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La Izquierda Diario
27 de juillet de 2020 Twitter Faceboock

Coronavirus
Inde. Des reculs historiques pour les droits des travailleurs
Choga Ba

Dans de nombreux pays, la pandémie due au coronavirus est utilisée par le patronat et les gouvernements pour réduire les droits démocratiques et le droit du travail. En Inde, des millions de travailleurs ont ainsi été jetés à pied sur les routes au début de l’épidémie, et voient maintenant leurs droits durablement réduits à peau-de-chagrin.

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Crédits photos : (Travailleuse migrant en provenance du Punjab, passage par Agra pour Jhansi Source : Arvind Chauhan pour Times Of India par Twitter - 13 mai 2020)

Des millions de travailleurs jetés brutalement sur les routes

Le 22 mars 2020, le premier ministre indien est apparu à la télévision, et avec son style sensationnaliste bien connu, a annoncé un lockdown complet dans tout le pays du fait du Covid-19. Tous les transports publics, y compris le transport par rail et par bus, ont été suspendus dans les quatre heures : cela a laissé peu de chance de rentrer chez eux aux plus de 40 millions de travailleurs migrants de différents villages et de régions reculées de l’Inde qui travaillent dans de grandes villes comme Delhi. Sans travail, sans ration et sans argent, des millions de ces travailleurs ont attendu l’arrivée des secours puis, chargeant tout ce qu’ils pouvaient dans leurs bras et sur leurs épaules, se sont mis à marcher vers leurs villages. Alors que la classe supérieure était occupée à générer des mèmes sur le Covid-19 sur Facebook et Twitter, et à se protéger du virus en se confinant, du nord au sud de l’une des plus grandes zones géographiques du monde, les routes et autoroutes nationales étaient pleines de travailleurs rentrant chez eux à pied. Depuis, on a vu de très nombreuses images de travailleurs migrants en provenance de grandes villes industrielles telles que Delhi, Mumbai, Bangalore et Calcutta rentrant dans leur village en Inde pendant l’épidémie.

On a vu de nombreuses images de ces travailleurs migrants internes marchant à pied en l’absence de transport, d’emploi et d’argent ; des enfants de 8 ans marchant pieds nus pour couvrir de grandes parties de ces 1800 km de distance, d’une mère traînant un enfant endormi et épuisé sur les roues de sa valise sur des centaines de kilomètres à travers les autoroutes. Alors que certains pédalaient en cyclo-pousse avec toute une famille de cinq personnes assise dessus pendant des kilomètres, d’autres revenaient assis sans aucune sécurité sur les toits des camions, dans des auto-pousse - sans nourriture et ni eau potable, survivant avec quelques biscuits et les dernières roupies indiennes de leur salaire journalier qu’ils n’avaient plus touché depuis deux mois. La BBC a annoncé que vingt-quatre personnes étaient mortes pendant cet interminable voyage, mais il est très probable que le nombre de victimes soit en réalité bien plus élevé.

Brutales attaques contre les droits des travailleurs et des travailleuses

Après des mois de voyage, ceux qui ont survécu à la faim, à la pandémie, aux accidents de circulation et simplement à la marche de 1800 km ont fini par arriver chez eux. En écoutant les nouvelles, ils ont constaté que toutes les lois du travail qui les protégeaient avaient été suspendues.

Le 8 mai 2020, alors que de nombreux travailleurs migrants étaient encore sur la route, Adityanath Yogi, le ministre en chef de l’Uttar Pradesh, un des plus grands États du nord de l’Inde a en effet adopté, lors d’une réunion spéciale du cabinet, une ordonnance intitulée "Ordonnance d’exemption temporaire de certaines lois sur le travail en Uttar Pradesh, 2020". Par ce texte, Yogi, qui dirige le parti politique Bharatiya Janata Party (BJP), d’extrême droite, et bien connu pour ses discours semant la discorde, suspend pour une période de trois ans les lois essentielles sur le travail dans l’industrie et les usines. Les lois sur la durée maximale du travail, la loi sur les syndicats, la loi sur l’emploi industriel, la loi sur les conflits industriels et la loi sur les usines sont ainsi levées afin d’encourager les industriels à s’installer en Uttar Pradesh "pour stimuler l’économie". En une seule ordonnance, Yogi supprime donc les principales dispositions du droit du travail, poussant les travailleurs vers l’esclavage. Dans l’Etat du Gujarat, son homologue Vijay Rupani a pris les mêmes dispositions.

L’ironie de la situation est que l’année dernière, des projets de loi et des pétitions adoptés dans divers États de gauche, comme le Kerala, pour s’opposer à la loi sur la modification de la citoyenneté discriminant les Indiens musulmans, avaient été qualifiés d’inconstitutionnels au motif que le gouvernement de l’État ne peut pas régir l’autorité du gouvernement central. Pourtant, aujourd’hui, la suspension des lois régissant le travail par le gouvernement de l’Uttar Pradesh, contre la directive centrale, n’a pas été considérée comme anticonstitutionnelle alors que de nombreux avocats indiens, y compris d’anciens présidents de la Cour suprême de l’Inde, ont qualifié d’anticonstitutionnel le recours à la section 213(1) par le gouverneur de l’Uttar Pradesh pour faire passer cette ordonnance.

