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La Izquierda Diario
11 de juillet de 2020 Twitter Faceboock

Interview
Grève dans une filiale de Biocoop : « Cette journée a été un succès et ce n’est que le début »
Rafael Cherfy

Le 9 juillet, une journée de grève était appelée dans le commerce. Les magasins Retour à la terre (filiale de Biocoop) ont connu une forte mobilisation des salariés. Nous retranscrivons ici un entretien avec Konstantin, employé polyvalent et gréviste, qui nous raconte leur combat.

Link: https://www.revolutionpermanente.fr/Greve-dans-une-filiale-de-Biocoop-Cette-journee-a-ete-un-succes-et-ce-n-est-que-le-debut

RP : Le 9 juillet plusieurs de vos magasins étaient en grève, peux-tu nous raconter comment la mobilisation s’est mise en place ? Sur quelles revendications ?

K : Peu après l’allocution d’Emmanuel Macron à la mi-juin, nous avons appris que la direction du Retour À La Terre (franchise de Biocoop de 3 magasins à Paris) comptait mettre en place les ouvertures le dimanche sur le magasin de Rive Droite.

Parallèlement, on nous a annoncé que nos élections de délégué du personnel pour les employés polyvalents du magasin de Rive Gauche étaient reportées à septembre. Elles avaient déjà été reportées à cause du coronavirus. Comme par hasard, pile à un moment crucial où on sortait du déconfinement et où les postes les plus précaires avaient des revendications à faire entendre.
Très vite, une réunion inter-magasins a été mise en place car les employés des différents magasins ont immédiatement souhaité organiser leur colère.

À cette réunion, nous avons acté la grève du jeudi 9 juillet avec trois revendications locales :

  • Que la direction abandonne immédiatement le projet de mise en place d’une ouverture le dimanche.
  • Que toutes les demandes de ruptures conventionnelles émanant d’un employé soient acceptées automatiquement quelque soit le poste ou l’ancienneté.
  • Que l’entreprise établisse des fiches de postes et la grille des salaires comme proposées par l’annexe 9 du cahier des charges général de Biocoop.

Beaucoup de collègues font des tâches des grades au dessus et leurs qualifications ne sont pas reconnus et leurs salaires ne suivent pas. Cela s’est beaucoup illustré pendant le confinement. Nous demandons donc à travers l’application de l’annexe 9, la revalorisation des salaires.

RP : C’est assez exceptionnel ce que vous faites, surtout quand on sait que c’est votre première mobilisation. Tu peux nous en dire plus sur la construction de la grève ? Comment vous etes vous organisé concrètement ?

K : Nous nous sommes totalement reconnus dans les revendications nationales qui exigent l’augmentation des salaires, l’arrêt des suppressions d’emplois et le passage aux 32h avec maintien de salaire. 

Le préavis national nous a permis d’organiser notre grève avec les revendications internes à l’entreprise que j’ai citées plus haut de manière 100% auto-organisée.

Nous n’avons pas de section syndicale dans la boîte.

Après notre réunion, on a créé une liste mail avec tous les employés et pendant 2 semaines on a voté, échangé et débattu sur les modalités de la journée de grève.

On est également allé parler individuellement à chaque salarié pour expliquer ce que les nouvelles directives de l’entreprise allaient impliquer pour nous tous.

La grande majorité des employés se sont reconnus dans les revendications et nous ont rejoint.
Étant syndiqué chez SUD Commerces et Services, le syndicat nous a permis d’imprimer notre superbe banderole de grève, d’avoir un mégaphone et de déposer le piquet en préfecture.
 
Jeudi dernier, nous sommes donc allés au rassemblement sectoriel rejoindre les camarades des autres enseignes.

Tout d’abord parce qu’une grève sectorielle dans les commerces et services, ça n’arrive presque jamais. L’enjeu est crucial dans de nombreuses boîtes où les licenciements pleuvent et les conditions de travail se dégradent fortement. C’était aussi l’occasion de dire qu’en dehors des enseignes et des patrons, on fait tous le même métier avec les mêmes salaires et les mêmes galères.
Cette solidarité manque plus que tout dans ce secteur où la mobilisation est particulièrement difficile.

Après le rassemblement, on a fait notre piquet et au bout de 30 minutes, la direction est arrivée devant le magasin. On a donc envoyé une délégation de grévistes et on leur a bien fait comprendre que nos trois revendications étaient indissociables, que si nous n’obtenions pas satisfaction, on continuerait de se mobiliser et que nous n’allions pas avoir recours à un médiateur Biocoop car une discussion, cela se fait d’égal à égal, et dans l’entreprise c’est nous qui produisons les richesses et qui avons tenu les murs de la baraque pendant le confinement.

