent plus s’arrêter car ils sont engagés dans une machine infernale, un rouleau compresseur où ils tirent leur prestige d’une sélection injuste et arbitraire qui les maintient de plus en plus seuls dans leurs privilèges et assure le bon fonctionnement du marché du travail, nécessitant la création de situation de précarité pour toujours plus exploiter.

Mais au-delà du rendu de justice relatif au déféré rectoral, la bataille longue de six semaines entre les étudiants et la direction de l’université, l’école de droit et le ministère de l’enseignement supérieur, a déjà contribué à ouvrir une brèche importante sur laquelle s’appuyer pour les prochains affrontements. La remise en question des modalités d’examen dans une des universités les plus élitistes est en effet un acquis important, en ce qu’il a démontré la capacité de la jeunesse à tenir tête à Georges Haddad, François-Guy Trébulle et Frédérique Vidal, sur une question aussi fondamentale pour l’université d’aujourd’hui qu’est la sélection sociale.

 
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