Ces modifications affecteront particulièrement les femmes puisque des lois clés en faveur des travailleuses, telles que la loi sur les allocations de maternité et la loi sur l’égalité de rémunération, ont été suspendues. Depuis le début de l’épidémie, c’est déjà sur les femmes que repose l’essentiel du travail de soins. La suppression de ces lois va exonérer également les usines et les industries de l’obligation de créer des garderies pour les enfants pour femmes qui travaillent.

La suspension des lois sur le travail en Uttar Pradesh et dans l’État du Gujarat, deux États dirigés par le BJP d’extrême-droite, est la plus importante dans la suppression de toutes les lois sur la protection du travail, mais les gouvernements d’autres États ont également suivi le mouvement. Dans l’État du Madhya Pradesh, il est devenu possible d’embaucher et de licencier des employés n’importe quand, sans respecter aucun contrat. En outre, toutes les inspections des usines ont été supprimées, ce qui a rendu impossible de vérifier si la santé et la sécurité des travailleurs étaient prises en compte pendant la période du Covid-19. L’État du Punjab, dirigé par le Congrès, a supprimé le salaire minimum pour les travailleurs hautement qualifiés.

Des reculs qui rappellent l’esclavage

250 ans de lutte contre le colonialisme ont été une lutte quotidienne continue. Cette lutte a été essentiellement une lutte des travailleurs contre l’esclavage des plantations et contre le travail en servitude. Des milliers de vies ont été sacrifiées dans la lutte pour obtenir les actuels droits du travail. Pourtant, le Covid-19 a été utilisé pour créer une exception générale au nom de la "réforme du droit du travail". En un seul geste, les États de l’Uttar Pradesh, du Maharashtra, du Punjab, du Rajasthan et d’autres États de l’Inde ont supprimé de nombreuses lois clés sur le travail en adoptant des ordonnances anticonstitutionnelles. Cela inclut l’augmentation du nombre d’heures de travail de 8 à 12 heures, et dans certains cas à 18 heures par jour - ironiquement annoncées "sur une base volontaire", comme si les travailleurs avaient le choix - avec ’une pause d’une heure’ toutes les six heures. Si la plupart des médias indiens ont applaudi cette réforme présentée comme en faveur des droits des travailleurs, la plupart des travailleurs ne sont toujours pas conscients des conséquences de la suppression de ces droits.

Le 22 mai 2020, trois mois après l’annonce du “lockdown” lié au Covid-19, dix syndicats ont lancé un appel à la protestation dans tout le pays, et porté l’affaire devant l’Organisation internationale du travail (OIT).

L’Inde est membre de l’OIT depuis le 28 juillet 1919, avant son indépendance, et a signé de nombreuses conventions de l’OIT. Pourtant, certaines des ordonnances adoptées ces derniers mois sont en violation directe de l’article 23 de l’OIT. Après que l’OIT a adressé un avertissement au gouvernement indien, prenant note de ces changements, le gouvernement central indien a passé une directive au gouvernement des Etats concernés suggérant que les sections de ces ordonnances qui sont en conflit avec les conventions de l’OIT ne peuvent pas être promulguées. Mais en réalité, ces suggestions ne protègent pas les travailleurs - elles ne sont qu’un aménagement à la marge pour se mettre en conformité minimale avec l’OIT. Par exemple, après que l’OIT a souligné ce point, le gouvernement central a suggéré que le paiement des heures supplémentaires doit correspondre au double du salaire horaire et non 1,5 fois, comme l’ont suggéré les gouvernements des États. Cette proposition est utilisée pour prétendre défendre la cause des travailleurs alors qu’il existait déjà un traité signé et une obligation de payer double les heures supplémentaires.

Très souvent, pour les travailleurs indiens, la loi n’est pas synonyme de justice. Les affaires restent en suspens devant les tribunaux pendant un certain nombre d’années, après quoi le travailleur n’a plus la force de se battre, ce qui dissuade encore plus de porter plainte en cas d’injustice. Seul un retour à l’esclavage peut être imaginé dans ces conditions où les lois du travail elles-mêmes sont affaiblies et supprimées de façon flagrante au nom de réformes. Pourtant, le droit du travail n’est pas le seul concerné. Alors que les ordonnances adoptées par le Parlement deviennent un nouveau mode de fonctionnement et que la démocratie est mise sur la touche, le 21 juillet 2020, des protestations d’agriculteurs ont commencé contre l’ordonnance de 2020 sur le commerce et les échanges de produits agricoles (promotion et facilitation), l’accord de 2020 sur la garantie des prix et les services agricoles (autonomisation et protection des agriculteurs) et l’ordonnance de 2020 sur les produits de base (modification). Les agriculteurs ont protesté contre la suppression des marchés qui mettront fin au prix de soutien minimum. Au début de la semaine, nous avons vu des images d’écrasement des récoltes des agriculteurs et de violences policières contre les agriculteurs de l’État de l’Uttar Pradesh, qui tentaient de les expulser de leurs terres agricoles. Alors que la lutte se poursuit, les possibilités de réagir dans les pays deviennent de plus en plus limitées. Dans le monde entier, le patronat et les gouvernements multiplient les attaques sur les droits des travailleurs et les droits démocratiques au prétexte de la crise sanitaire et économique. Face à ces attaques convergentes, c’est une réponse coordonnée qui permettra de riposter !

 
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