Quand une grève sur seulement deux magasins provoque la venue de la direction du leader du bio en France, cela montre l’efficacité de l’auto-organisation et le pouvoir qui en résulte.
Dans l’après-midi, la patronne a essayé de briser notre grève en envoyant à Rive Gauche où le taux de gréviste était à 80% une équipe du magasin Le Retour À La Terre des Champs Élysées. Mais en procédant ainsi, le magasin des Champs a dû fermé.

Cette journée a donc été un succès et ce n’est que le début.

RP : Vos magasins ont une image de marque plutôt progressiste au yeux de la population, notamment pour leur coté écolo. Pourtant, comme le démontre votre grève, c’est loin d’être l’idéal au niveau des conditions de travail. Pour toi il y a une certaine hypocrisie dans le discours marketing de l’entreprise ?

K : Oui tout à fait. Souvent les gens pensent que Biocoop est une boîte avec une forme de démocratie directe de par son nom mais en réalité, les employés comme nous, ne faisons pas partie de l’aspect "coopératif". On travaille comme tous les autres employés polyvalents des autres boîtes. 

Il est grand temps d’affirmer que l’écologie n’est pas un mode de vie individuel pour personnes aisées mais qu’elle doit s’adresser à la majorité de la population : celle qui fait tourner la société.

On ne veut pas d’une pseudo transition écologique où les salariés comme nous restons invisibilisés et soumis à la dégradation de nos conditions de travail.

RP : Vos magasins étaient ouverts pendant le confinement, tu peux nous raconter comment les salariés l’on vécu ? Quelles on été les conséquences sur vos conditions de travail ?

K : Concrètement cela a été un énorme choc. Dans notre boîte comme dans beaucoup d’autres, du jour au lendemain, la charge de travail est devenue considérable car il a fallu filtrer les entrées des clients qui étaient extrêmement nombreux à venir faire leurs courses. De plus, avec tous les « achats de panique », cela engendrait des livraisons de marchandises de plus en plus conséquentes le matin. Donc forcément c’était épuisant physiquement comme mentalement et du point de vue de l’hygiène il y avait, de fait, plus de contacts avec les livreurs car plus de palettes et donc plus de cartons à casser, plus de contacts avec les poubelles etc.. Il a fallu attendre plusieurs semaines pour avoir des protections dignes de ce nom. Au bout de 3 semaines, on a reçu un tissu découpable en tissu de mauvaise qualité. Quand on a reçu des vrais masques chirurgicaux, ils étaient dans le bureau de la responsable de magasin, verrouillé par un code.

 Dans notre boîte, les horaires ont été flexibilisés de sorte que les personnes à risque puissent faire leurs courses sur un créneau le matin, mais cela voulait aussi dire qu’on devait avoir fini pour l’ouverture 30 minutes plus tôt. On a également été amené pendant tout le confinement à faire des livraisons à domicile sans être payé plus alors que cela ne figurait pas dans notre contrat de travail et que ça pouvait clairement poser problème en cas d’accident.

Pour être livré à domicile, les clients devaient faire plus de 100euros de course.
Du coup, on devait prendre un chariot du magasin, et prendre 2 à 4 cartons de livraison selon la livraison et aller livrer en transportant sur des rues pavées, se débrouiller pour entrer dans les immeubles et monter les escaliers jusqu’aux portes des clients. Un scandale.

RP : Dans un contexte de crise économique post-confinement, on voit émerger des mobilisations dans différents secteurs (aéronautique, automobile, grande distribution, Santé etc...). Comment vous voyez la suite de votre mobilisation et le lien potentiel avec les autres lutte ?

K : Pour nous, il semble clair que la rentrée sociale se joue dès maintenant. Le remaniement ministériel est scandaleux et montre bien que le gouvernement est déterminé à faire passer ses réformes antisociales jusqu’au bout.

Nous serons présents le 14 juillet pour réaffirmer notre soutien auprès des soignants et avec tous les autres secteurs.

Nous avons des salaires de misère et les travailleurs du secteur des commerces et services vont être très impacté par la réforme des retraites.

Il est donc dans notre intérêt de nous unir avec tous les autres travailleurs. Il y a actuellement une brèche et il va falloir s’y engouffrer.

Les salariés d’Amazon, de la Boulangerie de l’Europe à Reims, de Nokia et de Monoprix sont un exemple et une inspiration pour les luttes en cours et celles à venir.

Au Retour À La Terre, la direction essaie de nous endormir sans nous donner de réponses concrètes.

Ce n’est que le début du combat.

Propos recueilli par Rafael Cherfy

 
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